« 120 battements par minute », Film de Robin Campillo
Film de Robin Campillo
Les années 90. De ce temps-là, la mort fauchait à tours de faucille. Des hommes, des femmes, des presque gamins aussi, condamnés dès leur première relation sexuelle ou infusés de sang contaminé lors d’une opération ou parce qu’ils étaient hémophiles.
Certains, parmi les morts en sursis, hurlaient que le gouvernement de l’époque les laissait crever sans rien faire, s’étant dédouané disaient-ils par la création d’une agence d’État sur le sida qui selon eux ne produisait en réalité aucun vrai effort de prévention. Pas plus que l’État ne pesait de tout son poids sur les laboratoires pour accélérer la recherche prometteuse sur les antiprotéases qui, plus tard, allaient donner les trithérapies et sauver tant de vies. Et les laboratoires eux-mêmes semblaient bien peu clairs dans leurs stratégies, pour dire les choses aimablement.
On aurait dit que tout le monde s’en foutait. Des campagnes d’affichage au message clair et direct sur les risques avaient été refusées par le gouvernement. Aucun distributeur de préservatifs dans la cour des collèges, des lycées ou des universités. D’ailleurs une loi interdisant la publicité sur les préservatifs n’avait pas été modifiée pour permettre le lancement de campagnes grand public. Et commençait un interminable et insaisissable procès sur les responsables ou les coupables du sang contaminé.
On regardait ailleurs, comme si ce monde « marginal » – gays, lesbiennes, trans, prostitués des deux sexes, mais tout autant prisonniers, drogués – ne faisait pas partie du peuple de France, ou pas de la France qu’on voulait voir. Et comme si le sida allait se cantonner à eux seuls, punis de leur « déviance » et de leurs péchés, a-t-on entendu. A ce jour, le sida a fait 40 millions de morts dans le monde.
Alors, au début des années 90, des combattants ont créé Act up. Robin Campillo en faisait partie.
Il a mis très longtemps à concevoir puis réaliser ce film bouleversant. Peur de trahir, peur d’en faire trop ou pas assez, peur d’être trop documentariste, peur de larmoyer. Et puis il a fini par se lancer, épaulé dans le scénario par un ancien vice-président d’Act up, Philippe Mangeot, qui, ai-je lu, n’est autre que le fils du PDG d’un grand laboratoire produisant à l’époque le premier médicament homologué contre le sida, l’AZT, le seul disponible en fait, avec le DDI. Aucun des deux médicaments n’empêchait de mourir.
La force et la beauté du groupe
« Film choral » a-t-on écrit. Ils sont incroyables de vérité et d’énergie, ces jeunes des RH, les réunions hebdomadaires d’Act up. Ils inventent ensemble leurs actions spectaculaires – on se souvient surtout, dans la vraie vie, de la gigantesque capote rose sur l’obélisque à Paris, et de ces corps couchés dans les rues. Mais il y en eut tant d’autres, à commencer par ces poches de faux sang qu’ils balançaient contre les murs ou sur les gens. 120 battements le montre.
Les RH sont filmées avec 3 caméras, comme dans Entre les murs de Laurent Cantet dont Robin Campillo était coscénariste (Palme d’or à l’unanimité du jury présidé par Sean Penn lors du Festival de Cannes 2008).
Grâce à ce procédé, et grâce au talent incroyable des acteurs, on est là, avec eux, on partage leurs colères, leurs débats, leurs différends, leur humour, leur fougue. Il y a des anciens, comme le président (Antoine Reinartz, bluffant), comme Adèle Haenel
tout aussi bluffante (César de la meilleure actrice pour le second rôle dans Suzanne, puis César de la meilleure actrice pour Les Combattants, et surtout comme Sean, superbement interprété par Nahuel Perez Biscayart, acteur argentin qu’on avait vu dans Au fond des bois de Benoît Jacquot. Et puis il y a les nouveaux et d’abord Nathan, joué par le bel Arnaud Valois, si fin dans son interprétation. Il avait disparu des écrans, lui qui y avait fait une entrée retentissante dans Selon Charlie de Nicole Garcia, et qu’on avait aussi vu dans La fille du RER de Téchiné. Il ne voulait plus entendre parler de cinéma. Robin Campillo est allé le chercher et l’a convaincu de revenir. Il a bien fait !
