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L’Artistique, devenu Théâtre de la Photographie et de l’Image

Je vous avais promis de vous donner à lire le texte que Christian Galzin m’avait offert, sachant combien j’étais attachée à ce lieu, pour me raconter la création de l’Artistique, devenu bien plus tard Théâtre de la Photographie et de l’Image, alors entièrement consacré à la photographie.

Dernièrement, l’annonce de son déménagement pour permettre au bâtiment de retrouver sa vocation première, c’est-à-dire le théâtre, suscita une levée de boucliers, suivie de pétitions réclamant son maintien boulevard Dubouchage.

C’était pourtant bien de théâtre et de musique qu‘il s’était agi, lorsque treize Niçois se réunirent un soir de 1895, pour créer un cercle qui trouva rapidement le joli nom d’Artistique !

L’Artistique, par Christian Galzin

Des attelages impressionnistes, faits d’ombres et de reflets, cahotaient dans la nuit de cet hiver 1895 et les lanternes des calèches vacillaient en touffes lumineuses au rythme des sabots, sous la pluie de longues étincelles. Ce soir-là, derrière les vitres embuées du  « Coq d’Or », treize Niçois attablés sous les globes de la salle à manger consacraient dans la ripaille et le rire la fondation de  « L’Intime-club ». Et tandis que Bruant chantait Montmartre sur la Butte, Saqui chantait dans ses moustaches une de ses chansons rosses aussitôt reprise en chœur par la tonitruante équipe.

L’Artistique, petit historique.

Ainsi naissait, dans la bamboche, un club niçois mi-farce et mi-sérieux qui allait s’installer dans une tourelle de la Jetée Promenade et se retrouverait un an plus tard dans une rue sans nom, mais si sale qu’on l’appelait  « rue des ordures » .

Une fois dans ses meubles, « L’ Intime-club » devenait l’ « Artistique »  et se donnait Alfred Mortier comme président et choisissait sa devise : Ars Imperat. Comme arrivaient de nouveaux membres, on engageait Angelo, l’unique personnel du Cercle, et l’on demandait à sa femme de servir des repas sur place. Ainsi dès 1896, on dîne pour 2,25 francs sur des tables de marbre en écoutant  le violoniste d’Ambrosio, le pianiste Victor Staub ; mais au dessert, chacun des convives doit chanter un couplet de sa composition, dire un texte de son cru. Soucieux du faste, le président reçoit les premiers invités dans une tenue chic : veste de smoking sur pantalon à carreaux. Le cercle devient vite exigu et, en1897, c’est le nouvel exode de l’ » Artistique » qui s’installe, 13, rue Saint-François-de-Paule, dans le Vieux-Nice. Tout comme au  » Chat Noir », le déménagement se fait en plusieurs voyages avec un charreton bourré de meubles, d’ustensiles et de caisses, sous escorte. Et l’on voit par les rues l’étrange procession des membres de la Commission Administrative suivre à pas lents une charrette tantôt pleine, tantôt vide.

Photographie : le premier salon provincial, camarade !

 On se sent plus au large dans le nouveau local et les premiers concerts avec invitation s’organisent, les cravates blanches apparaissent aux soirs de fête et Mortier revêt enfin l’habit noir en entier. Les concerts sont composés exclusivement d’œuvres des membres du Cercle ; aux dîners viennent de plus en plus nombreux  comédiens et auteurs de théâtre, on s’appelle « camarade ».

Voici donc les premières mondanités, mais le cœur est ailleurs et le président de l’Artistique fait sa première conférence sur Verlaine, mort un an plus tôt.

