Emmanuel Mouret, un marivaudage amoureux…
Arte propose jusqu’au 14/06/2021 la diffusion sur sa plateforme de replays de cinq films d’Emmanuel Mouret e,t par la même occasion, de plonger avec délice dans son monde fantaisiste et poétique du marivaudage amoureux.
Vénus et fleur, 2004, avec Véroushka Knoge, Isabelle Pirès…
Changement d’adresse, 2006, avec Frédérique Bel, Emmanuel Mouret, Fanny Valette, Dany Brillant…
Un baiser s’il vous plaît, 2007, avec Julie Gayet, Michaël Cohen, Emmanuel Mouret, Virginie Ledoyen…
Fais-moi plaisir !, 2009, a,Avec Emmanuel Mouret, Frédérique Bel, Judith Godrèche, Déborah François, Jacques Weber…
Caprice, 2015, avec Emmanuel Mouret, Virginie Efira, Anaïs Demoustier…
Depuis 2010 et son premier film «Laissons Lucie faire», Emmanuel Mouret redéfinit le vaudeville, mêlant des dialogues très littéraires au burlesque, sans jamais tomber dans le grotesque. Il partage avec le spectateur sa vision de l’amour, des rencontres fortuites, des amours impossibles ou rêvés, des chassés-croisés. Il interroge sur les sentiments, les joies, les déboires, les doutes, les mensonges ou la trahison. Son personnage principal qu’il interprète souvent lui-même dépeint l’homme dans toute sa maladresse, sorte d’anti-héros tout à la fois touchant, pathétique, drôle, charmant, indécis, souvent à la merci des femmes.
L’univers d’Emmanuel Mouret
Si Emmanuel Mouret décline le thème amoureux depuis ses débuts, il utilise une mise en situation particulière et propre à lui, qui fait de ses films une œuvre unique dans le cinéma français. Chaque scène rend un vibrant hommage à toute sa cinéphilie. Digne héritier d’Eric Rohmer pour ses dialogues lettrés, on sent aussi l’influence de Woody Allen pour les hésitations incessantes de ses personnages masculins, à Jacques Tati et ses maladresses, mais aussi à Sacha Guitry pour sa drolatique vision du vaudeville ; on pourrait encore citer Ernst Lubitsch, Billy Wilder ou Mankiewicz, de grands noms de la comédie américaines auxquelles il se réfère et qu’il adore.D’aspect théâtral, la mise en scène est souvent décalée dans l’utilisation des décors, des costumes, des lumières, des couleurs.
La littérature est un support important dans le travail de Mouret. Bien qu’il se défende d’être un littéraire, les deux derniers films du réalisateur en sont clairement inspirés. Le formidable «Mademoiselle de Joncquière» (2018), est une adaptation de l’histoire de «Madame de la Pommeray» insérée dans le roman «Jacques le Fataliste et son maître» de Denis Diderot. Il persiste et signe dans son dernier opus «Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait», sorti sur les écrans en septembre dernier, construit sur le postulat de la théorie du «désir mimétique» du philosophe René Girard (1923-2015). Mouret en propose une application de ce qu’on pourrait résumer par la théorie fondée sur l’imitation «action de reproduire ou de figurer». Dans le cas présent, Mouret se délecte à l’appliquer dans son trio amoureux.
La littérature est présente aussi dans les décors. En arrière plan, dans tous les intérieurs, on repère des bibliothèques dont les étagères regorgent de livres, décors chers à Rohmer, dans lesquels tous les livres étaient savamment choisis. De même, les couleurs d’intérieurs en adéquation aux costumes, sont calqués aux personnages. Telle une signature qu’il appose sur sa mise en scène, on retrouve des marques de fabrique comme l’utilisation des ombres chinoises quand des personnages ont des conversations en aparté («Caprice» ou «Mademoiselle de Joncquière»). A l’instar des films de Rohmer, il a imposé dans ses dialogues ce phrasé très littéraire, parti pris présent dans tous ses films. Ce détail pouvant dérouter ou donner un ton factice à l’intrigue, avec le risque de le classer définitivement dans le cinéma d’auteur et intellectuel, opère tout en charme et apporte une certaine sensualité aux propos ; ils semblent en effet comme susurrés à l’oreille de ses comédiens.
La troupe
Le personnage d’Emmanuel Mouret semble l’objet du désir des femmes, et pour cela il a su s’entourer au fil de ses dix films de comédiennes traduisant le reflet de sa pensée, tantôt douces, sensuelles, ou opiniâtres, tenaces, exigeantes bref elles portent clairement la culotte. Certaines sont présentes depuis le début. Ainsi Frédérique Bel devient sa muse en interprétant à quatre reprises ses héroïnes. Pour autant, il va faire appel à de nombreuses jeunes comédiennes en parfaite adéquation avec son univers ; on croise au détour de ses films Judith Godrèche, Virginie Efira, Virginie Ledoyen, Anaïs Demoustier, Julie Gayet, Camélia Jordana, Julie Depardieu, Cécile de France… Du côté des hommes, s’il interprète lui-même son personnage de séducteur maladroit dans tous ses premiers films, il s’entoure aussi de comédiens d’univers divers. On reconnaîtra à deux reprises le charme discret de Michaël Cohen, et impose différents personnages masculins incarnés par Laurent Stocker, Stefano Accorsi ou Jacques Weber, ou plus récemment, Edouard Baer, Nils Schneider et Vincent Macaigne. Frédéric Niedermayer, son producteur avec qui il collabore depuis ses débuts est au cœur de sa famille de cinéma. On peut d’ailleurs l’apercevoir dans «Vénus et Fleur, «Changement d’adresse» ou «Fais-moi plaisir !».
