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Balade niçoise, premier volet

Annoncée par une brève dans mon blog d’avril, la voici, cette balade dans mon quartier, le centre de Nice. Habitant à deux enjambées de la Villa Masséna, je me devais de commencer ma déambulation par une longue visite à l’exposition Charlotte Salomon Vie ? Ou Théâtre ?, installée jusqu’à fin mai 2016  dans ce lieu prestigieux.

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Villa Masséna – Jardins –

Pour positionner cet événement dans l’ensemble du panorama contemporain de la Ville, il me faut faire un peu d’histoire, et ce, à plusieurs niveaux. D’abord rappeler que depuis son arrivée comme Conservateur général du patrimoine et Directrice des Musées de Nice, Marie Lavandier nous a confrontés à un dépoussiérage de deux lieux emblématiques de la Ville, le musée des Beaux-Arts Jules Chéret où elle a organisé en 2015, une très intéressante exposition Raoul Dufy, dans le cadre de  l’événement Nice 2015, Promenade(s) des Anglais, et aujourd’hui, au Musée Masséna, l’exposition Charlotte Salomon. De quoi rafraîchir la vision des Niçois qui considèrent encore, pour certains tout au moins, la Villa Masséna comme un lieu uniquement consacré à l’histoire locale. C’est là surtout qu’un peu d’histoire s’impose pour rappeler comment est née et a évolué cette belle demeure, en plein cœur de la promenade des Anglais.

Construite en 1898 par Victor Masséna, prince d’Essling, cette villa de style à la fois néo-classique italien et Empire, en hommage à Napoléon Ier auquel les Masséna doivent leur titre, est conçue pour de brillantes réceptions. Ses jardins sont dessinés par le paysagiste et botaniste Édouard André…

En 1919, la famille cède la propriété à la Ville de Nice à la condition qu’on y aménage un musée et que le jardin soit ouvert au public. Le musée Masséna était né ! Inauguré en 1921, il se consacrera pendant des décennies à l’histoire locale jusqu’à l’aube du XXIe siècle où un grand chantier de rénovation s’est imposé…

Après plusieurs années de restauration, il rouvrira le 1er mars 2008 pour offrir au public des salons ayant retrouvé le faste et la chaleur d’antan, avec un ensemble de boiseries des premières années du XIXème siècle et un mobilier de style Empire. Mais la nouveauté de cet aménagement a consisté principalement en une mise à disposition d’une surface d’exposition permanente de 1 800 m² qui permet aujourd’hui d’organiser des événements de l’ampleur de l’exposition Charlotte Salomon.

Pourquoi Charlotte Salomon Vie ? ou Théâtre ?

Charlotte peignant dans le jardin, autour de 1939

Charlotte peignant dans le jardin, autour de 1939…

Conceptrice de l’exposition, Marie Lavandier* souligne que ce choix vient d’une volonté du Maire, Christian Estrosi, bouleversé par la lecture du livre  Charlotte, de David Foenkinos et en réponse aussi à une communauté juive désireuse de voir exposés à Nice, après une brève présentation à Villefranche-sur-Mer l’année précédente, les trois cents gouaches, dessins, pastels, textes calligraphiés, conçus par l’artiste entre 1940 et 1942 sur la Côte d’Azur où elle s’était réfugiée avec ses grands-parents.

L’œuvre de Charlotte Salomon est restée globalement méconnue en France, malgré deux expositions organisées à Paris, au Centre Georges Pompidou en 1992 et au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme en 2006, mais l’année 2015 a marqué un tournant avec la publication du roman Charlotte de David Foenkinos et la sortie d’une édition intégrale de Vie ? ou Théâtre ? par l’éditeur français, Le TRIPODE.

J’ai eu le privilège de bénéficier d’une visite privée et c’est d’abord l’intelligence de la mise en espace de cette œuvre, à nulle autre pareille, que je veux saluer ici.

Marie Lavandier nous donne une lecture chronologique du roman visuel de Charlotte Salomon – je l’appelle roman, je pourrais aussi bien dire bande dessinée ou opéra, car la musique y participe – sans dissocier les peintures des textes de l’artiste, troublants, tragiques et si caustiques parfois… au point que, petits poucets, nous devons revenir en arrière pour ne pas perdre le fil de cette histoire qui met en scène trois générations d’une même famille et oscille entre récit ou conte, entre Vie ou Théâtre !

