Double exposition à la Villa Arson, « La Doublure » et « Go Canny ! »
A vos méninges, disais-je, en préambule aux expositions Gustav Metzger, Vivien Roubaud, auxquelles j’associais La Doublure et Go Canny ! Il est temps que je vous parle de ces expositions de la Villa Arson.
La doublure
Le titre et l’idée sont empruntés au premier roman (1898) éponyme de Raymond Roussel, dont le personnage principal, doublure d’un célèbre acteur de théâtre, se dédouble en traversant le Carnaval de Nice…
De ce canevas original, les commissaires, Abäke, Sofie Dederen, Eric Mangion et Radim Pesko ont imaginé des développements possibles en partant du mot doublure et des divers sens qu’il peut revêtir : étoffe qui double un vêtement, habillage intérieur d’un objet, ou personne qui joue abusivement le rôle d’un autre, etc., pour dire qu’un objet peut vivre dans la fiction, dans l’imaginaire, dans l’inconscient personnel ou collectif, et en même temps dans le réel… De là, émergent des situations joliment imprévues, comme ces jeunes étudiants et étudiantes, transformés en cartels vivants pour vous expliquer ce qui est, peut-être, ou ce que nous avons cru voir ou comprendre… L’exposition a débuté à la 27ème Biennale de Brno (République tchèque) en 2016 sous le titre Which Mirror Do You Want to Lick ?, avec le support du Gouvernement flamand et du Frans Masereel Centrum, mais était-ce bien la même, ou disons plutôt qu’elle voyage presque à l’identique, tout en se transformant, de la République tchèque à la France, en passant par la Belgique ! Ne m’en demandez pas plus, car je pourrais ainsi continuer à noyer le poisson avec une série non-sens et je cite : une artiste présente dans toutes les conversations et curieusement absente ; l’affiche d’un Festival de cinéma datant de 1939, mais qui s’est tenu en 2002 ; une œuvre décrite dans un roman, mais produite sur place ; une typographie inconnue et pourtant utilisée ; des œuvres abandonnées qui reprennent vie ; des disques réels de musiciens irréels… Sans compter tous ces objets entre deux eaux, deux existences, deux mondes.
Une question se pose alors : que serait le réel sans toutes ces choses qui n’existent pas ? Et nos commissaires ou d’autres (ne me demandez pas non plus de décliner les noms des artistes participants, ils sont innombrables, vivants et morts, imprononçables ou qu’on peut à peine orthographier…) de nous donner en pâture le début de L’Homme sans qualités de ce cher vieux Robert Musil : « Ainsi pourrait-on définir simplement le sens du possible comme la faculté de penser tout ce qui pourrait être « aussi bien », et de pas accorder plus d’importance à ce qui est qu’à ce qui n’est pas. »
Amen !
Go Canny! Politique du sabotage.
Go Canny ! Autrement dit : ne vous foulez pas ! est l’injonction ouvrière des dockers écossais de la fin du XIXème siècle, mécontents de ne pas obtenir l’augmentation de salaire qu’ils méritaient… Sous ce titre, nous dit-on, l’exposition explore des stratégies de résistance de dissension, contestation, perturbation, dérèglement… s’apparentant au sabotage, acte créatif par excellence (sic) qui mobilise inventivité et débrouille. Les artistes de l’exposition pratiquent l’art du grain de sable, intervenant sur les rouages pour amorcer les dérapages, mobiliser les consciences, produire une poésie du dysfonctionnement et pourquoi pas des transformations en profondeur.
Nathalie Desmet, Eric Mangion et Marion Zilo, les commissaires, font un intéressant distinguo entre le vandalisme, qui consiste à détruire, et le sabotage (travailler comme un sabot), soulignant ainsi que cette technique du ralentissement de la productivité par nonchalance, ou par excès de zèle, etc., crée des stratégies de résistance plus efficaces que les formes habituelles de mécontentement -manifestations, grèves, occupation. Ces grains de sable, infimes éléments perturbateurs, ne sont visibles qu’au regard d’une modification qu’ils apportent à l’ordre du quotidien et par ricochet à la marche des puissants.