Un cinéaste féministe
A travers tous ses films, Emmanuel Mouret offre au spectateur de très beaux portraits de femmes modernes, libres et maîtres de leur destin, où les hommes peinent à s’imposer. Dans son cinéma, les femmes prennent les décisions quand les hommes restent indécis et font tout leur possible pour être à la hauteur sans y parvenir à chaque fois. Il prend un malin plaisir à représenter l’homme comme un objet entre les mains des femmes sans en être prisonnier, il peut même s’y trouver heureux. C’est une vision proche de la réalité, néanmoins totalement fantasmée, où les protagonistes ont cette intelligence du cœur qui enjoint à penser que tout se termine bien. Pour autant, il n’idolâtre pas la femme au point d’en faire un être parfait. Le mensonge et la manipulation ne sont pas l’apanage de la gente masculine. On découvre aussi la cruauté et la solitude de certaines femmes en lutte pour conserver leur liberté. «Mademoiselle de Joncquières» est en ce sens son film le plus sombre dans lequel son héroïne, incarnée par Cécile de France, se transformant en féministe vengeresse avant l’heure, se perd dans son jeu de manipulation.
La musique
Emmanuel Mouret déclare à Marie Sauvion dans le Télérama du 19/09/2020 : «La musique d’un film, c’est l’air que respirent les personnages».
Il est, à n’en pas douter, un cinéaste mélomane. Au fil de ses films, on suit les chassés-croisés amoureux de ses protagonistes au rythme des partitions de Brahms, Mozart, Offenbach ou Tchaïkovski. Les rencontres se font sur du Chopin, se défont sur Debussy ou Satie. Dans «Changement d’adresse», il incarne un corniste qui s’éprend de son élève. Dans «Un baiser s’il vous plaît», le son de Schubert accompagne l’intrigue jusqu’à devenir un des rôles clé. La musique chez Emmanuel Mouret n’est pas une simple illustration, elle enveloppe chaque plan, chaque séquence. Elle résonne tel un écho dans les scènes de ruptures, de doutes ou de joie. Il déclare : «Dans mes films, c’est le silence qui fait l’événement. (…) C’est comme une voix off purement sentimentale». La musique permet d’illustrer une humeur, elle nous projette dans un propos précis.
Le personnage que développe Mouret est en proie aux doutes, cherchant à simplifier la situation dans laquelle il se trouve, sans toutefois y parvenir, bien au contraire, se laissant envahir par les circonstances et se retrouve à l’opposé de ce qu’il avait imaginé. Il est sans cesse pris entre deux désirs, son propre désir et le désir d’avoir bonne conscience. A partir de là s’enchaîne les situations cocasses où son personnage se tourne souvent en ridicule. «Fais-moi plaisir !» est sans doute son film le plus farfelu. Les gags visuels ou de situations s’enchaînent. De la scène de présentation de son invention qui ne sert à rien et qui tourne au désastre à la séquence de la soirée chez Elisabeth (Judith Godrèche), l’ensemble est une suite de catastrophes dans la plus pure tradition de la comédie burlesque. Il arrive toutefois à en faire un atout séduction et force est de constater que les femmes ne sont pas insensibles à son charme maladroit.
Structure de l’intrigue
Dans «Un baiser s’il vous plaît», Mouret construit l’intrique sur une double histoire, la première relatant la seconde. On retrouve ce système de l’histoire dans l’histoire dans son dernier film «Les choses qu’on dit, les choses qu’on a fait». Ainsi quand les personnages de Julie Gayet et Michaël Cohen se rencontrent, on peut s’attendre à un début de romance. Cependant, chacun vit déjà en couple et pour cette raison, elle va refuser son baiser. Elle lui propose alors de lui expliquer les raisons de son refus en lui narrant l’histoire d’une amie qui voulut aider son meilleur ami en manque d’affection. La trahison va être au centre du propos de tout le film. Entre ingénuité et machiavélisme, les personnages de Virginie Ledoyen et Emmanuel Mouret se lancent dans une histoire aussi improbable que drolatique. Deux histoires, deux ambiances : feutrée et mélancolique pour la première, farfelue et décalée pour la seconde, néanmoins nimbées de romantisme dans les deux cas. La structure narrative en miroir amplifiant le dilemme des situations, Emmanuel Mouret y développe une sorte de réflexion en forme de parenthèse où, là encore, il s’inspire de «Jacques le fataliste» de Diderot. Les deux intrigues sont comme suspendues
dans le temps, petite bulle de liberté, qui néanmoins influencera le devenir de chacun. Avec ce film, il déploie tout son sens du burlesque, empreint de mélancolie et prend beaucoup de liberté dans la structure narrative. Sur le thème universel du marivaudage amoureux, les personnages sont une fois de plus tiraillés entre leur propre désir et le désir de bien faire.
Pour le plaisir du verbe, la cocasserie des situations, le burlesque des personnages, les références au cinéma de Rohmer, Truffaut, Tati… aux influences littéraires et musicales fortes, les films d’Emmanuel Mouret sont à consommer sans modération !
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Isabelle Véret