La caméléone, chapitres # 24, # 25
Résumé des chapitres précédents
21. Martin se hérisse au sujet de l’attitude de Jane et la rapproche de celles des gens qui ont quelque chose à se reprocher. Cette réaction provoque chez Zac une colère terrible qui décide de couper court définitivement aux visites de Martin. Ce dernier s’en veut de sa maladresse. Désormais seul dans sa chambre, Zac reçoit la visite de Michelle, à qui il dit sa colère envers Martin et lui demande qu’elle plaide sa cause pour qu’on lui rende ses carnets. Michelle l’apaise et promet qu’elle va en parler à la direction. Zac n’ose s’avouer qu’il regrette déjà les visites de Martin. Il finit par s’endormir et rêve de Jane, quand le docteur Constant entre dans sa chambre et lui tend crayons et carnet. Zac s’aperçoit que le médecin lui est familier ; il est certain cette fois d’être déjà venu dans cet établissement. Mais pourquoi avait-il été enfermé ? Il lui faut reprendre le fil de son récit pour essayer d’avancer, mais le dialogue avec Martin lui manque, aussi plutôt que de noter ses souvenirs, il lui demande, par écrit, de revenir.
22. Sans visite, Zac ne peut plus mesurer le temps. Privé de Martin, il se résout à tracer sur son cahier retrouvé, la suite de ses aventures.
– Détruit par la colère de Jane, il s’en veut d’avoir été aussi peu clairvoyant. Comment peut-on avouer à une femme une tentative de viol sans déclencher une immense colère ? Abandonné au bord de la route par Jane et ramené à New York par un automobiliste auquel il n’a pas adressé la parole, Zac, fuyant tout contact humain, se réfugie dans son antre de Varick Street, des heures, des jours, plongé dans un coma éthylique jusqu’à ce que la faim le fasse sortir pour s’écrouler dans un de ces petits diners new-yorkais. Son remède pour fuir ces événements récents est de se plonger dans le travail, une solution qu’il avait pratiquée lorsqu’il avait appris l’issue fatale de la maladie de Claire. Là, les faits sont moins graves, mais il pense avoir perdu Jane, à cause de ses stupides confidences . Il arrête de boire, reprend contact avec Tom Roberts et affûte ses arguments pour convaincre l’agent de L.S. de lui confier des toiles. Il se refuse à analyser en profondeur son intérêt pour ce mystérieux artiste qui toutefois a les mêmes initiales que Lola Summers…
23. C’est l’été indien à New York, les filles sont belles et dorées, mais Zac a la tête ailleurs…. Il lui faut retrouver sa forme physique et oublier la douleur de la scène de la voiture avec Jane, aussi il reprend un entraînement d’athlète, course à pied à travers New York jusqu’à Central Park dont il aime observer, durant un repos mérité, la gent humaine et animale… Focalisant son esprit sur la rencontre avec Tom et l’agent de L.S., il passe en revue les arguments à avancer pour obtenir les toiles. Il a préalablement obtenu de Lester l’accord pour acheter quelques peintures, compte tenu de la nouvelle orientation qu’il veut donner à l’exposition ; appréciant la fraîcheur climatisée de son appartement de Varick, il commence à écrire sur son exposition future, centrée sur l’œuvre de L.S. et le mystère qui entoure le personnage. Il se rend matinalement au rendez-vous de son ami galeriste, mais l’agent de L.S., Julian Adams, l’a devancé et consomme avec Tom un petit déjeuner typiquement new-yorkais… Zac décontenancé par l’allure bonhomme de l’agent, lui fait part de son enthousiasme pour le travail de L.S. et Julian Adams, flairant la bonne affaire, n’accepte de montrer les œuvres que si Zac les achète…
Chapitre # 24
