Jean-Paul Belmondo ou l’image d’un certain cinéma français
Jean-Paul Belmondo vient de nous quitter et avec lui un pan de l’histoire du cinéma français. Sans se laisser aller à la nostalgie, on ne peut s’empêcher de jeter un regard en arrière au vu de sa filmographie impressionnante couvrant plus d’un demi siècle. Il est un des rares voire le seul dont le nom illustre à la fois le cinéma populaire et le film d’auteur.
Pour bon nombre d’entre nous ayant grandi entre les années 60 et 80, le film du dimanche soir était un moment privilégié de détente dans lequel on pouvait régulièrement retrouver les aventures de Bébel dans «Flic ou voyou», «Le guignolo», «L’incorrigible» ou «L’homme de Rio». Si aujourd’hui, son jeu semble un brin caricatural, il fit à l’époque les beaux jours du cinéma français, chacun de ses films dépassant les 5 millions de spectateurs !
Son héritage
Il laisse derrière lui près de 80 longs métrages et ce serait une erreur que de le réduire à ses rôles d’homme viril au coup de poing facile, tant il offrit une large palette de son jeu impressionnant. Jean-Paul Belmondo c’est bien plus que ça ! Il a accompagné nos vies sur plusieurs générations. Grâce à lui, de jeunes générations ont pris plaisir à le voir dans des films populaires tels que «L’as des as» de Gérard Oury, «L’animal» de Claude Zidi ou «Flic ou voyou» de Georges Lautner et par curiosité de découvrir sa filmographie, accéder aux plus grands réalisateurs de ces 60 dernières années : «Stavisky» d’Alain Resnais, «Le voleur» du Louis Malle, «Léon Morin prêtre» et «L’aîné des ferchaux» de Jean-Pierre Melville, «A bout de souffle» et «Pierrot le fou» de Jean-Luc Godard, «La sirène du Mississipi» de François Truffaut, sans oublier ses débuts dans «Les tricheurs» de Marcel Carné.
Un style unique et inimitable
Véritable Égérie de la nouvelle vague depuis «A bout de souffle» en 1960, il va prêter sa fougue, sa gouaille et son esprit sportif à de jeunes réalisateurs et ensemble engendrer une nouvelle forme de comédie dont on ne se lasse pas. Sa rencontre avec Philippe de Broca et Jean-Paul Rappeneau va être déterminante dans sa carrière. Ces collaborations fructueuses vont donner le jour à de nombreux films devenus cultes jusqu’à nos jours : «L’homme de Rio», «Les tribulations d’un chinois en Chine», «Les mariés de l’an II», «L’incorrigible».
Poussant son personnage à son paroxysme, Philippe de Broca lui compose sur mesure un double personnage dans «Le magnifique», François Merlin écrivain timide qui se transpose dans ses romans d’aventure sous les traits de Bob Sinclar, un agent secret séducteur et intrépide. Une parodie échevelée et virevoltante des films d’espionnage. Belmondo joue à fond l’auto-dérision mêlant séduction, sourires niais et tendresse, il y est irrésistible.
Dans sa Leçon de cinéma à la Cinémathèque de Nice le 25 septembre 2021, Jean-Paul Rappeneau se souvient du tournage en 1970 des «Mariés de l’an II» en Roumanie en pleine guerre froide. La police secrète de Ceausescu s’était infiltrée parmi les nombreux figurants et toutes les chambres de leur hôtel étaient sur écoute. Ursulla Andress alors la compagne de Jean-Paul Belmondo l’avait rejoint sur le tournage et partageait sa chambre. Un technicien s’étonnait de le voir aussi calme et lui demandait : «Tu sais que toutes nos chambres sont sur écoute ?» «Ça m’est égal», lui répondit-il. Le technicien insiste : «Mais ça ne te dérange pas qu’ils entendent tout ?» et Belmondo de lui répondre « Je soigne mon texte !».
De jeunes metteurs en scène font appel à lui, égérie de la nouvelle vague et jeune trublion sortant du conservatoire pour réaliser des films loufoques. La légèreté du propos, la volonté de ne jamais se prendre au sérieux collent parfaitement au personnage de Belmondo. Les réalisateurs avec qui il a travaillé lui ont permis d’imposer son style, son physique et sa joie de vivre.
Lorsque l’on revoit un de ses films de cette époque, on a immédiatement envie d’en voir un autre, de se replonger dans «Le casse» d’henri Verneuil et sa fabuleuse course poursuite dans les rue d’Athènes sur un thème inoubliable d’Ennio Morricone, «L’incorrigible» de Philippe de Broca avec des dialogues savoureux signés Michel Audiard, retrouver la délicieuse Françoise Dorléac à ses côtés dans les aventures de «L’homme de Rio» ou la vénéneuse Catherine Deneuve dans «La sirène du Mississipi».
Le tournant des années 70/80
Boudant le film d’auteur après l’échec commercial et critique de «Stavisky» en 1974, il se tourne alors vers le genre populaire et policier qui va bientôt devenir sa marque de fabrique. Avec «Peur sur la ville» en 1975 d’Henri Verneuil, il ouvre la voie d’un nouveau genre entre Steeve McQueen dans «Bullitt» et Clint Eastwood dans «Inspecteur Harry». On peut remarquer que toutes les affiches des films qui suivront avec la même composition, la même typographie et son portrait ressemblent à s’y méprendre à l’affiche de «Bullitt», idée que l’on doit à René Chateau, associé du comédien et qui s’occupait de toute la publicité. Il incarnera ce personnage sportif, amoureux des cascades toujours avec une touche d’humour, en phase avec l’époque que l’on retrouvera dans «Flic ou voyou», «Le guignolo», «Le professionnel», «Joyeuses Pâcques» de Georges Lautner.
Il déclinera ce personnage pendant plus d’une décennie jusqu’à épuisement et fera les beaux jours de Gaumont qui produisait tous ses films.
L’échec du «Solitaire» de Jacques Deray signera le clap de fin du genre et Belmondo devra son salut à Claude Lelouch avec qui il avait joué un musicien charmeur et infidèle dans «Un homme qui me plaît» en 1969 aux côtés d’Annie Girardot. De leurs retrouvailles en 1987 naîtra le dernier grand succès de sa filmographie «Itinéraire d’un enfant gâté».
L’ère Jean-Paul Belmondo, c’est avant tout une famille de comédiens, présents depuis ses débuts au conservatoire. On retrouvera à ses côtés tout au long de sa carrière ses copains de toujours : Jean-Pierre Marielle, Jean Rochefort, Michel Beaune, Pierre Vernier, Bruno Cremer, Claude Brosset ou Charles Gérard.
Il nous laisse en guise d’héritage cette vision joyeuse d’une époque insouciante, reflet de la France des trente glorieuses, une certaine idée de l’empathie en rien nostalgique, juste le souvenir de son sourire qu’il gardait en toute circonstance.
Isabelle Véret
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