45 ans
Sur fond noir le générique s’inscrit en petites lettres blanches, rythmé par le son très reconnaissable d’un vieux carrousel faisant défiler des diapositives (on s’en souviendra après) jusqu’à l’apparition des premières images d’une brumeuse campagne anglaise, d’une femme promenant son chien, de la même femme croisant son voisin, puis ouvrant la porte de son cottage… Une succession de plans défile comme les photos d’un diaporama et construit l’histoire, apparemment sans problèmes de Kate et Geoff Mercer, à l’automne de leurs vies. Andrew Haigh filme sans complaisance mais avec tendresse ce couple, avec ses rides, sa fatigue, ses petits travers, et nous laisse présager un déroulement paisible.
Pourtant, il n’en sera rien…
Nos époux s’apprêtent à organiser une grande fête pour leur quarante-cinquième anniversaire de mariage. Pendant ces préparatifs, Geoff reçoit une lettre : le corps de Katya, son premier grand amour, disparu cinquante ans auparavant dans les glaces des Alpes, vient d’être retrouvé. Cette nouvelle va alors bouleverser le ménage et modifier doucement le regard que Kate porte sur son mari…
Dois-je vous dire plus, je ne crois pas, si ce n’est que cette nouvelle, prise avec beaucoup de gravité par Geoff et avec une sorte de désinvolture par Kate, au début tout au moins, va devenir pour cette femme un poison à effet retard, qui va l’amener à questionner son mari, à fouiller (rappelez-vous, le carrousel…) et une fois éclairée, à nier l’importance de cette découverte et ce qu’elle semble lui révéler de son mari et de leur union…
Andrew Haigh peint par une succession de plans-séquence ce terrible effritement qui grignote peu à peu l’harmonie de ce couple, que sépare désormais la révélation du passé de Geoff que Kate ne peut pas partager. Selon un subtil équilibre, le réalisateur fait alterner les instants de complicité retrouvée autour d’un passé commun (une musique, une danse improvisée au milieu du salon, quelques échanges sarcastiques de vieux couple…) et les scènes compartimentées où l’autre semble être devenu inatteignable.
Magnifique tableau de ce que chacun a sans doute connu un jour, cette jalousie rétrospective d’un passé qui ne nous concerne pas, puisque nous en sommes absents, mais qui, soudain découvert, devient une réalité terrifiante puisque nous n’avons pas le pouvoir de nous y projeter…
On pourrait reprocher à ce film sa trop grande sagesse, son classicisme, mais ce serait ignorer l’intelligence et la sensibilité du récit de ce drame intimiste, de même que l’inventivité, sans aucune astuce spectaculaire, de sa construction…
Ce serait surtout ne pas compter avec ce qu’Andrew Haigh a obtenu de ses deux acteurs magnifiques, Charlotte Rampling (nominée aux Oscars dans la catégorie meilleure actrice) et Tom Courtenay qui, tous deux, ne semblent pas jouer, mais seulement être !
Dans » 45 ans » Sir Thomas Daniel Courtenay, dont on n’a pas oublié l’étonnante performance dans » La Solitude du coureur de fond « , est ce mari à la sensibilité et aux réactions aussi insondables que bouleversantes.
Quant à Charlotte Rampling, la Rampling, diraient les Italiens, elle porte à l’écran cette part de mystère intrinsèque à sa personne et insuffle à Kate, l’épouse troublée, cette ambivalence émotionnelle qui empêche ce huis clos de sombrer dans le pathos.
Un Oscar pour elle serait non seulement mérité pour sa prestation remarquable de justesse dans » 45 ans « , mais aussi, depuis » Portier de nuit « , pour tous les personnages de sa longue carrière. Cette récompense serait aussi celle donnée à la beauté sans retouches d’une femme qui accepte orgueilleusement son âge… Un précepte difficile à faire avaler aux visages botoxés Hollywood !
Merci de partager ta réflexion et tes émotions sur ce film, quel souffle, on ressent déjà l’ambiance lourde, feutrée de « 45 ans » ! On a qu’une hâte, partir à la rencontre de ce couple. Avec toi, les critiques de ciné peuvent trembler !