La Fondation Maeght, le monastère de Lee Bae
Lorsque Henri-François Debailleux, commissaire de l’exposition, demande à Lee Bae comment il a abordé la Fondation Maeght, sa réponse est limpide : « Je la connais depuis longtemps. Là, je suis venu à plusieurs reprises, avec un œil forcément différent pour préparer cette exposition, et chaque fois, la Fondation Maeght me fait penser à un monastère. » Eh bien, cher Lee Bae, cette sensation que vous décrivez si bien, vous nous l’avez fait ressentir avec intensité lors de cette visite de presse où, à cause, mais je dirais plutôt grâce à une grève des avions, nous étions peu nombreux à vous rencontrer. Et j’irai même plus loin, vous avez restitué à ce lieu que des artistes comme Miró ou Giacometti ont marqué à jamais de leur puissance créative, son pouvoir exceptionnel de spiritualité. Et pour ce faire, il a fallu cette œuvre silencieuse, simple, proche de la nature, pour qu’à nouveau nous ressentions ce temps suspendu au geste du créateur, sans ajout tapageur de paroles, sans feu d’artifice de couleurs, juste l’immatérialité du noir et du blanc…
A la Fondation Maeght Lee Bae présente des peintures, des sculptures, des dessins et des installations spécialement conçues pour l’espace architectural et la lumière du lieu. Dans la conversation que nous avons avec lui, l’artiste insiste à plusieurs reprises sur cette notion de monastère que lui inspire la Fondation, jusque dans ses toits en coupoles et son environnement de pins, caractéristiques communes aux monastères coréens. Il nous fait percevoir combien cette proximité avec la nature, si palpable à la Fondation, est primordiale dans son travail, puisque ses dessins, ses peintures, ses sculptures utilisent le charbon de bois, une combustion de pins coréens, comme élément fondateur de son œuvre.
Avec la simplicité qui le caractérise, Lee Bae dit : «(…). J’ai joué aussi bien avec les salles de l’intérieur de la Fondation qu’avec l’espace extérieur. J’ai ainsi installé dans la cour huit grandes pièces de charbon de bois, attachées avec des élastiques, que j’ai disposées comme s’il s’agissait d’un alignement de menhirs de Carnac. J’ai fait venir mes fagots de Chung-Do, où je suis né, près de Daegu en Corée du Sud. Leur carbonisation a été réalisée en montagne dans un four en forme d’igloo, construit en argile. Ils ont été brûlés pendant quinze jours à une température d’environ mille degrés, comme une cuisson de céramique, puis refroidis pendant quinze jours également (…) »
Nous sommes d’abord accueillis par une installation d’un grand mur de dessins au fusain, sorte d’ADN du travail d’une part, et de l’autre par la vidéo de la cérémonie du feu, « La maison de la lune brûlée », qui, à l’occasion de la première lune de janvier, voit les villageois construire un monticule, semblable à une maison de vingt à vingt-cinq mètres de hauteur, avec des troncs de pins sur lesquels ils accrochent de petits papiers chargés de leurs vœux pour être brûlés. Nous cheminons ensuite dans l’œuvre de Lee Bae, comme dans un récit de ce que signifie, pour un Coréen, la combustion du bois de pin. Ce marquage culturel va tendre un fil conducteur entre les œuvres de chacune des salles où nous découvrons d’abord cette immense sculpture faite de pieux à demi calcinés, debout et liés par un enduit noir, pour ensuite contourner un gros fagot de bois brûlés liés par des élastiques alors qu’on aperçoit, dans la cour intérieure de la Fondation, d’autres fagots géants quasiment identiques. Viennent alors les immenses tableaux où les bois calcinés agissent comme des passages de noir au couteau, n’étant pas sans évoquer certaines peintures de Soulages. Plus mystérieuses encore ces peintures où le noir irradiant sur le blanc crée un halo, une sorte d’apparition évoquant, certaines toiles mystérieuses de Rothko…
On nous le dit, et nous en convenons : « L’univers pictural et abstrait de Lee Bae se concentre sur le seul pouvoir évocateur qu’est le matériau. Il crée dans une alchimie parfaite un équilibre essentiel entre le noir profond du charbon de bois pour ses formes abstraites et la couleur laiteuse obtenue grâce à la résine et des couches successives du médium acrylique, extrêmement lisses, qui forment la vraie peau de ses tableaux. Ces lignes gracieuses sont comme des ombres en apesanteur ; sans référence, elles sont des images mentales que l’artiste répète sur toile de façon méthodique pour leur donner vie et révéler ce contraste saisissant entre force et légèreté. Cette forme abstraite se suffit à elle-même sans aspect anecdotique ou narratif. Elle montre sa vraie nature, son essence, offrant à la peinture une zone d’énergie, de pureté et de spiritualité. »
Conçue non pas comme une rétrospective, mais comme le cheminement, l’évolution d’une œuvre, de 1990 à aujourd’hui, l’exposition de Lee Bae nous fait découvrir les multiples possibilités d’utilisation du charbon de bois par un artiste prêt à nous livrer tous ses secrets, exception faite de ce que les mots ne résument pas, le pouvoir lumineux d’une intériorité qui irradie les lieux qu’elle occupe…
Lee Bae, « Plus de lumière »
Propos recueillis par Henri-François Debailleux
Jusqu’au 17 juin 2018
Fondation Marguerite et Aimé Maeght
06570 Saint-Paul-de-Vence.
Une magnifique expo, forte , impressionnante, qui ne laisse pas indifférent…..Bravo.