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KKP Cuba !

Un parti inconnu des castristes ? Une marque de jeans perçant le blocus ? Une boisson pimentée ? Rien de tout ça, KKP c’est de l’art contemporain ! Et pas du moindre puisque pendant la même semaine, on a vu l’arrivée en force de ce qu’il y a de mieux dans l’art d’aujourd’hui : Anish Kapoor, Jannis Kounellis, Michelangelo Pistoletto dans des lieux mythiques de La Havane…

A La Havane, je le pensais et j’ai pu le constater de visu, l’art est partout ! Que ce soient les bâtiments officiels, anciens ou modernes, les façades étonnamment architecturées et ornementées des maisons de La Habana Vieja, les murs graffités avec vigueur et humour, les plaques commémoratives… pas la peine d’entrer dans une galerie ou une boutique pour rencontrer la créativité. Mais ce que je m’attendais moins à rencontrer, en revanche, c’est la présence concomitante de trois valeurs sûres du marché de l’art, proposées par un lieu privé (enfin…) et deux bâtiments officiels…

Exhibition view, Habana, Cuba, 2016. Photo Paola Martinez Fiterre

Le lieu privé qui héberge Anish Kapoor depuis le 26 novembre 2016 n’est autre que la galerie Continua, une habituée des grandes foires internationales. Elle a été créée à San Gimignano (Toscane) en 1990 par trois amis : Mario Cristiani, Lorenzo Fiaschi et Maurizio Rigillo. Installée en Italie, dans une ancienne salle de cinéma de cette petite ville chargée d’histoire, Continua a grandi loin des centres urbains. Le choix de cet emplacement lui a permis de développer de nouveaux modes de dialogue et de symbiose entre des champs d’ordinaire étrangers : la ruralité et l’industrie, le local et le global, l’art d’autrefois et celui d’aujourd’hui, ainsi qu’entre des artistes réputés et d’autres émergents. Cette installation, pour le moins insolite dans cette petite cité connue pour son cadre cher aux jeunes mariés (j’y suis venue en voyage de noces) a permis à la galerie de se forger une solide réputation comme centre d’art capable de produire des œuvres contemporaines stimulantes et exigeantes, sans subir les contraintes spatiales et temporelles des institutions artistiques classiques. Fidèle à son constant esprit d’évolution et déterminée à faire découvrir l’art contemporain à un public aussi large que possible, Continua s’est construit une identité forte grâce à ses rencontres et à ses expériences pendant les vingt ans de son existence dans l’esprit d’une continuité entre les époques et l’envie de contribuer à l’écriture de l’histoire actuelle, une histoire qui soit sensible aux pratiques créatrices contemporaines et désireuse d’enrichir les liens entre passé et présent comme entre personnes et territoires différents et insolites.

Cette profession de foi peut expliquer pourquoi, après son Italie natale, ensuite les Moulins en région parisienne, puis Pékin en Chine, et aujourd’hui La Havane à Cuba, le triumvirat a choisi de s’implanter dans le quartier extrêmement populaire du Barrio Chino, répondant ainsi à ce désir de mixité sociale et culturelle.

Ce choix de faire se rencontrer l’art extrêmement sophistiqué d’Anish Kapoor et une population très ouverte, mais d’une grande pauvreté, n’est cependant pas exempt d’interrogations, car comment comprendre, d’une part, ce rapprochement entre le coût d’une telle opération compte tenu des prix des pièces de Kapoor et l’indigence d’un pays, mais aussi celui d’une cérébralité très occidentale (Kapoor est plus britannique qu’indien) confrontée à la culture très vivante, riche et colorée d’un peuple qui a su préserver un besoin de créer, bien que très éloigné de toute idée d’enrichissement financier.

Il m’a semblé qu’il s’agissait là, plus d’une opération de communication que pécuniaire, et à en juger par ce grand espace mis à disposition (un cinéma désaffecté) et la jeune Cubaine, à l’excellent bagage culturel, qui nous a reçus, La Havane a mis le paquet pour accueillir la crème de l’art contemporain.

Pour la petite histoire, alors que nous nous promenions dans le centre de la ville, photographiant tout ce qui nous intéressait, nous est apparue dans la petite rue Aquila de Oro, Rayo 108, la grande enseigne : Galleria Continua. Les grilles étant tirées nous avons, dans notre meilleur espagnol, plaidé pour qu’on nous ouvre, à nous qui venions de si loin ! Une jolie Cubaine portant ce discret uniforme marron qu’on voit partout dans les établissements de La Havane, accepta de nous laisser entrer dans cet imposant espace d’un ancien cinéma laissé entièrement dans son jus, pour nous faire découvrir, encore voilée aux regards, l’installation d’Anish Kapoor. Après que j’ai laissé ma carte, elle nous engagea à revenir le lendemain quand l’exposition serait ouverte. Notre arrivée à 18 heures le lendemain, en vélo taxi, n’impressionna personne puisque nous étions les seuls ! Le vernissage officiel n’aura finalement lieu qu’en janvier, compte tenu de la période de deuil de neuf jours, imposée par la mort du Comandante.

