Portrait de la jeune fille en feu
Avec Noémie Merlant, Adèle Haenel , Luàna Bajrami, Valéria Golino…
Synopsis
1770. Marianne est peintre et doit réaliser le portrait de mariage d’Héloïse, une jeune femme qui vient de quitter le couvent. Héloïse résiste à son destin d’épouse en refusant de poser. Marianne va devoir la peindre en secret. Introduite auprès d’elle en tant que dame de compagnie, elle la regarde.
Céline Sciamma nous transpose au XVIIIème siècle dans un huis-clos réunissant des jeunes filles dans un château au bord de la mer sans toutefois déroger à ses thèmes de prédilection, l’éveil du désir et l’ambiguïté sexuelle. Elle nous conte la rencontre et l’histoire d’amour entre une femme peintre et son modèle, une jeune fille qui refuse un mariage forcé.
Dans un univers de femmes, elle se penche sur le désir des femmes et leurs places dans cette société du XVIIIème siècle. La mère (Valéria Golino) cherche à marier sa fille Héloïse (Adèle Haenel), qui sort du couvent pour partir à Milan retrouver son futur mari qu’elle ne connaît pas. Suivant la tradition, pour précéder sa venue, elle engage une peintre pour en faire son portrait. La jeune promise se dérobe et refuse de poser. La jeune peintre libre de sa vie va insuffler un vent de liberté et de passion dans la vie de la jeune ingénue.
Marianne est peintre et semble maître de son destin. Son arrivée au château d’une comtesse qui lui commande le portrait de sa fille ne va pas être sans conséquence. Céline Sciamma nous présente l’artiste qui se souvient de cette rencontre à travers un tableau représentant une jeune fille dont le bas de la robe prend feu.
Marianne attend l’arrivée d’Héloïse qui se fait désirer. On croit la voir venir, un plan sur la robe qui lui servira pour poser nous laisse croire à sa venue et le plan s’élargissant on découvre que la robe est vide, tenue par Sophie, la jeune servante. La jeune fille, même si son destin est scellé résiste, se rebelle.
L’époque n’y change rien, Céline Sciamma nous décrit deux destins de jeunes femmes qui auront des vies différentes, issues de milieux différents, elles vont pourtant se connaître, se comprendre, se désirer.
L’ambiance est très épurée, aucune bande son tonitruante n’accompagne la rencontre de ces deux héroïnes. Les seules incursions musicales prennent donc toute leur importance dans le propos de la réalisatrice et une montée dans l’intensité des sentiments des personnages.
Les hommes sont exclus dans cette ronde des sentiments. Leur présence est évoquée mais reste évanescente. L’existence du futur époux n’est que la représentation d’un destin réunissant le doute, l’inconnu, le déracinement, une vie imposée et non désirée, tout comme la grossesse de Sophie la servante.
Le personnage de Marianne symbolise l’élément perturbateur pour l’époque. Cette femme peintre, formée par son père qui arrivera tant bien que mal à poursuivre ses rêves d’artiste et qui toute sa vie conservera le souvenir de l’amour impossible pour cette jeune fille.
La réalisatrice impose la modernité et l’universalité du propos à travers le destin des quatre femmes, traité avec sobriété et lyrisme. En premier lieu, le parcours de ces femmes peintres qui ne seront jamais (re)connues et dont les œuvres seront souvent signées par des hommes. Mais c’est avant tout une histoire d’amour, faite de frôlements, de gestes, de regards. La peintre va porter son regard sur son modèle à l’instar de la réalisatrice sur ses comédiennes. Les sens sont constamment en éveil et Sciamma impose sa vision du sentiment amoureux. La réalisatrice ne cède jamais à la facilité d’illustrer le désir en dénudant ses héroïnes dans les scènes de sexe. La pudeur est ici de mise, le corps n’est jamais vraiment matérialisé et nous invite à une réflexion sur l’amour et les femmes hors des cadres traditionnels dans le cinéma. Elle nous invite à imaginer le désir et le mélange des corps à travers des gros plans du corps des jeunes filles jusqu’à leur dernier rendez-vous où Marianne fait son autoportrait grâce à un miroir logé entre les cuisses de sa maîtresse allongée face à elle qui reflète son visage.
Qu’importe l’époque, Sciamma impose son romantisme et son lyrisme dans la délicatesse du geste, qui dévoile peu à peu les sentiments jusqu’à l’éclosion des sens filmée de façon quasi magique dans cette scène centrale de la fête du village avec ses chants en canon où les voix des femmes bretonnes résonnent, rompant l’absence de musique dans le film.
La première scène de la peintre arrivant sur la côte bretonne par bateau et se jetant à l’eau pour récupérer ses toiles n’est pas sans rappeler «La leçon de piano» de Jane Campion. Sciamma semble répondre en écho au propos de son aînée et proposer un cinéma sur les femmes et non pas un cinéma de femmes.
De manière plus large, elle veut nous dire que le discours romantique du XVIIIème siècle est assez universel pour s’appliquer à une rencontre homosexuelle ou hétérosexuelle tout en ajoutant la mise en lumière des invisibles du monde artistique qui ont forgé notre culture littéraire, picturale et cinématographique.
Isabelle Véret