« Dom Juan … et les clowns », ou quand rire crée du lien social.
Dom Juan … et les clowns, Théâtre de Nice.
Pourquoi cette formule me vient-elle à l’esprit pour parler d’un moment délicieux que j’ai passé au Théâtre de Nice dernièrement ? Elle ne fait pourtant pas partie de mes expressions favorites, elle a même le don de m’irriter, tant je la vois utilisée à toutes les sauces pour définir conférences, colloques, expositions, spectacles qui n’ont, parfois, que cette appellation pour justifier leur manque de qualités…
Eh bien c’est tout le contraire avec le Dom Juan clownesque que nous a offert l’excellente Compagnie niçoise Miranda* qui, grâce à son talent, a donné de la culture (comment ne pas succomber encore une fois à la beauté du texte de Molière) la plus légère, la plus enlevée des illustrations.
Pourquoi parler de lien social plutôt que de relater simplement la qualité de cette représentation ? Parce qu’elle a répondu, pour moi, à la rencontre de trois facteurs : le choix d’Irina Brook d’avoir programmé un spectacle autre que ceux qu’elle conçoit, même si elle reste responsable de la mise en scène, en offrant ainsi à cette troupe niçoise l’importante lisibilité que représente la scène du Théâtre de Nice ; la mise à disposition du théâtre pour Passionnément TNN, Club d’Entrepreneurs *qui offre à ses membres un divertissement de qualité, suivi d’un dîner servi sur la scène de la salle Pierre Brasseur ; et en ce qui me concerne, l’invitation à participer à cette fête.
Mais revenons à ce Dom Juan… et les clowns, avec au générique, l’auteur : Molière ; la mise en scène : Irina Brook à partir d’un premier travail de Mario Gonzalez ; la production : la Compagnie Miranda ; la distribution :Thierry Surace (Dom Juan), Jérôme Schoof (Sganarelle), Sylvia Scantamburlo (Dona Elvire), Florent Chauvet ou Frédéric Rubio (Pierrot et Don Alonso), Christophe Servas (Don Louis et Don Carlos), Eva Rami (Charlotte et le Spectre), Élodie Robardet (Mathurine et le pauvre)…
Que dit la fable : Dona Elvire, après avoir été enlevée d’un couvent et épousée par Dom Juan, vient d’être abandonnée par lui. Sganarelle fait alors le portrait de Dom Juan : c’est un « grand seigneur méchant homme » à la conduite scandaleuse. Un impie, un débauché qui séduit les femmes, les épouse et les abandonne…
Que nous dit-on de Dom Juan… et les clowns ? « Qu’il apporte un éclairage inattendu sur des personnages devenus mythiques. Don Juan séduit et défie, bafoue honneur et dévotion, ébranle l’ordre social, familial et religieux. Mais, en véritable héros moderne, il préfère dîner avec la mort qu’entrer dans le costume trop étroit des conventions. Quant à Dona Elvire, si excessive dans son désir de reconnaissance, on rit de son malheur pour ne pas en pleurer. Sganarelle, valet fidèle et homme d’esprit, devient le clown attachant qui détient l’humanité de la pièce. Indifférents au conformisme, les clowns franchissent les limites sans rien prendre au sérieux, ni la vie ni la mort. »
Si Dom Juan est ici traité en farce, les nez rouges, les accoutrements grotesques et la gestuelle paroxystique n’enlèvent rien à gravité du propos et à la pertinence de la critique de la société. Au cœur de ces clowneries, le texte de Molière qui éclot comme une fleur n’en est que plus émouvant. Une gageure difficile et parfaitement réussie grâce au jeu enlevé de cette troupe parfaitement cohérente, avec, pour moi, une préférence pour le personnage de Sganarelle, qui comme le Leporello du Don Giovanni de Mozart, orchestre l’œuvre.
C’est parce que j’ai ri sans retenue à la fraîcheur de ce Dom Juan… et les clowns, que je parle de lien avec les autres… Un moment privilégié, ressenti avec intensité qui a évoqué pour moi trois des belles émotions de ma vie données par le théâtre : Victor ou les enfants au pouvoir, de Roger Vitrac, interprété par Claude Rich, en 1962 ; Du vent dans les branches de sassafras, de René de Obaldia, joué par Michel Simon en 1963, et en 1986, Ariane ou l’âge d’or, conçu et joué par l’extraordinaire Philippe Caubère !
Centre Dramatique National Nice-Côte d’Azur
Direction : Irina Brook
Promenade des Arts – 06300 Nice
http://www.tnn.fr/fr/
* Passionnément TNN, Club d’Entrepreneurs. Rassembler et mobiliser les professionnels venant d’horizons variés autour de la culture, afin de faire découvrir à un large public le monde du théâtre, lieu de rêve, de partage et ainsi promouvoir le Théâtre National de Nice. L’association organise des actions caritatives. Elle convie à chacune de ses soirées des membres d’associations locales tels que : Les Restos du cœur, La Fondation Lenval, La Croix-Rouge, Le Secours Populaire. https://www.passionnementtnn.fr/les-partenaires/
*La compagnie Miranda : née à Nice en 1993, elle est aujourd’hui l’une des plus importantes compagnies théâtrales de la Région PACA. Elle a créé plus de 40 spectacles tous publics (dont 13 créations originales) et 20 spectacles jeunes publics. Elle a adapté des textes du grand répertoire ainsi que des auteurs contemporains.
Elle mène aussi depuis 20 ans des actions sociales et pédagogiques auprès d’un public jeune et dit en difficulté avec un travail de sensibilisation et de prévention par le théâtre.
En 2006, elle ouvre à Nice un espace de création, de formations professionnelles Afdas et de résidences pour compagnies émergentes. Et depuis 2010, elle s’occupe de la direction artistique du Théâtre de la Cité, un théâtre de 200 places à Nice centre.
2, rue Jean-Baptiste Calvino – 06100 Nice
https://www.compagniemiranda.com/
* Adieu, Ferdinand ! Philippe Caubère.
2 Déc>14 Jan 2018 – Théâtre de l’Athénée-Louis-Jouvet – 75009 Paris