Monocromo (Majic Blue), 2016

Mais revenons à l’art, les œuvres de Kapoor sont impressionnantes, surtout dans un espace aussi particulier, notamment ce trou noir situé au centre de la galerie (rappelons que le 27 février 2016, Anish Kapoor est devenu le propriétaire du brevet du Vantablack, une variété de noir inventée par une société britannique, Surrey NanoSystems. Ce noir a la propriété d’absorber 99,965% de la lumière et donc de transformer une surface noire en trou. C’est toutefois la première fois qu’une personne achète le droit exclusif d’une matière pour un usage artistique…). En tout, cinq sculptures occupent l’espace, elles sont importantes, particulièrement cette pièce projetée sur l’écran du cinéma, une sorte de profil de parturiente, d’une beauté épurée, assez renversante (les titres des œuvres ne nous ont pas été donnés).

Cette OPA artistique de la galerie Continua sur La Havane semble avoir pris naissance lors de Biennale de 2015 (ou peut-être avant), en tout cas, c’est avec l’exposition de l’artiste italien Michelangelo Pistoletto, organisée par Continua avec le Museo Nacional de Bellas Artes depuis le 19 novembre 2016, que la galerie a, à mon avis, le mieux répondu à cette volonté de faire découvrir l’art contemporain à un public aussi large que possible et par là-même à contribuer à l’écriture de l’histoire actuelle de l’art. Le choix de Pistoletto, l’un des artistes les plus importants de l’Arte Povera, a permis le succès de cette ambitieuse entreprise, lui qui dans sa pratique a cherché à provoquer une réflexion sur l’objet et la forme, résultant de son incorporation dans la vie quotidienne. Pistoletto, par ses photographies du peuple cubain dans ses activités les plus courantes, nous renvoie, par effet de miroir, à notre propre ressenti et, dans un même temps, fait de ces images le matériau même de son travail.

Il me faut ajouter que le Museo Nacional de Bellas Artes est un magnifique bâtiment  qui réunit sur plusieurs niveaux de belles collections de sculptures et peintures de toutes les époques, parmi lesquelles les œuvres de Pistoletto se glissent, avec pertinence et sensibilité, réalisant avec brio cette rencontre des cultures évoquée précédemment.

Deux performances ont été réalisées par Michelangelo Pistoletto, l’une avec le public devant le Musée et la seconde où l’artiste brise, un à un, une série de miroirs, libérant les couleurs des fonds colorés qui les supportent…Nous avons photographié cette dernière, elle sera bientôt sur YouTube.https://www.youtube.com/watch?v=zGmfh2QgPrU

C’est le 24 novembre 2016, au Centro de Arte contemporàneo Wifredo Lam, San Ignacio, n° 22, La Habana, qu’a débuté l’exposition Jannis Kounellis, organisée, là encore, par la galerie Continua. Nous nous y sommes rendus par un de ces délicieux matins du début décembre à La Havane où il est si agréable de flâner, mais en prenant bien garde aux vélos-taxis qui sont de véritables écraseurs publics !

L’exposition, beaucoup plus modeste que celle de Pistoletto, est installée dans trois salles, au premier étage de la Fondation. Elle met en scène dans la pièce principale quatre tableaux noirs géants sur lesquels sont rangés, sans volonté esthétique mais régis par la qualité de leur contenu, des livres en espagnol, trouvés à la Havane… Est-ce pour ça que je suis tentée de citer ces quelques mots de Kounellis sans doute mal traduits, mais qui disent assez bien ce que je ressens devant ces sculptures : « Je cherche parmi les fragments affectifs et formels ; les déviations de l’histoire sont tragiquement à la recherche d’une unité, quelles que soient les conséquences inaccessibles, utopiques, impossibles et, fondamentalement pour ces raisons, dramatiques. » Dans une petite salle attenante, Kounellis a simplement joué avec la lumière venant des fenêtres sur lesquelles il intervient ou pas. Quant à la dernière salle, elle est réservée à un mur rythmé par des traces de feu…

Les photos non légendées sont toutes de Una/Lola.

Sur Youtube, Vidéo par Una Liutkus, Michelangelo Pistoletto à La Havane, décembre 2016

 

Cet article comporte 2 commentaires

  1. arnaud michlel

    Je me suis régalé à lire KKP Cuba… On y retrouve bien tes impressions/ressentis dont tu m’as parlé au sujet de ce voyage.

    AMitiés,

    – Arnaud Michel –

  2. Una Liutkus

    Voici le lien avec une vidéo de You Tube faite lors de notre visite . On y voit la vidéo originale de M.P. en 2015 lorsque qu’il brise les miroirs, et en même temps on voit ces miroirs brisés tels qu’ils sont exposés en décembre 2016.
    https://youtu.be/zGmfh2QgPrU
    Bonne visite Una Liutkus

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