Adieu les petits clopeurs ! Gilles Miquelis, portrait.
J’ai souvent cité des textes d’écrivains, Jacques Henric, Cécile Mainardi, pour parler de la peinture de Gilles Miquelis, peut-être parce que son œuvre se prête peu à une froide analyse, mais inspire une création parallèle, celle de l’écriture. C’est pourquoi, aujourd’hui, pour rendre compte de son exposition chez Lola Gassin, j’emprunterai à Alain Cambier un passage de son beau texte qui me permet de dire au revoir à ces petits clopeurs que j’ai choisi de montrer, en février 2019, entre mes murs : « (…). A travers cette série de portraits, il s’agit d’exprimer l’infatuation d’enfants issus de milieux aisés de la bourgeoisie qu’un avenir tout tracé attend impatiemment. Avec leur cigarette au bec, ils affichent un dédain de classe de ceux qui disposent déjà d’un statut privilégié, l’assurance de faire partie de l’élite, la puissance désinvolte de ceux qui n’ont rien à craindre de l’avenir. La cigarette peut être ici le symbole de leur vanité ou tout simplement suggérer qu’ils sont déjà vieux avant l’âge. (…). »
Les petits clopeurs
Sont-ils si dédaigneux ces garçons et ces filles d’une hypothétique classe privilégiée, ou bien ne cherchent-ils pas plutôt, en bravant l’interdit de la première cigarette, à entrouvrir les portes d’une liberté encore inconnue pour eux ? Nous nous sommes entretenus sur cette histoire de cigarette, Gilles Miquelis et moi, sans qu’il tranche vraiment sur sa signification, mais sa conclusion a été qu’elle avait correspondu à une série qui était arrivée à sa fin. Cependant, comment tourner la page si l’on ne sait pas de quoi elle a été faite ?
Je vais essayer, sans trop trahir la pensée de l’artiste, de transcrire ici quelques bribes de notre conversation à bâtons-rompus. Miquelis dit : « j’avais l’intention de faire une dizaine de ces portraits, en faire plus n’était pas mon propos… Je peins très vite, avec l’impression parfois de peindre mal, c’est très enlevé, brossé en trois, quatre heures, ça suffit largement… C’est ma technique picturale. Je conçois cette approche comme une recherche, et tant pis si c’est prétentieux, comme des sortes de croquis à la manière des impressionnistes – une façon de noter des impressions fugitives, de ne pas retravailler les détails. Les traits de pinceau sont visibles, ils sont portés directement sur la toile. »
A ma question de savoir s’il peint sur le modèle – je connais son entourage et parfois je crois retrouver des visages –, sa réponse est claire et honnête : « Mon inspiration vient de peintures fin XIXème siècle, comme Singer Sergent, Harrington Mann, ou d’autres artistes dont j’ai oublié le nom, ce sont des portraitistes quasiment inconnus à l’exception de Sergent, qui a travaillé avec Manet. Ces peintres ont une forme de virtuosité étonnante bien que condamnés à travailler essentiellement le portrait. On trouve chez eux une très belle énergie qui aurait pu, si les circonstances avaient été autres, égaler ou dépasser un Manet. Il y avait dans cette expression picturale, quelque chose qui m’intéressait – pas la virtuosité presque impossible à rendre – mais la beauté des personnages dans certains détails, un regard, un drapé … Mes toiles sont le produit de ces reprises, de ces mélanges… La cigarette, c’était sans doute le moyen de casser cette rigidité, parfois insupportable chez ces petits bourgeois. Maintenant retrouver chez un peintre des réminiscences d’images de ceux qui lui sont familiers, une femme, enfant, des parents, ça n’a rien d’exceptionnel. »
Autopsie d’un tableau.
La page des clopeurs étant tournée, que dit Miquelis de ce grand format (2×2 mètres) présent dans l’exposition et qui pourrait annoncer une nouvelle étape ? « Comme le tableau de la femme qui fait la vaisselle dans sa baignoire, il s’agit là d’un intérieur – sans doute inspiré par des illustrations des années cinquante. Il décrit un temps immobile, l’ambiance plombée d’une famille où rien ne se passe. Seules les jambes de l’homme sont présentes, la femme semble triste et déçue et l’enfant qui s’ennuie, regarde par la fenêtre vers un ailleurs possible…. C’est très lâché, presque mal peint exprès, et encore plus vite que dans les précédentes toiles, mais c’est aussi plus dessiné, plus proche de l’abstraction …
Cette famille des temps modernes, où plus personne ne s’intéresse à personne, où l’on ne lit plus, où seuls les appareils électroniques, la télévision sont au centre du sujet, est une préoccupation en peinture que j’approche ici, sans obligation, mais avec un intérêt certain. »
Et la technique alors ?
Miquelis répond : « je peins toujours à l’huile. Même si j’aime l’acrylique et la gouache, je n’ai jamais réussi à les manipuler comme je voulais. L’huile c’est rattrapable, j’efface beaucoup, à grands coups de white Spirit et j’aime peindre dans le frais. Peindre dans le frais c’est, comme son nom l’indique, repeindre dans la peinture fraiche ; une technique épouvantablement difficile qui s’attrape, mais ne s’apprend pas. Il s’agit de reprendre dans une toile un moment qui m’ intéresse et que je vois apparaitre. En effaçant, puis en rajoutant de l’épaisseur, je commence à voir venir ce que je cherche et à un instant précis, il me faut prendre la décision ; la toile est finie ! C’est un moment étonnant, quelquefois sujet à de grandes déceptions, mais aussi à des joies intenses. Que se passe-il à ce moment là ? On est dépassé, on ne reconnait pas sa peinture, elle vous échappe… Ce sont des instants inexplicables, qui n’ont ni début, ni fin, et souvent je m’arrête par épuisement physique. Ma peinture est, c’est certain, plus physique que mentale, elle résulte d’un véritable effort, d’un dépassement. Mon but est d’aller chercher cet étonnement, jusqu’à ce que la chose m’échappe totalement, que je ne la reconnaisse pas. »
Nous avons choisi, Gilles Miquelis et moi, pour cette exposition qui vient de se terminer en mars 2019, à Nice, le simple titre de « Peintures ». A ma question de savoir ce qu’il avait retenu de son exposition, il m’a répondu : « beaucoup d’étonnement ». C’est pour moi, le plus beau des compliments car Miquelis, depuis que je m’occupe de son travail, d’abord comme commissaire, à la galerie Norbert Pastor à Nice, puis à la galerie Marlborough, à Monaco et enfin, en 2014 et aujourd’hui chez Lola Gassin, à Nice, n’a cessé de m’étonner lui-aussi, par son œuvre essentiellement, mais aussi par les mots simples et évidents qu’il emploie pour traduire la si difficile perception du phénomène peinture.
A l’avenir, vers quoi vont se porter les recherches de Miquelis ? Le sait-il vraiment ? Je viens de lire sous la plume de Philippe Lançon – vous vous souvenez, Le Lambeau – un sage conseil : « Prévoir, en général, c’est se tromper ».
Exposition en cours, « la Force du Dessin » : Gaëlle Chotard, Angèle Guerre, Michel Houssin, Gilles Miquelis, Bernard Moninot, Françoise Pétrovitch, Muriel Toulemonde..
Musée de Vence – Fondation Emile Hugues
2, Place Du Frêne
Vence
http://www.museedevence.com