Adrien Vescovi et Florian Schönerstedt explorent le temps.
De Nikaïa à Cemenelum
Beaucoup de belles choses se passent à Nice en ce moment, d’où la difficulté de les suivre toutes, et donc de les relater …Mais puisqu’il me faut choisir, deux expositions m’ont vraiment passionnée ; je pense même que sont les meilleures que j’ai vues depuis longtemps ! Étrange pour une rétinienne comme moi – sorte d’insulte que m’avait jetée à la tête, en son temps, une responsable de la Culture – car elles ne demandent pas simplement de faire appel à l’émotion du regard, mais à entrer en profondeur dans les processus de création de ces artistes. A la Galerie des Ponchettes, comme au Musée d’Archéologie de Cimiez, autrement dit, de la ville grecque, Nikaïa, à la ville romaine, Cemenelum, Adrien Vescovi avec « Mnémosyne » et Florian Schönerstedt, avec « Méta-archéologie» ont interrogé le temps. Leur démarche, a priori sans filiation, m’a enthousiasmée par son intelligence, la fraîcheur et la simplicité avec lesquelles chacun des artistes me l’a faite percevoir et le plaisir que j’en ai retiré, visuellement et intellectuellement.
Pour résumer en quelques mots, le choix des commissaires, Hélène Guenin pour l’exposition d’Adrien Vescovi et Bertrand Roussel pour celle de Florian Schönerstedt je dirais : odyssée entre les différents états de la matière et l’art comme une aventure alchimique chez Vescovi ; collecte, conservation, classification, typologie, enregistrement, un vocabulaire de l’archéologie, enrichi d’une pratique de l’installation et de travaux en lien avec le cinéma d’animations, chez Schönerstedt.
« Mnémosyne », d’Adrien Vescovi
Si l’on reconnait à Mnémosyne, déesse de ma mythologie grecque, le pouvoir d’avoir inventé le langage, pourquoi ne pas donner à Adrien Vescovi celui d’inventer des couleurs ? Permission accordée, tant ces grands draps libres, suspendus à différentes hauteurs, et rythmant l’espace de la Galerie des Ponchettes selon des jeux de parallèles et de perpendiculaires, invite le visiteur à une promenade sensuelle et sensorielle par la subtile variation des ocres chauds du Roussillon et des terres du Maroc qui ont infusé ses toiles, exposées ensuite pendant des mois à la lumière froide et aux intempéries du ciel néerlandais, jouant ainsi de ces mouvements nord/sud qui marquent l’histoire de la peinture. C’est un flamboyant camaïeu pompéien de couleur pour cette grande lessive artistique séchant sur les fils d’un musée, mais aussi un entrelacs de cordes tressées et plongées dans des bocaux aux décoctions étranges où elles infusent progressivement par la matière/couleur créée par Vescovi. Ces « jus de paysages » comme aime à le dire l’artiste, témoignent des différentes géographies dans lesquelles il travaille (Haute-Savoie, Roussillon, région marseillaise) ou qu’il explore (Maroc, Mexique, Brésil). Processus, hasard dirigé ou « apprivoisé », ils sont le fruit d’une quête permanente d’interaction entre le végétal, le géologique ou l’organique, dans une fascination pour les « énergies à l’œuvre » dans la vie matérielle de la peinture, où le temps joue un rôle essentiel.
« Méta-archéologie » de Florian Schönerstredt
Ma perception du travail de Florian Schönerstredt a été d’une nature toute différente pour plusieurs raisons, d’abord par le manque de familiarité avec les expositions du Musée d’Archéologie – lacune à laquelle je me suis promise de remédier – à l’inverse de la galerie des Ponchettes dont je suis familière, mais aussi par l’accès à l’œuvre qui, contrairement à celle de Vescovi directement perceptible, ne vous est pas donnée immédiatement, car elle résulte de plusieurs facteurs qui entrent en jeu et qui, pour certains, m’étaient étrangers. Il est vrai qu’il y a aujourd’hui chez de nombreux artistes contemporains une disposition à prélever, réserver, récolter des éléments de la réalité dont ils entendent restituer l’histoire ou, pour le moins, montrer de quoi elle est constituée, comme l’écrit Maurice Fréchuret dans la préface du catalogue de cette exposition, mais chez Florian Schönerstedt, qui a passé deux années de travail au musée d’archéologie de Nice en alternance avec d’autres projets, la démarche est fondamentalement celle de l’archéologue et en cela, tout à fait originale.
Je vous recommande de voir le film et de vous procurer l’excellent petit catalogue de l’exposition qui détaille et explique la teneur d’une telle recherche, mais néanmoins, en néophyte, je vais essayer de vous communiquer mon emballement.
On avance dans cette exposition, de découvertes en découvertes, et chaque recherche ouvre une voie à explorer avec attention *, mais c’est le travail de Schönerstedt sur les fouilles de Cimiez qui m’a donné ce sentiment de surprise enfantine si difficile à restituer. Imaginez des chercheurs, étudiants, bénévoles, recueillant dans des contenants les moins scientifiques, les plus farfelus possibles, tels des paquets de cigarettes, pots de yaourts, boites de biscuits, barquettes alimentaires, etc., tout ce qui archéologiquement pouvait présenter un intérêt et qui, une fois cette récolte analysée et sauvegardée, ont choisi de conserver ces conditionnements obsolètes – on se demande d’ailleurs pourquoi. Ce sont ces résidus auxquels Florian Schönerstedt a eu accès – environ six mètres cube de ces emballages avec la terre qu’ils contenaient encore – et qu’il va emporter chez lui, trier, nettoyer, photographier, regrouper pour qu’ils deviennent ces accumulations présentées dans le musée. Cette archéologie du quotidien vient enrichir le protocole que Florian Schönerstedt a mis en place chez lui où il conserve, nettoie, regroupe, empile, scanne tout ce qu’une famille – trois personnes dans son cas – produit comme déchets récupérables sur une année.
Schönerstedt consigne cet incroyable travail de rigueur et de constance sur l’archéologie du quotidien par une brillante pratique de vidéaste où les images, en boucle, se succèdent à grande vitesse et entretiennent avec l’histoire de l’art, Raysse, Dine, Rauschenberg etc., un dialogue fructueux. Ce patient et opiniâtre travail de fourmi que l’artiste réalise en fonction d’un programme préétabli, n’est pas s’en rappeler l’œuvre d’On Kawara ou Roman Opalka, artistes auxquels Schönerstedt voue une grande admiration.
*Pour vous donner un accès plus large au travail de Florian Schönerstedt, je vous conseille d’ouvrir cette fiche de salle : Feuille_de_salle_Cimiez_A3_21_03_19
« Mnémosyne », jusqu’au 8 septembre 2019
Galerie des Ponchettes [MAMAC, hors-les-murs]
77, quai des États-Unis Nice
et
« Méta-archéologie », jusqu’au 19 mai 2019,
Musée d’ Archéologie de Nice /Cimiez
160, avenue es Arènes de Cimiez Nice
Merci pour cet article très intéressant. Cela donne un point de vue au delà d’une exposition, sur un territoire.Toutes deux font références à la fois au passé lointain mais aussi au passé proche (nouveaux réalistes/ affichistes pour Schönerstedt et Support surface pour Vescovi) et malgré tout l’approche est très différente.