En 1898, la première exposition  » d’Art Photographique « , dans les salons de la rue Saint-François-de-Paule, est en même temps le premier salon photo présenté en province. En 1900, c’est Jules Chéret qui dessine la couverture de la première exposition photo. Le cercle compte alors plus de cent membres et, le 14 novembre, on pend la crémaillère à la Villa Rosa, 14, boulevard Victor-Hugo, après un nouveau déménagement…

 

Affiche, Jules Chéret

Affiche, Jules Chéret

Chéret, Massenet, Puccini, Faure, Saint-Saëns, Maeterlinck, Ziem, Chaliapine, Herriot, Lorrain, Coquelin, Mossa, Mata Hari et les autres…

En ce tout début de siècle, les journaux parisiens commencent à rapporter dans leurs colonnes les activités du club niçois. Massenet vient quelquefois s’asseoir au piano de l’Artistique pour y jouer ses œuvres. Les dîners du mercredi  sont maintenant la tradition et les convives sont célèbres. Ainsi, comme le veut la coutume, Jacques Thibault, Leoncavallo, Diemer, Raoul Pugno, Delna, Paccary, Thérésa, Coquelin cadet, Jean Lorrain, Coquelin aîné, Litvinne y paieront leur écot, puis Chéret, Chaliapine, Mata Hari, Isadora de Lara, etc. On organise au Cercle « une heure de poésie par semaine », on joue des œuvres inédites, on discute de tout, on fait la fête et l’on danse.

En 1901, l’Artistique est déclarée association à but non lucratif. Son but, annoncé au Journal officiel, témoigne des ambitions et des activités du Cercle :

 » Il est fondé à Nice sous la dénomination de l’Artistique, une association ayant pour but de favoriser l’essor des arts et des lettres et de solidariser les artistes et les dilettantes de la Ville de Nice ou de passage sur le littoral… Pour parvenir à son but l’Artistique se propose d’organiser, pour ses membres, des auditions musicales, des récitations de poèmes, des représentations dramatiques, des expositions de tableaux ; elle fera connaître certaines œuvres inédites par des conférences et des exécutions  instrumentales ; elle s’occupera de faciliter l’impression d’ouvrages dont les auteurs n’ont pas les moyens d’assurer la publication. En un mot, l’Association se propose d’être un foyer d’art et de faire connaître par tous les moyens possibles les artistes, peintres, poètes, musiciens, ainsi que leurs productions. »

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Jean-Honoré Fragonard

A l’exposition Fragonard, en 1908, on enregistre cinq mille entrées payantes pendant les trois semaines où cent toiles du peintre sont présentées. En 1909, le succès est plus considérable encore pour l’exposition Ziem, qui en pleure en plein vernissage. La presse parisienne et les revues européennes se feront l’écho de cette manifestation. La même année, l’Artistique présente une exposition Alexis Mossa.

La boucle se referme.

 La boucle se referme en 1910, au dernier déménagement du Cercle, quand l’Artistique s’installe définitivement au 27, boulevard Dubouchage, tout à côté de l’ancien Coq d’Or, quinze ans après ce dîner de fondation où une poignée de Niçois avait bravé le sort en s’asseyant à treize autour d’une table.

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Maurice Maeterlinck

En 1921, l’Artistique compte dans ses membres Jules Chéret, Gabriel Fauré, Jules Massenet, Giacomo Puccini, Camille Saint-Saëns, Maurice Maeterlinck, Félix Ziem,  Edouard Herriot, etc. Le docteur Ferrier passe là de longues heures au piano pour noter les chansons que de vieux Niçois viennent lui faire entendre et qu’il fera paraître dans son « Recueil  de Chansons Niçoises ».

Très en vogue, l’Artistique vit ainsi jusqu’à la guerre ; ses fondateurs vieillissent, la « société »  niçoise est largement représentée au Cercle, où les jeux d’argent prennent une importance grandissante.

Et puis …

1980. Les fondateurs du Cercle ne sont plus, mais leurs noms sont restés, inscrits sur les plaques

Louis Gassin, président de l' Artistique, mon grand-père

Louis Gassin, président de l’ Artistique, mon grand-père

des rues : Louis Gassin, Alfred Mortier. Rues écrasées de soleil en cette fin de siècle. Le boulevard Dubouchage est triste, exsangue, les platanes étirent leurs longues branches jusque sur la façade de ciment gris, les pigeons éclaboussent de leurs fientes les autos garées sur le trottoir. Un tube de néon se tortille comme un vermicelle au numéro 27 pour écrire le nom de l’Artistique.

