Des préjugés à mettre à la poubelle
Des faits étrangers l’un à l’autre et non simultanés, m’ont amenée à trouver étrangement confortable le fait d’abandonner deux de mes nombreux préjugés, le premier sur la sur la nature de l’écriture de Virginie Despentes, le second sur la valeur du film de Jean-Luc Godard, Le Mépris.
A la manière de Thierry Martin qui, dans ce numéro de septembre, m’a proposé sous le titre de Presque bonheur et presque ennui, deux sujets, l’un sur un film, l’autre sur un livre, j’ai eu envie d’accoler, sans raison apparente, Virginie Despentes à Jean-Luc Godard.
Vous me direz que l’actualité me l’a suggéré ; Godard a choisi de mourir et Despentes semble être l’auteure qui avec Cher connard, fait le plus parler d’elle dans la presse. Cependant mon inclination n’a rien à voir avec ce type de renommée, juste ce qu’on pourrait appeler le hasard… Ce n’est pas Cher Connard dont je vais vous parler mais de King Kong Théorie qu’une amie m’a offert lors d’un café partagé, avec la demande expresse de lui donner mon avis.
Ce n’est pas non plus sur A bout de souffle mon film préféré de Godard qui a retenu mon attention, mais Le Mépris qui tous deux été programmés à la télé en hommage à la disparition de Jean-Luc Godard.
N’ai-je pas parlé de préjugés qui me coûtaient cher comme on disait dans la pub ? Oui, et dans les deux cas ces œuvres que j’aimais peu a priori, me coûtaient ma tranquillité d’esprit, car je déteste ne pas aimer !
De Virginie Despentes, je n’avais pas lu Baise-moi, mais Vernon Subutex (trois tomes) et je m’étais beaucoup ennuyée… Alors que trouver dans King Kong Théorie ? Eh bien tout ! Car il y a tout dans ce bouquin … sur les femmes, sur les hommes, sur le viol, la prostitution, la drogue, les rapports humains, sujets abordés avec une incroyable honnêteté, dans une langue crue, brutale, mais sans pause ni tricherie. Ce devrait être le bréviaire de toutes les féministes, leur point de référence, mais Despentes n’est pas que féministe, elle est surtout une femme qui pense bien, qui pense juste. Elle est drôle de surcroît, une qualité rare chez tous ceux qui ont abordé des sujets aussi graves que ceux que j’ai énumérés plus haut. C’est d’autant plus brutal et pertinent que cet essai a été publié en 2011… Il aurait du réveiller les foules mais ça n’a pas été le cas, tant il faisait trop mal là où il passait. On a préféré parler de vulgarité là où il y avait l’audace de la franchisse. C’est simple, si je me laissé aller je recopierais tout le bouquin ! Je vous propose juste méditer sur la quatrième de couverture : J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf. Et je commence par là pour que les choses soient claires : je ne m’excuse de rien, je ne viens pas me plaindre. Je n’échangerais pas ma place pour aucune autre parce qu’être Virginie Despentes me semble être une affaire plus intéressante à mener que n’importe quelle autre affaire.
Une affaire qui en vaut la chandelle et qui place aujourd’hui Virginie Despentes parmi nos meilleurs écrivains (tous sexes confondus) français, mais qu’elle n’a pas certainement pas du mener sans blessures. Si le viol, la prostitution, la drogue, l’alcoolisme ont plutôt tendance à laminer l’individu qu’à le rendre créatif, Virginie Despentes s’en est bien sortie, mieux que ça, s’en sort avec panache et son roman épistolaire (Cher connard, paru en août chez Grasset), semble la mettre sur le devant de la scène littéraire actuelle. Sur la 5, lors de la nouvelle mouture de La Grange Librairie, présentée par Augustin Trapenard, Virginie Despentes avait la douceur et la bienveillance de la guerrière au repos.
Le Mépris
Comment n’ai-je pas compris lorsque j’ai vu Le Mépris de Jean-Luc Godard à sa sortie en 1963, que j’étais devant un des grands chefs-d’œuvre et le meilleur film de Godard, le plus riche plastiquement, le plus intemporel.
Faut-il rappeler l’histoire, même si l’on n’a pas lu le livre éponyme d’Alberto Moravia dont il est librement inspiré ? Oui, car elle est assez compliquée et aborde, pour une des première fois, le thème du film dans le film.
La trame : Le scénariste parisien Paul Javal et son épouse Camille rejoignent le réalisateur Fritz Lang en tournage pour le compte du producteur de cinéma américain Jeremy Prokosch, sur le plateau du film Ulysse (une adaptation de l’Odyssée) en chantier à la villa Malaparte à Capri, en Italie. Il est proposé à Paul Javal de reprendre et de terminer le scénario du film, ce qu’il accepte, pour des raisons économiques. Durant le séjour, Paul laisse le riche producteur seul avec Camille et encourage celle-ci à demeurer avec lui, alors qu’elle, intimidée, insiste pour rester auprès de Paul. Camille pense que son mari la laisse à la merci de Prokosch par faiblesse et pour ne pas froisser ce nouvel employeur. De là naissent des malentendus, la déchirure et la désagrégation du couple ….

« Le Mépris »,Brigitte Bardot
Revoir Le Mépris à la télévision, comprendre chaque mot des dialogues grâce à l’emploi des sous-titres (rendons grâce à la technique) et s’apercevoir qu’ils sont beaucoup plus écrits que ce que l’on pense, revoir ces somptueuses images de villa de Malaparte grâce à photographie de Raoul Cloutard et Alain Levent, être envoutée par la musique de Georges Delerue (dont le célèbre thème de Camille) et plus inoubliable encore, se remémorer la rencontre de Michel Piccoli et Brigitte Bardot qui va faire de l’actrice, son film, celui de la femme telle que Godard la conçoit et telle que Bardot l’incarne. Si le phénomène Bardot doit représenter plus tard quelque chose dans l’histoire du cinéma, au même titre que Garbo ou Dietrich, c’est dans Le Mépris qu’on le trouvera. Comme le dit Jean-Louis Bory, le fidèle critique de la nouvelle vague : « Je ne sais dans quelles conditions le tournage a eu lieu ni si Bardot et Godard se sont bien entendus. Le résultat est là : il y a rarement eu entente aussi profonde (consciente ou non — consciente, je suppose, chez Godard) entre une actrice et son metteur en scène. »
Pour la petite histoire, Godard, parce que Bardot refuse de mettre une jupe au dessous du genou, la cadre plus près et la fait tourner en peignoir. Il négocie l’aplatissement de sa coiffure alors « choucroutée », s’il marche sur les mains ( vrai et filmé, j’ai vu les images !).
Oui pour moi le pers est le meilleur film de Godard. J espère te voir un de ces jours à l’occasion d un vernissage ou autre