Que s’était-il passé pour que je prenne cette décision hâtive qui risquait de mettre en jeu mes accords avec Lester ? Cette peinture m’avait-elle bouleversé au point d’oublier toute règle de prudence ? Le réveil fut dur. D’abord parce qu’il était hors de question de revenir sur ma parole sans compromettre mes rapports avec un marchand comme Julian Adams, qui avait des connexions dans tout le milieu de l’art. Il saurait en quelques coups de téléphone m’étiqueter comme un joyeux branleur auprès des artistes que j’avais déjà contactés et je savais combien dans un pareil cas New York était un village. Je laissai le problème Lester de côté puisqu’il ne rentrait qu’à la fin septembre et m’efforçai de repenser mon exposition. Pour la concevoir uniquement autour de L.S. il me faudrait mener une véritable enquête et je n’avais comme indice que ce que racontait cette coupure de journal que Sandy m’avait donnée. Du côté de Julian Adams je ne devais rien attendre. Cet étrange artiste étant sa planche à billets, il était évident qu’il en garderait l’identité secrète. Je devais donc concevoir la présentation de l’œuvre de L.S., si je me limitais définitivement à elle, comme une sorte de rétrospective, mais une rétrospective d’un artiste qui en fait, n’avait pratiquement jamais exposé. La difficulté dans ce cas était de prouver les racines new-yorkaises et la jeunesse de l’artiste pour démonter à l’avance l’hypothèse du rachat de l’atelier d’un peintre peut-être disparu ou venant de je ne sais où. Il était donc indispensable que je découvre son identité et l’endroit où il se cachait.
On aurait dit qu’aussi bien dans mes histoires de cœur que de travail je cherchais l’impossible. En réalité je continuais à penser que les deux problèmes étaient liés et que Jane était celle qui pourrait m’aider à résoudre ces énigmes. C’était une façon de justifier ma terrible envie de la revoir, un prétexte pour l’appeler, ce que je finis par faire.
– Allô, Jane, c’est Zac…
Il y eut un long silence au bout du fil mais, je ne sais pourquoi, je ne raccrochai pas.
– Il faut que je te parle, que je t’explique. Je me suis conduit comme un con, mais on ne peut pas laisser les choses comme ça… J’aimerais te voir.
Le silence durait, mais on ne raccrochait pas, c’était donc qu’on m’écoutait.
– Jane, dis-moi si tu acceptes de me rencontrer, parle-moi.
– OK, viens au Barbizon, 63ème Rue, il y a un bar dans l’hôtel, à quatre heures. Et elle raccrocha.
Ça avait été si facile que je ne savais plus quoi penser. Le mieux était de ne plus penser du tout et d’aller au rendez-vous, ce que je fis. Pourquoi l’hôtel Barbizon ? Ce n’était pas loin de chez elle, c’est vrai, c’était un nom français mais après tout, pourquoi encore une fois chercher des raisons à son comportement. Je pris la ligne 6 à Canal Street et m’arrêtai 59ème Rue. Le Barbizon était un hôtel de charme situé au coin de Lexington Avenue dans une rue agréable, bordée d’arbres.
J’allai au bar, plus lounge british que guinguette des bords de Seine et je commandai mon cher Martini vodka. La salle était vide, agréablement sonorisée par quelques standards américains murmurés par de belles voix noires. Jane viendrait-elle ou me posait-elle un lapin ? Tout à coup, elle était là, comme un chat, sans que je l’aie entendue venir :
– Hi, Zac, how are you today?
Par cette formule de vendeuse de grand magasin elle entendait, je suppose, marquer immédiatement la distance entre nous.
– Je suis heureux que tu aies accepté de me revoir, Jane, lui répondis-je en français, alors je vais mieux. Préfères-tu me parler ou acceptes-tu que je te raconte un peu ma vie ?
– Vas-y toujours, je t’écoute…
Sa voix était comme une lame de couteau, tranchante et froide. J’avais tellement besoin de m’accrocher à quelque chose que je ne m’arrêtai pas à ce détail et commençai à lui parler de moi, de nous. Je lui dis que notre rencontre m’avait ramené à la vie, que j’avais en quelque sorte quittée depuis la mort de Claire. Je me lançai, ce qui n’était sans doute pas très habile pour reconquérir celle que j’aimais, dans le récit de ma vie avec une autre femme.