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Scénographie de l’exposition -Kristof Evrart et Marcel Bataillard –

Dans ce parcours, nos surprises, nos émotions sont aussi rythmées par l’utilisation de la couleur pour les murs de chaque salle, comme les couleurs primaires, rouge, jaune, bleu, utilisées par Charlotte ; un arc-en-ciel à la mesure de nos états d’âme, heureux résultat d’une scénographie tout en nuances…

Vous l’avez compris vous ne devez en aucun cas rater cette exposition, mais elle ne vous exonère pas de lire Charlotte, de Foenkinos et surtout pas d’acquérir Charlotte Salomon Vie ? ou Théâtre ? le magnifique ouvrage publié par LE TRIPODE.

Cette compilation incroyable de dessins, gouaches, pastels, textes, est incontestablement l’œuvre d’une belle artiste en devenir, dont le tempérament a été profondément marqué par un drame familial, initialement insoupçonné d’elle – toutes les femmes de sa lignée se suicident – mais aussi par la tragédie qui s’est jouée en Europe où l’idéologie nazie a conduit à l’Holocauste.

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Collection Jewish Historical Museum, Amsterdam © Charlotte Salomon Foundation

Mais au-delà de la puissance étonnante du témoignage, comment considérer l’œuvre de Charlotte Salomon dans l’histoire de la peinture du XXème siècle ? A-t-elle sa place au sein de l’expressionnisme allemand – certains portraits, traités en gros plans, nous rappellent Ernst Kirchner – mais c’est aussi à Chagall que l’on pense avec ces scènes aux personnages multiples, représentés comme en lévitation…

Trêve de comparaison, cette œuvre à été peinte dans l’urgence, par une jeune fille cherchant à fuir, dans la création, l’horreur que lui laissait présager son avenir. Qu’aurait été l’œuvre de Charlotte, si elle avait échappé aux camps de la mort et connu l’enfant qu’elle portait ? Il en va ainsi de ces destins tragiques qui créent dans la fulgurance d’une fin proche… Se demande-t-on de quoi seraient faites aujourd’hui les toiles de Jean-Michel Basquiat ?

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Documents d’archives

Mais revenons à la Côte d’Azur, c’est à Villefranche-sur-Mer et Nice que Charlotte a donné vie à ce « Leben ? Oder Theater ? » Et l’intérêt de l’exposition réside aussi dans cet ancrage, révélé par des documents d’archives, témoignages, mais aussi gouaches et dessins représentant la villa où elle a demeuré. «  C’est toute ma vie» a-t-elle dit à son médecin, le docteur Moridis, en lui confiant ses dessins avec mission de les remettre à Ottilie Moore, sa protectrice américaine…

Vous l’avez compris, on ne sort pas indemne d’une telle exposition, aussi j’ai préféré arrêter là ce premier volet de ma balade… Dans un deuxième, ce seront d’autres lieux de mon quartier que je vous proposerai de visiter avec moi…

 * Une conférence a été donnée par Madame Marie Lavandier, Directeur des Musées de Nice, le dimanche 22 mai 2016 à 15 heures :

« Un style pictural inclassable au service d’une biographie romancée ».

Elle a clôturé un cycle de conférences programmées dans le cadre de l’exposition « Charlotte Salomon Vie ? ou Théâtre ? », présentée du 4 février au 24 mai 2016 au musée Masséna. Réalisée en collaboration avec le Jewish Historical Museum d’Amsterdam, cette exposition propose la découverte d’originaux, gouaches, dessins, pastels et archives inédits de Charlotte Salomon.

À partir d’une analyse stylistique fine de l’œuvre de Charlotte Salomon, cette rencontre approfondira la question de la portée artistique de Vie ? ou Théâtre ?  Les influences picturales, cinématographiques de l’artiste, formée à l’École des Beaux-Arts de Berlin, seront évoquées ainsi que les conditions dans lesquelles cette toute jeune femme a trouvé et utilisé le matériel et les matériaux nécessaires pour peindre plus de 1300 gouaches sur sa vie en quelques mois. Mais c’est surtout le style vivant, original, hétérogène, totalement inédit de l’œuvre qui retient l’attention, alliant peinture, textes et musique en une composition fascinante qui plonge l’observateur dans la vie d’une jeune femme juive allemande dans les années 1930.

(Entrée libre)

65, rue de France – Nice

Et aussi ce samedi 21 mai :

Une première mondiale dans les jardins de la Villa Masséna

Dans les jardins sud de la Villa Masséna, le compositeur Michel Redolfi a imaginé « les jardins de Charlotte »,  un opéra féerique et turbulent, point d’orgue de l’exposition Charlotte Salomon « Vie ? ou Théâtre ? ». Ce concert spatialisé est une première mondiale.

Dans les salons de la Villa Masséna, en écho à l’exposition « Nice le départ de la gloire », ont été interprétés des airs de l’Empire chantés par la chorale du Souvenir napoléonien.

 

Cet article comporte 1 commentaire

  1. grinda

    Helene,
    tu es formidable!

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