Pour le plaisir des confinés
Profitons de ce moment suspendu pour (re)découvrir une brève sélection de films policiers proposés par la plateforme MyCanal.
Les enquêtes du département V :
Miséricorde (2013), de Mikkel Nørgaard,
Profanation (2014), de Mikkel Nørgaard,
Délivrance (2016), de Hans Petter Moland,
Dossier 64 (2018), de Christoffer Boe,
Avec Nicolaj Lie Kaas, Fares Fares,…
Saga danoise en 4 volets adaptée de la série littéraire de Jussi Alder-Olsen, ces enquêtes sombres et passionnantes ont fait un carton au box office au Danemark, nommée dans plusieurs festivals européens et pourtant sortie directement en VOD et streaming en France. Netflix a déjà diffusé trois volets, l’intégralité est visible sur MyCanal jusqu’au 12/05/2020
Le synopsis
La vie de l’inspecteur Carl Mørck bascule après une bavure : l’un de ses collègues meurt et son meilleur ami est paralysé. Mis à pied, Carl est désormais chargé d’archiver les vieux dossiers au commissariat. Il est assisté dans sa tâche par Assad, d’origine syrienne. Très vite, les deux hommes vont désobéir à leur supérieur et commencer à enquêter sur de vieilles affaires jamais résolues…
Avec un titre français digne d’une série allemande diffusée à l’heure de la sieste, à quoi pouvait-on s’attendre avec ces «Enquêtes du département V» ? Sorties entre 2013 et 2018, les quatre volets de la saga ont pour toile de fond un service de police traitant de vieilles enquêtes non-résolues. Dans la veine de Millenium, les enquêtes imposent un personnage principal en dehors des clous. Flic désabusé, Carl Mørck (Nicolaj Lie Kaas) a basculé du côté sombre depuis une mauvaise décision qui a coûté la vie de son collègue et laissé son meilleur ami paralysé. Mis au placard dans un service dont les bureaux sont en sous-sol, on lui attribue un coéquipier d’origine syrienne. Ils vont bientôt former ensemble une sorte de duo à la Sherlock Holmes et Dr Watson en version violente et tourmentée, car on n’épargne pas le spectateur : les morts sont brutales, les protagonistes sont névrosés, cruels, pervers. On l’aura compris l’ambiance est sombre et âpre, intensifiée par des scènes quasi intégralement nocturnes qui donnaient déjà le ton dans «Millénium» ou la série très réussie «The Killing». La dramatisation est à son maximum. Le réalisateur des deux premiers opus, Nikkel Nørgaard se dit clairement inspiré par «Millénium». Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si les deux scénaristes de la saga, Nikolaj Arcel (aussi réalisateur de Royal Affair en 2012) et Rasmus Heisterbeerg ont participé au scénario des Millénium.
La photographie et la mise en scène font partie intégrante des intrigues et apportent cette atmosphère oppressante quasi palpable. Toutefois, le réalisateur avoue avoir voulu apporter une touche chaude empruntée au cinéma argentin et plus particulièrement à «Dans ses yeux», thriller haletant de Juan José Campanella ou aux films de David Fincher «Seven» et «Zodiac».
Enfin, les duo d’acteurs fonctionne parfaitement. Nicolaj Lie Kaas, déjà aperçu chez Lars Von Trier campe à merveille ce flic au bout du rouleau jusqu’au-boutiste. A ses côtés, on retrouve Fares Fares, comédien libano-danois qui s’est distingué dans le très remarqué «Le Caire confidentiel» en 2017.
On peut regarder indifféremment les quatre volets de la saga dans l’ordre ou pas, et se laisse découvrir comme une série.
Poursuivons notre sélection dans le catalogue de films de Canal+ avec une petite pépite venue de Turquie et coproduite par Robert Guédiguian.
Qui a tué Lady Winsley ?
De Hiner Saleem
Avec Mehmet Kurtulus, Ezgi Mola, Ahmet Muz…
Diffusé sur MyCanal jusqu’au 11/05/2020
Le synopsis
Lady Winsley, une romancière américaine, est assassinée sur une petite île turque. Le célèbre inspecteur Fergan arrive d’Istanbul pour mener l’enquête. Très vite, il doit faire face à des secrets bien gardés dans ce petit coin de pays où les tabous sont nombreux, les liens familiaux étroits, les traditions ancestrales et la diversité ethnique plus large que les esprits.
Un petit voyage en Turquie vous tente et vous aimez les polars à la sauce Agatha Christie, «Qui a tué Lady Winsley» vous ravira !
Dans le décor énigmatique et fantasmagorique d’une Turquie comme on ne l’a jamais vue, dénuée de ses touristes en cette période hivernale, on emboîte le pas de l’inspecteur Fergan afin de découvrir les habitants hauts en couleur de cette île au large du Bosphore et le meurtrier qui s’y cache. La présence de cet intrus d’origine kurde venant de la ville va bousculer cette petite communauté, ancrée dans des traditions ancestrales.