« Claire et moi nous nous étions connus au lycée de Rueil-Malmaison, où nos familles habitaient. Nous avions commencé par être camarades de classe et de jeux. Le dimanche nous allions souvent nous promener dans le parc de la Malmaison ou visiter le Château, ou bien Claire suivait mes concours de gymnastique, m’encourageant par sa présence. Nous échangions, ce que font tous les adolescents, bouquins, disques, revues. Passionnés de cinéma, il nous arrivait aussi d’enchaîner plusieurs séances et de discuter des films des heures durant chez elle ou chez moi. Nos familles ne se fréquentaient pas mais ne voyaient pas d’un mauvais œil cette amitié et nous avions toute liberté de nous voir comme nous voulions. Bien que de mon âge, Claire était beaucoup plus mûre et elle essayait de me motiver sur mon avenir. Le sien était tout tracé, elle serait médecin et quand je lui demandais pourquoi, elle me répondait : « Ça ne se discute pas, c’est une vocation. » Moi je disais que je voulais être journaliste comme j’aurais pu dire : « Je veux être pompier ou aviateur », mais je n’avais aucun argument pour étayer ce choix. Vers seize ans, un soir, en regardant l’Adieu aux Armes nous avions voulu trouver la réponse à la question d’Ingrid Bergman à Gregory Peck « Comment fait-on avec les nez pour s’embrasser sur la bouche ? » et nous nous étions embrassés, un peu puis beaucoup, longtemps… La découverte était de taille mais elle ne s’arrêta pas là. Maladroitement, de baisers en caresses nous avions fini par faire l’amour un dimanche après-midi où ses parents, eux, étaient au cinéma. Ça n’avait pas été une réussite car nous étions tous les deux puceaux, mais nous avions mis beaucoup de zèle à recommencer et c’était devenu une occupation très importante. A l’époque, en France, peu d’adolescents encore avaient une relation sexuelle et du coup, par rapport à nos camarades, nous nous considérions comme des adultes. Notre histoire avait duré à peu près deux ans, puis Claire était partie en Fac de médecine à Paris et moi j’avais redoublé ma philo à Rueil. Il n’y avait pas eu de vraie rupture, mais nos chemins avaient divergé. Ensuite elle s’était mariée avec un interne et moi je m’étais partagé entre mon école de journalisme et mes aventures féminines…
Je jetai un œil vers Jane mais à ma grande surprise elle était attentive. Je m’excusai de m’égarer dans ce récit d’amours adolescentes et elle me répondit, cette fois d’une voix très animée :
– Non, j’adore quand les hommes me racontent comment ils ont fait l’amour la première fois. Peu aiment le dire. Souvent ils trichent. Ils sortent une histoire d’amie de leur mère ou de virées entre copains chez les putes… J’aime bien votre histoire, à Claire et toi, et la scène de L’Adieu aux Armes est magnifique, je m’en souviens.
Encouragé, je continuai.
J’avais des nouvelles de Claire car mes parents, quand j’allais les voir à Rueil, se croyaient obligés de faire l’éloge de son sérieux en tant que médecin et femme, ce qui laissait sous-entendre : tu aurais mieux fait de l’épouser au lieu de courir les filles et coucher avec ces mannequins qui font vraiment un drôle de métier. En effet, mes aventures successives avec ces filles déjantées ayant perdu tout sens des réalités, ou avec Aurélie Lemal, elle aussi complètement désaxée, et mon travail à Top Fashion, où la cocaïne circulait comme le sucre en poudre m’avaient passablement délabré. Pas mon corps car même au plus profond de mes plongées morbides, je n’oubliais pas de l’entretenir, mais je devenais complètement parano, voyant des complots partout, persuadé d’être à la merci de la mafia, enfin du grand délire ! J’étais arrivé à un seuil où j’avais besoin d’aide mais pour avoir été mis depuis l’enfance entre les mains des psys, je me méfiais de cette engeance et redoutais de me livrer à elle. C’est à ce moment-là que j’ai pensé à Claire. Elle était généraliste et surtout c’était une amie à qui je pourrais raconter sans défiance mes dérives. Personne ne prenait rendez-vous dans son cabinet. A Belleville elle était un peu comme l’Armée du Salut pour les petites gens qui peuplaient ce quartier populaire avant qu’il ne soit envahi par les restaurants chinois et les acteurs en vogue. J’allai à la consultation un matin tôt pour ne pas trop attendre et je lus dans ses yeux un grand plaisir de me voir au milieu des Africaines en boubou et des vieux pépés du coin.
