Judy Chicogo "Chicago On Fire"
Judy Chicogo "Chicago On Fire"

« Cosmogonies. Au gré des éléments ». L’exposition du MAMAC – Nice

Yves Klein, Cosmogonies « Sans titre (COS013) »

Réfrénant mon désir primordial de sauter pieds joints dans les éléments : Eau, Terre, Feu, Air et leurs combinaisons mises sur la sellette par Hélène Guenin, la jeune et brillante directrice du Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain, il me faut cependant livrer, en préambule, un brin d’éclairage sur le programme dans lequel s’inscrit cette exposition.

En réponse à une stratégie de la Ville de Nice qui  axe les événements contemporains de l’été sur l’exploration poétique et historique des pratiques environnementales,  plaçant l’écologie et le développement durable comme les grands enjeux de notre temps, Cosmogonies ouvre le bal, avec une centaine d’œuvres et de documents qui tissent une filiation entre des positionnements contemporains et les enjeux artistiques déjà explorés par Yves Klein, à l’aube des années soixante, alors qu’il entreprend de saisir les « états-moments de la nature ».

Sur ce thème, le MAMAC présente quatre-vingts œuvres de près de cinquante artistes.

Davide Balula,  » Buried Painting »

Plonger les deux pieds dans les éléments, c’est une façon triviale de dire que si le discours d’Hélène Guenin est brillant et peut sembler trop conjoncturel à la traditionaliste que je suis, attachée, sans doute, à ce que l’homme a su faire de la matière en la transformant et en la sublimant, son choix des artistes et des œuvres présentés démontre matériellement ce qu’exprime, avec brio, sa pensée.

Entamer la visite et ouvrir le catalogue  – indispensable – en citant Gaston Bachelard : « Les formes s’achèvent. /Les matières, jamais. /La matière est le schème des rêves indéfinis. », corrobore ce que je viens de formuler avec une certaine désinvolture.

L’exposition se décline sur les trois espaces du premier étage du musée.

Barbara et Michael Leisgen « la Création des nuages », 1974

Dans le premier : Convoquer les éléments : l’eau, la terre, le feu, l’air composent un paysage originel que vont interroger bon nombre d’artistes depuis une cinquantaine d’années. Fascination, quête d’interaction entre les éléments et les énergies qui les traversent, empreintes, collectes d’échantillons ou encore confrontation physique avec le corps de l’artiste, comme avec Stromboli, 2002, de Marina Abramovic ou Soffie di foglie, 1979, de Giuseppe Penone ou encore Scrivere sull’acqua, 1973, de Maurizio Nannucci sont autant de gestes qui captivent. Même choc, mais avec les blocs de matière à l’état brut, prélevée, figée, dans les œuvres de la Boyle Family avec Elemental Study for Barcelona Site .

Capter l’énergie primordiale, c’est partir des Cosmogonies d’Yves Klein, Cosmogonies sans titre (COS 8), 1960, pour explorer l’action des éléments, des forces atmosphériques. Expérimenter de véritables greffes du vivant sur l’artificiel, étudier la pratique de la combustion, avec Aquarius, 2007 de Charles Ross, de la pollinisation, de la germination avec Grass Grows, 1969, d’Hans Haacke, de la cristallisation, avec Salpetre 1, 2004, de Capucine Vandebrouck, de

Charles Ross « Solar Burns », 1977

la putrescence, avec Underground 04 (Lens), 2007, d’Édith Dekyndt … Ces jeux d’interaction avec la fertilité de l’humus, les pluies, les rythmes organiques de la croissance ou de la métamorphose, sont autant d’expérimentations et de célébrations des impulsions vitales de la matière.

Tetsumi Kudo, « Sans titre », 1971

Réunies dans « Chaosmose », figurent les préoccupations d’artistes, et ce depuis le années 60 et l’avènement de l’anthropocène*, qui réagissant à l’irresponsabilité de l’homme face à la dégradation de son environnement, proposent divers comportements pratiquement antagonistes. Alors que certains s’attachent à une pratique artistique qui tente de réparer le monde en apportant une forme de soin à des écosystèmes vulnérables, comme Gina Pane, avec Terre protégée II, 1968, ou à favoriser la renaissance de formes de vie en danger, tel Agnes Denes avec Three Mountain – A Living Time Capsule, Ylojarvi, Finland, 1992, d’autres, au contraire, adoptant une position critique, prennent acte de la corruption de la nature et composent alors des univers de toutes pièces, comme Tetsumi Kudo, avec Sans titre, 1972, ou encore Piero Gilardi, avec Orticello, 1966. Viennent enfin les démiurges comme Hicham Berrada qui, avec Présage, Tranche, 2005 – 2018 (paysage chimique conservé) nous prédisent un sombre univers de science fiction.

Vous l’aurez compris, le parcours de cette exposition est dense, documenté, intelligemment choisi et analysé par la curatrice, Hélène Guenin. Si je ne cite ici que quelques artistes sur la cinquantaine qui forment ce passionnant ensemble, c’est que j’ai retenu ceux dont les pièces, pour moi, font œuvre, au-delà de la démonstration. Mais il est juste de les citer tous :

Hicham Barrada, »Présage, Tranche », 2005-2018

Marina Abramovic, Dove Allouche, Giovanni Anselmo, Davide Balula, Hicham Berrada, Michel Blazy, Marinus Boezem, Boyle Family, John Cage, Charlotte Charbonnel, Judy Chicago, Emma Dajska, Edith Dekyndt, Agnes Denes, Quentin Derouet, Noël Dolla, Piero Gilardi, Andy Goldsworthy, Hans Haacke , Ilana Halperin, Peter Hutchinson, Yves Klein, Irene Kopelman, Tetsumi Kudo, Maria Laet , Barbara et Michael Leisgen, Anthony Mc Call , Susana Mejia, Ana Mendieta, Bernard Moninot, Teresa Murak, Maurizio Nannucci, Otobong Nkanga, Yoko Ono, Denis Oppenheim, Gina Pane, Giuseppe Penone, Evariste Richer, Charles Ross, Vivien Roubaud, Rúrí, Tomas Saraceno, Charles Simonds, Michelle Stuart, Thu-Van Tran, Nicolas Uriburu, Capucine Vandebrouck, Maarten Vanden Eynde

* Ce terme a été popularisé à la fin du XXe siècle par le météorologue et chimiste de l’atmosphère, Paul Josef Crutzenprix Nobel de chimie en 1995, pour désigner une nouvelle époque géologique, qui aurait débuté selon lui à la fin du XIIIème avec la révolution industrielle, et succéderait ainsi à l’Holocène.

De Juin au 16 septembre 2018

MAMAC – NICE

Place  Yes Klein

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