Ben, « On est tous fous »
Un ami me rappelait il y a quelques temps ces mots de Gilles Deleuze :
« Les gens n’ont de charme que par leur folie. Voilà ce qui est difficile à comprendre. Le vrai charme des gens c’est le côté où ils perdent un peu les pédales, c’est le côté où ils ne savent plus très bien où ils en sont. Ça ne veut pas dire qu’ils s’écroulent au contraire, ce sont des gens qui ne s’écroulent pas. Mais, si tu ne saisis pas la petite racine ou le petit grain de folie chez quelqu’un, tu peux pas l’aimer. On est tous un peu déments, et j’ai peur, ou je suis bien content, que le point de démence de quelqu’un ce soit la source même de son charme. »

Christian Estrosi et Ben, photographie Ville de Nice crédit Pascal Segrette
Cet aphorisme m’est revenu en mémoire au moment d’écrire sur l’exposition de Ben « on est tous fous » au Musée d’Art Naïf Anatole Jakovsky à Nice. Je l’ai trouvé d’un à propos flagrant et la parfaite définition de l’esprit de l’événement. Et si certains esprits chagrins ou simplement jaloux doutent encore du bienfondé de cette consécration donnée à Ben par la ville de Nice en lui offrant, pendant une année, ce charmant musée d’Art Naïf, qu’ils méditent un instant sur ces quelques mots d’un de nos grands philosophes.
Cependant, il y a-t-il encore une place privilégiée pour la folie Christian Estrosicréatrice dans le monde d’aujourd’hui alors que la démence est partout, des faits-divers atroces aux positions politiques inconsidérées, plus pressées de se gargariser de mots comme la guerre plutôt que la paix ? Mais revenons à Ben et son exposition, a-t-elle ce grain de folie que réclame Gilles Deleuze pour nous charmer ? Oh que oui ! Et je ne suis pas la seule à le saisir si j’en crois la foule joyeuse qui se pressait au vernissage.
Comment expliquer ce sentiment de joie et de chaleur ressenti ? C’est être saisi dès le sas d’entrée par une accumulation géante de petits formats, rappelant les accrochages serrés des vieux musées italiens, je pense au Palazzo Pitti en particulier, où l’on baigne dans la peinture, à tel point que se cultiver, ce n’est pas savoir, mais ressentir. Bonheur rétinien, me diront les plus doctes, mais bonheur tout de même, qui va de La salle de jeu on l’on passe du baby-foot au piano à queue égrenant en boucle les mélodies d’Erik Satie, pour rejoindre La chambre à coucher où trône le lit sex maniac, entouré de la machine à suicide et la photo du magasin de Ben à Nice. Par l’escalier que Ben nomme L’escalier psychiatrique, parce que nourri d’écritures : « je suis fou, sincère, bipolaire, etc… », on accède à l’étage pour Regarder le Mont Chauve et la Vérité avec une série de 16 œuvres de Ben sur le sujet (un petit clin d’œil régionaliste, un peu croute mais amusant). Puis vient la jolie idée de ces hommages aux autres, avec Pour, sans ou contre les autres où Ben articule les œuvres de sa collection aux siennes et affiche les noms des artistes choisis, une façon d’affirmer des préférences à la barbe de tous. Pour l’espace dévolu à la Salle vidéo et Introspection je me réfère à l’artiste puisqu’il s’agit de prospectives : « J’avais prévu de projeter dans la salle cinéma mon film « Vous » ainsi que de projeter tous les vendredis des films « création libre » mais obligatoirement réalisés sur place à Nice un film tous les 15 jours ». Ici, j’y vais de mon commentaire pour vous inciter à aller voir le film de Ben si ce n’est pas encore fait, mais renseignez-vous car vous l’aurez remarqué, il y a une petite incohérence, il y a-t-il spectacle tous mes vendredis ou tous les 15 jours (NDLR) ?

Ben « baignoire vérité », photographie ville de Nice crédit Pascal Segrette
Mais la visite n’est pas finie. J’ai sauté la salle Le chaos et l’horizon par inadvertance ou bien parce que Ben m’ennuie beaucoup quand il parle politique ou ethnie ? En revanche j’ai particulièrement aimé J’aime les autres car Ben, contrairement à beaucoup d’artistes, aime ses semblables et les achète ! Enfin ne manquez pas L’appartement, un salon de livres (sélection changée tous les mois), une salle réservée aux fous à lier, la chambre du conservateur et la salle de bains (endroit de prédilection de Ben).
Faut-il s’étonner de cette exposition carte blanche, de sa mise en place de mai 2023 à mai 2024, sur un espace de 500m² de ce musée habituellement dédié à l’art brut, naïf et singulier ? Pas si on se souvient que Ben, l’un des artistes majeurs du XXème siècle, est connu dans le monde entier pour ses actions et ses peintures. Si l’on sait que sa production est à la fois une réflexion sur l’art dans ce qu’il a de plus fondamental mais intégrant notre quotidien dans ce qu’il a de plus particulier. Alors pour faire taire les pinailleurs qui s’interrogent sur la présence de Ben dans musée d’Art Naïf, il faut dire que Ben, s’il n’est pas naïf, est en tout cas, bien singulier. Singulier dans son accessibilité, singulier dans l’affection qu’il porte aux artistes, singulier dans son attachement à Nice, singulier dans son humour, singulier dans sa vie.
En conclusion, et pour se référer à Gilles Deleuze, Ben, c’est sa folie qui fait son charme.
Jusqu’au 6 mai 2024
Musée International d’Art Naïf Anatole Jakovsky
Château Sainte-Hélène
23, avenue de Fabron -Nice
Bel hommage ! Bravo ! Christine