– Tu ne m’as pas l’air en très forme, Zac, qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
Claire avait changé, elle était devenue très belle ! Non pas qu’elle ne le fût pas avant, mais elle avait appris à se connaître et à s’accepter et le résultat était magnifique. Elle n’avait comme maquillage que le noir de ses cils et l’épaisseur de ses sourcils et une couronne de cheveux courts, bouclés encadrait son visage. Tout ce noir contrastait étrangement avec le ton laiteux de sa peau. Ses dents quand elle me sourit étaient éclatantes de blancheur. Une blouse blanche, juste boutonnée et ceinturée mettait en valeur un corps que je connaissais bien et qui, à cet instant précis, était loin de me laisser de glace. Claire lut dans mon regard et dit en riant :
– Zac, je suppose que tu n’es pas venu ici à l’aube pour me draguer, alors dis-moi ce qui ne va pas.
Je lui racontai mes excès et leurs conséquences et nous convînmes d’un suivi accompagné d’un traitement de base pour me remettre d’aplomb. Très vite j’allai mieux mais c’était dû surtout à sa présence bien plus qu’aux médicaments prescrits. Nous prîmes l’habitude de déjeuner souvent ensemble dans le bistrot à l’angle de la rue de Bagnolet car j’avais loué, mais était-ce un hasard, un appartement un peu plus haut dans la rue. Nous avions retrouvé nos discussions d’antan : films, livres, musique, art. Elle prenait avec moi un plaisir évident à s’abstraire un moment de la misère humaine alors qu’avec son mari, installé avec elle, les tête-à-tête avaient la médecine pour sujet essentiel. Elle ne s’en plaignait pas, elle le constatait. Nos rapports étaient sans équivoque, je le croyais du moins et François, son mari, venait parfois déjeuner avec nous. Il était vrai comme elle, solide et silencieux, et cette recréation qu’étaient nos repas semblait lui convenir aussi. L’après-midi il repartait sur sa grosse BMW faire ses visites aux malades du quartier et des arrondissements voisins.
Un matin j’arrivai à la visite et trouvai le cabinet fermé. Je cherchai à joindre Claire mais elle était sur répondeur. Rentrant chez moi, la voix de Claire au téléphone m’annonçait que François avait eu un accident de moto et qu’il avait été transporté à l’hôpital Saint-Louis, entre la vie et la mort. Je m’y précipitai pour trouver une Claire au regard égaré, au corps glacé, qui m’annonça sans larmes que François venait de mourir.
Le souvenir du chagrin de Claire et de son impossibilité de l’extérioriser était encore si présent dans ma mémoire que l’émotion me submergea et que je regardai Jane, gêné de lui imposer des sentiments qu’elle n’avait aucune raison de partager.
– Continue, Zac, me dit-elle avec, cette fois, une certaine douceur dans la voix.
Je fus aux côtés de Claire pour tout : les dossiers à remplir, l’enterrement, les tractations pour trouver un remplaçant au cabinet. Ce renversement de prise en charge, car Claire était totalement désemparée, agit sur moi bien mieux que n’importe quelle thérapie et j’y trouvai une santé morale que je n’avais jamais connue de ma vie. J’étais sûr, sinon de consoler mais au moins d’aider et cette certitude me réconfortait, mais me cachait que j’étais en train de tomber amoureux d’elle. Quand des mois plus tard j’en pris conscience, je l’avouai à Claire et elle me dit éprouver le même sentiment.