Hiner Saleem qui s’était déjà illustré précédemment en mêlant les genres avec «My sweet pepperland» en 2014, aborde ici le film noir sur le ton de la comédie burlesque se jouant des clichés de son pays, des rapports hommes/femmes mais aussi des distensions entre turcs et kurdes.
Le meurtre de lady Winsley va mettre l’inspecteur sur les pas d’un précédent meurtre perpétré vingt ans auparavant et sur lequel la romancière travaillait mais dont l’ouvrage a disparu. L’hypothèse selon laquelle l’assassin serait le fruit d’un adultère va jeter de l’huile sur le feu et créer le désordre dans la population insulaire. Va suivre une série d’événements aussi cocasses que drolatiques
L’acteur turco-allemand Mehmet Kurtulus, connu pour sa collaboration avec le réalisateur allemand Fatih Akin («Head-On» 2004, «Julie en juillet» 2000) est tout à fait épatant et truculent dans le rôle de cet inspecteur d’origine kurde.
Sur une trame policière maintes fois exploitée au cinéma, le réalisateur surprend et ravit par sa mise en scène mêlant burlesque, mélancolie, romance et drame social, nimbée des cicatrices d’une société turque conservatrice.
Sorti le 5 octobre 2018
Dans la série des films noirs, on ne peut écarter le maître du genre et l’un de ses plus grands chefs d’œuvres.
Quai des Orfèvres
De Henri-Georges Clouzot
Avec Louis Jouvet, Suzy Delair, Bernard Blier, Simone Renant…
Diffusé sur Ciné+ Classic jusqu’au 19/10/2020
Le synopsis
Jenny Lamour, chanteuse de music-hall douée, ne manque pas d’ambition. Elle accepte l’invitation à dîner de Brignon, homme riche et puissant qui peut l’aider dans sa carrière malgré l’opposition de Maurice, son époux. Jaloux et se croyant trompé, Maurice se précipite chez Brignon pour découvrir son rival assassiné.
«Quai des Orfèvres» marque le retour d’Henri-Georges Clouzot à la réalisation après quatre ans de mise à l’écart à la libération pour collaboration avec l’ennemi, ayant tourné «Le corbeau» pour la Continental, firme de production financée par les allemands et jugée anti-français.
Henri-George Clouzot adapte très librement un roman noir de Stanislas-André Steeman, en y incluant une brillante étude de mœurs et sociale. Sous le prétexte d’une intrigue policière (qui arrive au bout de trente minutes), il propose un questionnement sur le couple à travers les personnages de Jenny Lamour (Suzy Delair) chanteuse ambitieuse, prête à tout et son mari Maurice Martineaux (Bernard Blier) compositeur faible et jaloux. Sur un ton léger, il plante le décor d’un vaudeville dans le milieux du music-hall de l’après-guerre, très justement décrit qui ajoute un aspect quasi documentaire au film. Au son de la célèbre ritournelle «Avec son tralala» écrite par Francis Lopez, Clouzot distille alors toute la noirceur de son propos et un certain pessimisme au travers du personnage libidineux de Grignon (Charles Dullin), du cynisme de l’inspecteur Antoine (sublime Louis Jouvet) et de l’arrivisme de la chanteuse. Il tord cette noirceur grâce à un certain humour noir et une idée de l’amour qui sauve de tout.
Clouzot se permet des détours scénaristiques assez audacieux pour l’époque en attribuant un fils à l’inspecteur Antoine, un petit garçon noir ramené des colonies qu’il élève seul. L’homosexualité de Dora, l’amie photographe du couple est à peine dissimulée lorsque Antoine lui déclare qu’elle est un type dans son genre, elle n’aura jamais de chance avec les femmes.
Influencé par l’expressionnisme mais aussi par les films noirs américains, on notera la subtilité et la qualité photographique du film. L’utilisation des décors, des contrastes du noir et blanc, des ombres ajoute à l’atmosphère fascinante de l’ensemble.
Si Suzy Delair, Louis Jouvet et Bernard Blier sont remarquables et trouvent ici l’un de leur meilleur rôle, les personnages secondaires ne sont pas en reste avec Charles Dullin, grand homme de théâtre et amateur d’art, ici à contre-emploi en financier crapoteux, Raymond Buissières et Robert Dalban en petits délinquants minables ou encore Pierre Larquay en chauffeur de taxi. Sans oublier le froid ressenti tout au long du film, reflet des privations de l’après-guerre : c’est un personnage central. Tout le monde grelotte, s’emmitoufle dans des écharpes, des pulls, des manteaux, on gèle dans le commissariat car on manque de charbon. Clouzot utilisent tous ces costumes et accessoires pour mieux servir les émotions et les sentiments des personnages.
Triomphe critique et public à sa sortie, les qualités du film ne se démentent pas avec le temps. Choix de la distribution, subtilité et précision de la mise en scène, aspect documentaire des mises en situation, modernité du propos, répliques cinglantes et humour noir font que «Quai des Orfèvres» conserve une place privilégiée au panthéon du 7ème art.
Sorti le 3 octobre 1947
Isabelle Véret
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