Dans le respect des traditions, Eduardo Arroyo, Fondation Maeght
Ce parcours d’une œuvre sous l’angle thématique et non rétrospectif comme il a été dit, ne peut qu’enchanter (le mot n’est pas trop fort) les amateurs de peinture dont je suis ! Et cette déambulation au travers des belles salles de la Fondation Maeght, dont j’ai appris par un plan des lieux qu’elles portaient chacune un nom, nous fait naviguer d’une période à une autre, d’un mode d’expression picturale pur à un genre plus littéraire, mais où Eduardo Arroyo met, face à face, comme ces boxeurs qu’il affectionne tant, la vie contre la mort, dans une lutte à la fois tragique et joueuse, qu’en arbitre, il observe d’un imperceptible sourire dont on ne sait s’il est de joie ou de douleur.
S’il y a tant à dire sur la vie d’Arroyo, sur ses jeunes années dans une Espagne franquiste qui le répugne, sur sa venue à Paris dont il dit : c’est la France qui m’a formé et dont il parle fort bien la langue, sur son appartenance et ses amitiés avec la Figuration narrative… c’est plutôt comme l’a fait Olivier Kaeppelin, avec intelligence et, me semble-t-il, en osmose avec l’artiste dont je vous propose de visiter l’exposition, c’est-à-dire en néophyte, les yeux grands ouverts, abandonné à la séduction des formes et des couleurs !
Suivons donc un parcours buissonnier quant à la chronologie de l’œuvre d’Eduardo Arroyo qui murmure (ne dit-on pas qu’il faut parler bas pour être entendu) ses commentaires, rehaussés par Olivier Kaeppelin et surtout par des images étonnantes de fraîcheur !
Dans le respect des traditions, comme dirait Arroyo, d’un sourire ravageur, commençons par la salle Braque, à droite juste après l’entrée, dans un ordre initié par celui qui fut le grand prêtre de la Fondation, Jean-Louis Prat ; nous y rencontrons ce que le document de présentation appelle L’Espagne obsédante. Représentée, dans le sas d’entrée, par La mujer del minero Pérez Martinez llamada Tina es rapada por la policia, 1970, cette troublante huile sur toile d’une femme rasée, aux boucles d’oreilles aux couleurs de l’Espagne et sur les joues de laquelle ruissellent des larmes. Tout est dit !
José Maria Blanco se sent observé près de Cock Lane, 1979, une peinture provocatrice et combative qui illustre le militantisme d’Arroyo contre le régime du Caudillo, et quelques superbes toiles sur le même thème complètent cet accrochage, qui au-delà d’être militant, montre sans retenue le génie du peintre. Après cette grande claque, revenons à des choses plus douces, en apparence tout au moins, Ciseaux et crayons montre la passion d’Arroyo pour le crayon, l’aquarelle, le pastel, le découpage. Toute la ville en parle, 1984, inspiré du film éponyme de John Ford, flirte avec la BD, alors que sa série au crayon gras, Ramoneurs, met en scène, dans une ambiance sombre, un ramoneur, sorte de figure de l’ombre, un être ambivalent, à la lisière du bien et du mal…
Je vous le disais précédemment, rien de rétrospectif dans cet accrochage, ce qui nous réserve donc l’étonnante surprise, dans la salle Miro, d’être face à ce qu’Olivier Kaeppelin appelle Toiles récentes, des œuvres d’une fraîcheur et d’une modernité renversantes. Dans ce cas, je cède à l’envie de laisser parler le peintre : » A l’origine, mes tableaux étaient plus anecdotiques, travaillés avec des matières. Avec le temps, je l’ai abandonnée, la matière… C’est vrai qu’il y a eu un changement profond dans mon œuvre. Quand l’Espagne a retrouvé sa liberté, moi aussi j’ai retrouvé ma propre liberté. Les thèmes de l’espagnolade m’obsédaient moins. Ma peinture est devenue plus douce, plus cryptique, plus ambiguë, plus surréaliste. A présent je peins à Paris, je peins à Madrid, et je peins dans ma montagne de Leon, près des Asturies. Ce sont mes trois lieux de prédilection. «
Ces toiles qu’Arroyo a réalisées spécialement pour son exposition à la Fondation continuent à interroger l’Histoire culturelle, religieuse, politique, mais elles le font au temps présent et avec facétie autant dans les sujets abordés que dans la texture du rendu sur la toile qui, avec ces personnages stylisés, gagne en légèreté et en modernité, en particulier Sylvia Beach fête la publication d’Ulysse de Joyce dans la cuisine d’Adrienne Monnier, 2016-2017, une toile à la mise en scène étrange qui convoque, comme toute l’œuvre d’Arroyo, les peintres mais aussi les écrivains. Saisissante aussi parce que talentueuse et toute récente Le retour des croisades, 2017 met en scène un vieux picador à cheval (Cervantès ou Arroyo ?) revenant dans une Espagne figurée par un patchwork de petits paysages multicolores et anecdotiques.