A partir de ce moment nous avons vécu ensemble une magnifique histoire d’amour pour convalescents. Elle reprit ses consultations, moi je continuai mon job à Top Fashion, mais le soir nous nous retrouvions et échangions ce que nous apportaient, dans leurs étonnantes différences, nos expériences respectives. Nos vies n’étaient cependant pas sans problème, Claire travaillait comme une forcenée, souvent pour rien compte tenu du dénuement financier de sa clientèle, moi j’avais à faire face à l’atmosphère délétère qui régnait dans mon journal, où la drogue circulait au grand jour, où la déontologie était bafouée puisque tout était à vendre, les gens comme les idées, mais lorsque nous nous retrouvions, ce que nous vivions nous pouvions l’appeler le bonheur !
C’était sans compter avec la maladie. Elle se déclara dans le corps de Claire seulement quelques années après cet état de grâce et les forces que nous mîmes dans la lutte nous donnèrent encore quelques grands moments de félicité. Combattre pour elle et avec elle, m’apercevoir qu’aucune dégradation physique, aucune récidive de la maladie n’érodaient mes sentiments, m’apportèrent la certitude que je l’aimais vraiment.
Je m’arrêtai car mon émotion était trop forte. Jane semblait elle aussi bouleversée.
– Je n’arrive plus à poursuivre, lui dis-je. La suite est si horrible, si douloureuse…
– Laisse, Zac, murmura Jane en posant sa main sur la mienne, raccompagne-moi à la maison.
Chapitre # 25
J’aimais, chez Jane, cette façon de dire à la maison. Moi, je disais chez moi. Son à la maison avait un petit côté village, province, que je trouvais charmant, si peu approprié en tout cas aux habitations new-yorkaises. J’avais tout de suite accepté l’invitation, même si ça ne signifiait pas forcément que j’étais convié à pénétrer dans l’appartement. Nous remontions Lexington en marchant doucement côte à côte, la soirée était douce mais nous étions presque les seuls à flâner. Pour ne pas heurter tous ces gens pressés de rentrer chez eux, il nous fallait nous serrer l’un contre l’autre, tant la foule new-yorkaise a horreur d’être effleurée. Cette proximité réveillait mon désir. J’avais la chair de poule chaque fois que je frôlais son bras ou sa cuisse et il me semblait que le corps de Jane trahissait le même émoi. Elle prononça, la gorge serrée cette fois :
– Est-ce que tu veux monter à la maison ?
Je m’efforçai de répondre par un oui naturel. A peine la porte franchie, elle m’embrassa passionnément en laissant glisser son chemisier de ses épaules. Je caressai ses seins, puis tout son corps en continuant de la déshabiller. Marchant en crabe vers la chambre, nos bouches toujours unies, je l’allongeai sur le lit. Silencieuse jusque-là elle me dit :
– Enlève ces jeans, je veux ta peau sur la mienne, je veux tes jambes, je veux ton corps sur moi.
Sa voix était haletante, ses mains s’étaient emparées de mon sexe et elle cherchait par ses caresses à me faire jouir tout de suite. J’étais paniqué à l’idée d’avoir un geste qui puisse déclencher une nouvelle colère, aussi j’acceptai qu’elle mène le jeu comme elle l’entendait. Je la laissai me lécher, me sucer sans lui retourner ses caresses, en m’efforçant simplement de retenir le plus longtemps possible la montée de mon sperme, car je voulais absolument jouir en même temps qu’elle. Elle était si excitée que sa jouissance vint très vite et que je pus enfin libérer la mienne. Durant cet échange, nous n’avions pas prononcé une parole, juste des râles de plaisir. Je regardai enfin son visage et y vis l’apaisement, le calme. Difficile de rompre le silence, je m’y risquai pourtant :
– C’était beau, Jane…
Elle eut un petit grognement de plaisir et se mit sur le côté, n’offrant plus à ma vue que ses jolies fesses. La nuit tombait, nous nous endormîmes, l’un derrière l’autre, comme deux cuillères dans le même écrin. Jane se réveilla la première et revint dans la chambre avec un grand plateau chargé de victuailles.
