« La voleuse », de Jean Chapot
Avec Romy Schneider, Michel Piccoli, Hans Christian Blech…
Sortie en France le 18 novembre 1966
Sortie DVD en version restaurée 4K le 20 mars 2020
1h22
Diffusé sur Ciné +
Synopsis
Deux ans après son mariage avec Werner, Julia avoue à son époux qu’à l’âge de 19 ans, alors qu’elle était encore célibataire, elle a abandonné son enfant, faute de pouvoir assurer sa subsistance. Elle a revu le petit Carlos jouant dans le jardin de ses parents adoptifs, les modestes Kostrowitz. Julia, prise de remords, désire de plus en plus reprendre son fils. Elle se rend chez les Kostrowitz mais essuie un refus catégorique. Werner, de son côté, tente de trouver avec la famille adoptive une solution intermédiaire, car il voit l’obsession de sa femme grandir de jour en jour. A bout de nerfs, Julia finit par enlever Carlos…
Jean Chapot (décédé en 1998 à 66 ans) à qui l’on doit «Les granges Brûlées» en 1973 est surtout connu pour ses réalisations pour la télévision d’épisodes des «Cinq dernières minutes» ou de mini séries telles que le «Docteur Teyran» en 1980 avec Michel Piccoli. C’est avec ce dernier qu’il réalise «La voleuse» réunissant pour l’occasion, trois ans avant Claude Sautet, le couple mythique qu’il formait avec Romy Schneider.dans «Les choses de la vie», donnant une valeur particulière à ce drame psychologique assez singulier, tombé aux oubliettes. A noter, sa longue collaboration avec Nelly Kaplan, qui vient de nous quitter, tant à l’écriture de ses scénarios qu’à la production de «plaisir d’amour» en 1991 et pour qui il a joué en 1987 dans «Patte de velours».
Objet hybride
On est immédiatement frappé par la qualité de la mise en scène particulièrement soignée, et soutenue par une restauration 4K qui illumine les contrastes du noir et blanc, grâce au talent du chef opérateur Jean Penzer, césarisé en 1986 pour «On ne meurt que deux fois» de Jacques Deray et qui collabora à multiples reprises avec, entre autres, Philippe de Broca, Bertrand Blier, Philippe Labro ou Jacques Demy.
Le parti pris de scinder l’intrigue en deux décors ajoute à la singularité de ce film. En effet, toutes les scènes d’extérieurs déploient une vision naturaliste de l’Allemagne de l’Ouest des années 60 en pleine reconstruction économique et d’industrialisation à outrance donnant un aspect déshumanisé, sublimé par l’utilisation du noir et blanc. Le film frise par moment avec le documentaire, avec une scène de micro-trottoir dans laquelle les passants vont donner leur opinion, plongeant par la même occasion le spectateur au cœur de la région d’Essen, milieu populaire et ouvrier, alors encore dominée par la sidérurgie.
A l’opposé, Jean Chapot filme toutes les scènes d’intérieur dans l’appartement épuré et immaculé – très «godardien» – du couple Romy Schneider/Michel Piccoli, avec de longs plans fixes. Une longue scène sur un angle de l‘appartement comprenant une table et des objets du quotidien telle une nature morte, comme désincarné de toute forme humaine illustre l’éloignement du couple qui n’existe déjà plus dans le plan.
L’aspect psychologique
Si on ajoute à cette mise en scène des dialogues signés Marguerite Duras soutenant le lien distendu entre le couple, ils viennent teinter le propos de réflexions intellectuelles antinomiques aux scènes d’extérieurs, symbole du milieu populaire d’où provient le père adoptif du petit garçon. Telle une auscultation psychologique qui va décortiquer les pensées les plus enfouies de cette femme en proie aux doutes et à la souffrance, elle va découvrir son désir maternel six ans après avoir mis au monde un enfant qu’elle a abandonné. Se déroule alors sous nos yeux son long cheminement qui va l’éloigner de son mari mais aussi du spectateur, le propos tournant alors un peu en rond.
Le drame se noue autour de cette femme qui coûte que coûte va se battre pour récupérer son enfant au détriment de l’homme qui l’a élevé et prenant le risque de faire voler en éclat son propre couple. Le réalisateur reste entre les deux conjoints, donnant la vision d’une femme meurtrie dans sa chair et convaincue du bien-fondé de sa démarche et face à elle, son mari, désirant par dessus tout sauver leur amour dans un premier temps, tout en étant pétri de doutes quant aux conséquences sur leur vie. La question est alors posée : malgré la loi qui est pour la mère du fait que l’enfant n’ait pas été légalement adopté, a t-on le droit de retirer un enfant du foyer où il a grandi ?
Le couple mythique
L’apparition du couple Piccoli/Schneider attise immédiatement la curiosité. Sublimé par l’œil avisé et chaleureux de Claude Sautet, trois ans plus tard, il déploie toutefois dans ce premier film, une sorte de genèse de cette rencontre cinématographique, ce qui sera le fondement de leur couple à l’écran, en crise dans «Les Choses de la vie» ou perturbé et pervers dans «Max et les ferrailleurs», dans un milieu bourgeois dans le premier ou plus populaire dans le second.
On remarquera la profondeur du jeu de Romy Schneider dans le rôle de cette femme en souffrance et cherchant le bonheur et son épanouissement, comme un reflet prémonitoire de sa propre existence.
Chapot propose sa vision des affres de la vie de couple incarnées par ce couple de cinéma, illustrant à merveille la confrontation amoureuse de l’homme et de la femme des années 60/70. Ici, l’époux est tiraillé entre son amour pour sa femme et le dégoût que lui inspirent ses actes, il ne peut cautionner les agissements de sa femme à l’égard de l’homme qui a élevé son enfant et qui est prêt à mourir pour le garder.
Si le film emprunte une mise en scène originale et audacieuse aux films de la nouvelle vague comme «Le mépris» sur le délitement du couple, il n’a cependant pas le souffle ni le lyrisme de ce dernier. Le propos s’essouffle un peu sans trouver réellement un angle de vision.
Boudé à sa sortie, ce drame psychologique français mais tourné en Allemagne dialogué par Marguerite Duras n’a pas trouvé son public. Il est aujourd’hui une réelle curiosité tant pour sa réalisation, ses contours documentaristes sur l’Allemagne des années 60 que pour l’interprétation des regrettés Michel Piccoli et Romy Schneider, ou la musique signée Antoine Duhamel, qui s’est par ailleurs distingué auprès de Jean-Luc Godard, François Truffaut ou Bertrand Tavernier.
Isabelle Véret