« EO » Jerzy Skolimowski
Avec : Sandra Drzymalska, Lorenzo Zurzolo, Mateusz Kosciukiewicz, Isabelle Huppert…
Sortie le 19 octobre 2022
Synopsis
Le monde est un lieu mystérieux, surtout vu à travers les yeux d’un animal. Sur son chemin, EO, un âne gris aux yeux mélancoliques, rencontre des bonnes et mauvaises personnes, fait l’expérience de la joie et de la peine alors que la roue de la fortune transforme à chaque tour sa chance en désastre et son désespoir en bonheur inattendu. Mais jamais, à aucun instant, il ne perd pas son innocence.
Jerzy Skolimowski, réalisateur polonais de 84 ans signe avec ce film, Prix du Jury au dernier festival de Cannes (il aurait largement mérité la Palme !) une fable contemporaine, dont le héros est un âne, contraint de quitter le cirque dans lequel il vivait heureux, auprès de la chaleureuse Kasandra (Sandra Drzymalska). Il souhaitait écrire ce conte moderne, dont le personnage principal est un âne en rendant hommage au cinéma de Robert Bresson :
“Il y a plusieurs dizaines d’années, j’ai dit dans une interview (…) que le seul film qui m’avait ému aux larmes était «Au hasard Balthazar» (1966). (…) Ainsi, ce que je dois à Robert Bresson c’est d’avoir acquis une conviction forte que de faire d’un animal un personnage du film n’est pas seulement possible, mais peut également être une source d’émotion.”
EO, qui veut dire hi han en polonais est une œuvre poétique, une vision métaphorique du monde et une ode à la nature à travers les aventures de l’animal.

EO_
credit photo Aneta&Filip Gębscy
“Je voulais avant tout faire un film émotionnel, baser la narration sur les émotions, beaucoup plus que dans tous mes films précédents.”
Il en découle un OVNI filmique où toutes les perceptions sont à la hauteur de l’animal. Un road-movie qui va mener l’âne de la Pologne à l’Italie, bravant tous les dangers, traversant des forêts inquiétantes ou des villes où tout peut arriver, rencontrant différentes personnes (à noter la présence dans un petit rôle, d’Isabelle Huppert incarnant un des personnages croisant le chemin de EO) bienveillantes ou pas, n’oubliant jamais Kasandra, la seule qui lui prodigua tendresse et attention. Guidé par son instinct de liberté, il va s’échapper, se heurter au monde, croiser la perversité et la barbarie humaine, gardant en mémoire le souvenir des jours heureux avec Kasandra et qui sait peut-être avec l’idée de la retrouver.
Avec des scènes dignes des meilleurs films d’anticipation, le réalisateur nous subjugue par cette incroyable épopée soutenue par des images époustouflantes. Des idées de mises en scène foisonnantes nous tiennent en haleine jusqu’au bout et suscitent une empathie pour l’animal. Par différents artifices, on se surprend à vivre les émotions de l’âne. Jerzy Skolimowski arrive à nous faire pénétrer dans sa tête et entendre le son par ses grandes oreilles. La scène de la traversée d’un pont surplombant une barrage crachant des chutes d’eau, montée à l’envers provoque un effet envoûtant et nous transpose immédiatement dans un monde féerique.
Il évite l’écueil du manque de dialogues en utilisant une magnifique bande son illustrant les émotions de l’âne et variant selon les aventures qu’il traverse. La musique composée par Pawel Mykietyn tantôt mélancolique, brutale, symphonique ou inquiétante soutient parfaitement le propos et concoure à l’envoûtement.
Le choix de l’animal

EO, credit photo Aneta & Filip Gębscy
Les yeux mélancoliques du gentil baudet nous renverse d’émotion tout au long du film. Afin de trouver son héros, Jerzy Skolimowski a procédé à un casting.
“Lorsque l’éleveur m’a montré les photos des ânes disponibles, j’ai tout de suite aimé ceux de la race sarde. Je savais qu’EO devait être gris avec des taches blanches autour des yeux. Je suis donc allé dans une écurie des environs de Varsovie pour rendre visite à l’animal qui m’avait le plus séduit sur les photos. Il s’appelle Tako. Dès que je l’ai vu, j’ai su qu’il serait la star de mon film.”
Un second casting a été réalisé ensuite afin de lui trouver les meilleures doublures possibles. “Nous avons employé 6 ânes au total : Tako, Hola, Marietta, Ettore, Rocco et Mela.”
«EO» se distingue de la déferlante hebdomadaire de nouveaux films pour la plupart calibrés pour les chaînes de télévision ou les plateformes qui participent à sceller le sort du cinéma. Ce film est un éveil aux sens et un appel au retour dans les salles obscures.
Gageons que cette expérience sensorielle réconcilie le cinéma d’auteur et populaire et attire de nombreux curieux.
Isabelle Véret