– J’ai toujours faim après l’amour…
Qu’elle réduise des moments comme celui-là à des comportements coutumiers me heurtait mais je ne dis rien, craignant sa réaction. Et puis ces émotions m’avaient creusé moi aussi et je dévorai toutes les choses délicieuses qu’elle avait préparées. Nous fîmes de nouveau l’amour avant de nous endormir, épuisés. Je fus réveillé par le soleil qui envahissait la chambre et la laissant dormir toute dorée sur ses draps de soie beige, j’allai à la cuisine préparer le petit déjeuner. J’avais compris que la belle aimait les repas au lit, ce que moi je détestais, mais que n’aurais-je pas fait pour satisfaire ma princesse… Elle grogna, ouvrit les yeux et s’étira. Je cherchai à évoquer les moments de la veille mais elle se dérobait, parlant du temps, de ce que nous allions faire ce week-end : Long Island ou pas, cinéma, exposition ou simplement flemmarder sur la terrasse… J’optai pour rester à la maison, ce qui parut lui convenir. Repensant à mon récit de la veille, je demandai à Jane de me raconter, elle aussi, sa vie d’enfant, d’adolescente en France… Elle dit en souriant :
– J’ai commencé, souviens-toi, je t’ai parlé de mon père, de ma mère. Tu sais, je n’aime pas beaucoup les confidences, j’aime mieux écrire…
Je sentis que si je voulais que tout aille bien je devais en rester là, mais j’avais trop de questions en tête pour abandonner. Je finis par lui demander :
– Ne trouves-tu pas étrange qu’il y ait à Manhattan une femme qui te ressemble trait pour trait ?
Je dus répéter ma question car Jane ne me répondait pas et me tournait ostensiblement le dos. Elle finit par me dire, légèrement agacée :
– On dit que chacun de nous a, paraît-il, quelque part un être qui lui est totalement semblable. Moi, d’après ce que tu me dis, j’ai mon sosie à New York, en voilà une grande nouvelle !
Je compris que la scène de la voiture n’était pas oubliée et qu’évoquer à nouveau l’existence de Lola la mettait hors d’elle. Pourquoi ne me disait-elle pas tout simplement : Eh bien, Zac, je vais t’accompagner dans ce bar pour voir cette fameuse Lola ou quelque chose dans le genre… La plus élémentaire des curiosités aurait voulu une réaction de ce type alors que je la sentais, elle, de nouveau hérissée. J’abandonnai le sujet et nous sortîmes faire quelques courses dans un grand magasin de la 3ème Avenue, mais elle n’était plus la même. Je la sentais légèrement tendue, nerveuse. Après le déjeuner, installé sur le grand canapé blanc, une tasse de café à la main, je contemplai la grande toile de L.S. accrochée dans la pièce et encore une fois, je ne pus me taire :
– Cette toile est admirable, où l’as-tu achetée ?
– Tu recommences, Zac ! dit-elle exaspérée, je ne me souviens plus où je l’ai achetée, dans une galerie de SoHo, sans doute, dont j’ai oublié le nom…
Pourquoi ne pas dire la vérité ? On n’oublie pas d’où vient une œuvre de cette qualité. Qu’avaient de si terrible mes questions pour la mettre dans cet état ?
– Jane, tu écris, tu as des amis artistes, tu es donc parfaitement sensible à cet univers-là… Tu ne vas pas me faire croire que tu ne sais pas où et pourquoi tu as acquis cette peinture !
Jane opposa à cette dernière question un silence buté, continuant à vaquer à ses occupations dans l’appartement. Elle me donnait son corps mais m’interdisait d’entrer dans sa vie, c’était intolérable. Une colère froide m’envahit. Je la quittai brutalement sans un mot de plus.