C’est en cela que le sabotage échappe à la répression et devient, en tant que geste éminemment libre, l’acte créatif par excellence. Il mobilise l’inventivité, la débrouille, le système D. Désobéisseurs, saboteurs, perturbateurs, enquiquineurs, c’est ainsi que se veulent les artistes de l’exposition qui, par leurs subtils actes perturbateurs, cherchent à montrer l’énergie de l’acte créateur.
Y sont-ils parvenus ? Est-ce qu’on ne ronronne pas un peu trop dans l’acte post-duchampien qui gangrène, tant soit peu, la diversité de la production française, la faisant tourner sur elle-même, de centres d’art en centres d’art, de musées en galeries émergentes… Mais ça, c’est un autre sujet !
Là encore la multiplicité des participants m’empêche de tous les nommer, mais pour ma part, j’ai eu par rapport à ces gestes artistiques quelques émotions agréables (mais est-il convenable de parler d’émotions), je dirais alors que certains actes m’ont chatouillé les neurones : Célia Babiole et son Couloir Aérien. Il s’agit de détecter le trafic aérien civil à proximité de l’exposition en exploitant les signaux radio de localisation émis par les avions volant aux alentours. Introduire les avions détectés dans l’exposition sous forme sonore, etc. Pour parler comme Ben, je dirais 8/10 ! Amandine Ducrot, Neige. Poncer murs et plafond d’un espace afin qu’ils tombent en poussière et couvrent le sol. Laisser le public inscrire les traces de son passage et déplacer la poussière… pas nouveau, sans doute, mais éminemment beau et philosophiquement fort, car l’œuvre ainsi obtenue sera toujours présente tant que vivra Arson ! Nicolas Daubane, Sabotage 5. Mettre du sucre dans du béton frais. Élever un pilier dans l’espace. Couler le béton frais dans le coffrage du pilier. Laisser le sucre suinter… J’aime l’idée de cette architecture évolutive… Claude Cattelain, Composition Empirique N° 7. Rassembler un ensemble de poutrelles d’acier et de bois. Tester les limites des corps et des matériaux pour créer des tensions. Faire tenir le tout par simple pression des étais. Entraver l’espace… Encore une histoire d’architecture… Hervé Paraponaris, Étant volé, étant donné. Recomposer physiquement la collection initiale. Contrefaire les objets en les recouvrant de plâtre. Opérer un blanchiment… Voilà une pièce qui me pose une question : à qui appartient l’œuvre qu’un artiste a faite à partir d’objets volés ? Martine Semeria, 500 euros. Aller à la banque. Retirer 500 euros en pièces d’un centime, insister pour que la banque centrale rassemble les pièces. Faire un tapis des pièces d’un centime en reprenant les proportions du billet initial… Travail titanesque qui m’interroge quant à sa réalisation… Fayçal Baghriche, Enveloppement. Enrouler méticuleusement un drapeau sur lui-même afin de ne laisser apparaître qu’une couleur, effacer ainsi toute identité nationale. Installer le drapeau sur une hampe sur un mur extérieur…
Il m’a semblé évident qu’un lien fort unissait ces jeux d’artistes mis sur la sellette dans ces deux expositions, aux questionnements posés par les expositions de la Ville, et que, une fois n’est pas coutume, la Villa Arson et le MAMAC marchaient la main dans la main ! Quelle meilleure matrice, en effet, que l’œuvre de Metzger pour ces jeunes artistes que sont Vivien Roubaud (issu lui aussi de la Villa Arson) et les partenaires des La Doublure et Go Canny ! Il y a, en effet, dans les problématiques révolutionnaires et les prises de position radicales de Metzger qui hélas sont toujours d’actualité, de quoi alimenter une recherche artistique contemporaine, mais ce qui me frappe dans cette comparaison, c’est de ne trouver chez ces jeunes créateurs présentés Villa Arson, qu’un art post-duchampien, une sorte d’élégante attitude de nantis, et non cette conscience de l’urgence d’un engagement, provoqué, il est vrai pour Metzger par les grands drames de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale qui l’ont atteint, lui et sa famille.
Merci Hélène, tu m’as vraiment donné envie d’y aller ! Una