Ces RH où l’on parle beaucoup et s’engueule tout autant sont un élément majeur du film comme elles l’étaient dans la vie d’Act up. C’est le seul lieu – à part les fêtes en boîte de nuit, avec les mêmes – où ces jeunes gens isolés, abandonnés en vérité, trouvent une famille, une force, l’énergie pour continuer à combattre. C’est une leçon de militantisme pour celles et ceux qui s’en méfient ou s’en sont éloignés, un éloge du groupe car « on est plus intelligents à plusieurs », rappelle Robin Campillo dans une interview.
Le combat incarné
J’ai lu ici ou là que la magnifique histoire d’amour entre Sean et Nathan qui trame la seconde partie était comme un deuxième film, ou un film dans le film. Mais j’ai écouté Philippe Mangeot face à Pierre Lescure rappeler, avec son beau sourire, que le sida et l’amour sont liés on ne peut plus étroitement. Sid’amour à mort, chantait Barbara dont le faux biopic vient de sortir sur les écrans.
Mais c’est plus compliqué encore, car Robin Campillo est complexe, subtil. Oui, c’est une histoire d’amour, passionnée, tendre, forcément déchirante car on connaît l’issue, Sean étant malade, au contraire de Nathan. Mais c’est aussi l’histoire d’une réparation car Nathan si longtemps paniqué par le risque au point d’être resté sans baiser pendant cinq ans (comme Robin Campillo paraît-il) ne s’est pas vraiment inquiété de son ex, son premier coup de cœur, qu’il avait enfin revu après sa longue diète et dont il avait découvert des traces suspectes sur le dos. S’il a téléphoné pour prendre des nouvelles, quelques jours après les retrouvailles, il n’est pas allé le voir à l’hôpital où le père désespéré et furieux lui a dit qu’il était. Il n’a pas pu. Alors cette fois, avec Sean, il ira jusqu’au bout, surmontant tout, peut-être ses peurs, en tout cas les moments les plus difficiles, dédié à Sean, corps et cœur, lui offrant d’ultimes plaisirs, le faisant venir chez lui, lui injectant ce qu’il faut au moment où il faut pour qu’il s’en aille avec ce qu’il reste de dignité.
Survivre, danser, aimer
Entre deux actions, ils vont faire la fête, ces morts en suspens. Le peu de force qu’ils ont encore, ils le dépensent à danser, sur des rythmes nouveaux, les 120 battements par minute de la house music qui envahit la France (composée pour le film par Arnaud Rebotini, l’un des piliers de la musique électronique underground française et fondateur du groupe Black Strobe).
Ce peu de forces, ils le dépensent aussi à s’aimer. Non pas à tirer des coups en veux-tu en voilà, mais à continuer d’être amoureux, d’être dans le désir – à être vivants. Cette rage de vivre donne au film une énergie sidérante, à la fois crépusculaire et joyeuse. Equilibre de Robin Campillo, là encore, qui sait doser au millimètre les contraires, les lumières et les ombres, la parole et les silences, tout au long de son opus.
Grand prix du festival de Cannes
A ce jour, près de 540 000 spectateurs sont allés voir 120 battements. J’y suis allé deux fois, pour mieux comprendre les nuances. A chaque séance, comme tous les autres dans la salle, je suis resté collé à mon siège au moment du générique, et encore après, totalement bouleversé.
Il faut voir ce film !
Thierry Martin
super film, qui génère une émotion intense. le silence de la fin prend à la gorge. c’est un rappel du temps où le sida tuait.