Descendons maintenant les quelques marches, avec à votre gauche le patio de la Fondation, pour découvrir dans cette petite salle souvent à vocation didactique et documentaire, une surprenante installation, Vanités et mouches, un ensemble d’objets de tailles différentes, en pierre, plomb, laiton, bronze et acier, installés sur des murs tapissés d’un papier peint, représentant lui aussi des mouches (animal odieux qui, depuis l’antiquité, harcèle l’homme jusqu’à le rendre fou ; n’oublions pas Belzébuth, le seigneur des mouches). Le thème des vanités est également présent dans ces pierres rondes en forme de crâne dont les orbites et la bouche sont marquées par des inclusions de plomb. Arroyo y affirme là son constant combat contre la mort, sa partenaire et sa meilleure ennemie !
Ma visite n’est pas exhaustive, aussi je m’arrête devant ce qui m’époustoufle, et Berlin, où Arroyo a séjourné en 1976, m’est apparu comme un épisode particulièrement fort dans le parcours de l’artiste et le stimulus important pour sa création. J’en donnerai pour exemple Ronde de nuit aux gourdins, 1975-1976, cette réplique de la Ronde de Nuit de Rembrandt.
Encadrés par deux panneaux représentant des paysages urbains crépusculaires, les personnages d’Arroyo portent battes de baseball, matraques et gourdins au lieu des épées, mousquets, et arquebuses des guerriers du XVIIème siècle… Pastiche d’une des plus grandes œuvres de l’histoire ? Pas du tout, mais une fresque flamboyante qui rend un hommage aux Maîtres de la peinture.
Dans d’autres salles encore, Olivier Kaeppelin célèbre l’art d’Arroyo pour penser la peinture et la peindre ! La peinture au secours de la peinture, Figure, Paysage Marine sont autant de voyages dans un univers immense dont on a longtemps dit qu’il était mort, et qui resplendit ici dans sa force et sa juvénilité !
Pour conclure, ce qui pourrait paraître anecdotique mais qui, parce que l’intelligence, l’humour et la culture de l’homme sont grands, nous offre ce que l’art a de délicieux, la possibilité d’une double, d’une triple lecture, visitons la salle Winston Churchill et la reine d’Angleterre. Eduardo Arroyo fait du portrait, ce genre privilégié des artistes à travers les siècles et dans la modernité, un exercice moqueur et critique. Ses tableaux sont peuplés de personnages familiers comme de leurs doubles.
L’artiste détourne le genre classique de l’autoportrait et du portrait en figurant de « vrais » sujets affublés de « faux traits » ou de « faux visages », leur préférant des « masques », qui dévoilent l’intériorité des personnages plutôt que leur vérité historique. Personnages fictifs ou réels, anonymes ou célèbres, à qui Arroyo impose un véritable jeu de rôles, de masques et de travestissements, que ce soit la série des Napoléon Bonaparte Pont d’Arcole, le portrait de Winston Churchill ou encore, Titan White Rembrandt I, 1969 ou Le meilleur cheval du monde, 1965…
Jusqu’au 19 novembre 2017
Fondation Marguerite et Aimé Maeght
06570, Saint-Paul-de-Vence
Félicitation pour ce résumé de qualité fait suite à la visite de l’exposition de cet artiste !
Merci beaucoup
Bien à vous elisabeth