La bataille des mots

Contrairement aux gens intelligents, je n’ai pas lu ou relu de grands livres pendant mon confinement, mais j’ai suivi, heure par heure, sur les journaux, mon ordinateur, mon Iphone, ma télévision, les interviews, communications officielles, discours, débats, diatribes, affirmations contradictoires, haines, insultes, mais aussi attendrissements, bons sentiments, témoignages édifiants, en un mot, un fourre-tout extrêmement dense et au bout de quelques semaines – quand la peur s’est faite moins prégnante –, particulièrement indigeste…
Je m’étais donc promis de ne plus faire allusion à la pandémie et encore moins à ce coronavirus, ou à son nom plus savant, car la moindre parole en ce sens donnait matière à discussion, et plus sûrement, à de possibles agressions verbales. Cependant mon goût pour les mots et parfois les bons, m’a fait me pencher sur ce virus et ce qu’il pourrait avoir de positif pour la langue française…
Eh bien, en effet on a vu apparaitre au-delà de confinement et déconfinement, une kyrielle de substantifs, verbes et adjectifs nés de cette dernière pluie …

Mon attachement pour les dictionnaires – j’en ai de toutes sortes –, ces bibles de la langue française ont du souci à se faire car ils ne peuvent plus dormir sur leurs lauriers, tant ils sont assaillis d’intrus immédiatement mis sur le marché, qui obligent les sages qui les gouvernent à batailler du bienfondé ou non de ces nouveaux venus.
Dans mon cas, assez réfractaire, pourquoi ne pas dire réactionnaire, à un nouveau langage que je n’ai pas envie de comprendre et surtout pas d’employer, j’écris en italiques, des mots dont je doute qu’ils soient dans le dictionnaire.

Voilà quelques réponses à mes interrogations. Je les cite en les mettant entre guillemets : « Antivax, hipstérisation, influenceurs... La nouvelle édition du Petit Larousse accueille 150 mots et sens nouveaux. Chacun de ces termes a marqué l’actualité de l’année 2020. Mais pas de déconfinement, reconfinement et déconfiner dans ces pages. «Ces mots ont seulement deux mois d’existence», observe Bernard Cerquiglini : le déconfinement n’est dans aucun dictionnaire et a été créé en réponse à la pandémie. Parlera-t-on des corona-boomeurs ou d’une génération corona d’ici à quelques années? Continuerons-nous d’organiser des skypéros ou des whatsappéros avec nos amis, après le retour à une vie normale ? La crise sanitaire que nous traversons a imposé une nouvelle réalité et, avec elle, un vocabulaire surprenant. Il a fallu donner des mots à l’inédit et faire preuve d’inventivité. On observe une très belle appropriation de la langue, en ces temps troubles, remarque Bernard Cerquiglini, linguiste et auteur de Parlez-vous tronqué ? (Larousse). Les Français transforment leur langue, et ce de façon ludique. On dit que l’humour est la politesse du désespoir, n’est-ce pas ? C’est donc tout naturellement que sont apparus les termes coronapéro, ou encore coronami. Certains mots, jusqu’ici d’emploi rare, sont désormais sur toutes les lèvres. C’est le cas de télétravail et de son dérivé télétravailler. »

Je m’étais posé la question de la légitimité de certains mots désignant des phénomènes de société très actuels, et notamment celui de féminicide.
La réponse que j’ai trouvée m’éclaire et vous aussi, peut-être… Elle a la qualité d’être analytique, donc claire, mais n’écarte pas l’interrogation que je continue à me poser de son bienfondé : « Féminicide, meurtre d’une ou plusieurs femmes ou filles en raison de leur condition féminine ». Voici la définition du mot « féminicide » tel qu’il est inscrit dans Le Petit Robert. Le terme y a fait son entrée en 2015, et il est toujours absent de bon nombre d’autres dictionnaires. Il est composé de la racine latine femina signifiant femme, et du suffixe -cide (frapper, tuer en latin).
Le terme, qui s’est invité à au moins 100 reprises dans l’actualité depuis le 1er janvier puisque 100 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex, a été popularisé par la sociologue américaine Diana Russell, qui dès 1976 l’utilise pour désigner les massacres de femmes en Amérique latine. Il prend de l’ampleur en 1992, lorsque cette dernière publie avec la Britannique Jill Radfort l’ouvrage Feminicide : the politics of woman killing. En janvier 2018, alors que Jonathann Daval avoue avoir tué sa femme Alexia, la secrétaire d’État chargée de l’égalité femmes-hommes Marlène Schiappa utilise le terme de « féminicide ». Désormais, son usage se systématise notamment dans les médias, et les associations féministes et familles de victimes se battent pour qu’il passe dans le langage courant et juridique. »

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