On joue de l’argent dans les salons du Cercle, cette partie encore vivante du club aujourd’hui désuet, et le grincement des portes capitonnées de cuir, la sonnerie stridente de l’entrée rompent parfois le silence retombé sur ce lieu depuis la dernière guerre. Le parrainage du maréchal Pétain, alors académicien, avait fait de l’Artistique un des rares cercles français à ouvrir ses salons de jeu la nuit et l’argent du marché noir y circula cependant qu’Hitler ensanglantait l’Europe.

Le réveil fut douloureux.

Maintenant, les affichettes de clubs du troisième âge côtoient les affiches de Chéret sur les murs sombres du couloir, l’annonce d’une réunion d’amicale côtoie l’image d’une  » Nuit vénitienne « . La salle de théâtre inaugurée en 1911 et qui reçut souvent la Comédie-Française, Colette, Maeterlinck, est un espace noir où les rangées de chaises repliées ont la raideur de la mort.

L’immense cuisine est froide, au sous-sol, un serveur en veste blanche passe d’une porte à l’autre et disparaît comme à jamais. On a déjà failli céder le théâtre à un grand magasin pour qu’il s’en fasse un entrepôt… la plupart des membres du club ne viennent que pour jouer ou traiter des affaires, les Niçois ont oublié ce lieu, l’indifférence est totale.

Fluxus

Mais qui, des membres de l’Artistique, peut savoir que ce théâtre vide à louer a revécu de l’esprit même de ses fondateurs, il y a quelques années seulement, quand Ben avait loué la salle pour quelques soirées et qu’on lui avait tout bonnement laissé la clé, vu l’heure tardive de son spectacle ? Qui d’entre eux s’est douté que le concert annoncé par Ben n’était autre qu’un Concert Fluxus, quand tout était dans l’ordre au lendemain ? Ainsi, à l’insu s’il le fallait des joueurs de cartes, l’histoire de l’Artistique continuait d’être, dans les années 60, ce que ses fondateurs avaient voulu qu’elle soit, n’en déplaise au  » bon goût « .

1986

La façade ocre rose de l’immeuble s’est vu ouvrir d’une nouvelle porte : Théâtre de l’Artistique. La salle est équipée d’une cabine de projection suspendue, d’un grand écran.

Le sous-sol, réaménagé, abrite des ateliers d’artistes ; le jardin reprend forme et les projets avec. Ces cinq dernières années, des artistes ont investi la partie morte du club pour faire revivre et l’on a pu voir dans les couloirs, le jardin, le théâtre, le sous-sol, une foule de curieux, puis d’habitués se presser aux soirées de l’Artistique. Si les visons ne furent pas nombreux à ces soirées, comme le faisait remarquer tel vieux monsieur à sa table de jeu, l’esprit était bien là, lui. Cette expérience, qui consiste à faire revivre l’Artistique par les formes d’expression les plus contemporaines, prouva que le lieu n’attendait que cela, en fin de compte – et le jeune public aussi.

Peinture, photographie, sculpture, musique, performances, cinéma furent l’occasion de joyeux et bruyants rendez-vous jusqu’à ce que, faute d’argent, faute d’avoir soulevé l’enthousiasme des joueurs de cartes, le silence retombe sur l’association.

Une fois encore le théâtre a failli disparaître, telle une excroissance gênante et peu rentable. Dans les sous-sols – dont la porte de communication avec le Cercle a été murée – des artistes vivent et travaillent en squatters, allant et venant par le jardin que les herbes envahissent de plus belle.

Tel le château de la Belle au Bois Dormant, l’Artistique attend que reprenne la vie. Riche d’une histoire si forte qu’elle en imprègne les lambris, ce lieu demeure à prendre au plein cœur de la ville et ceci quand bien même le club qui en est propriétaire a de toute évidence oublié sa raison d’être, son but et la leçon pourtant mémorable de ses treize fondateurs.

Christian Galzin

*Louis Gassin, avocat, ancien bâtonnier, né et mort à Nice (1865-1940) fut conseiller général et municipal. Ses mérites lui valurent diverses distinctions, chevalier de la Légion d’honneur, officier d’académie et chevalier de la couronne d’Italie. Ses activités furent multiples: Avocat-conseil des consulats de Russie et d’Italie, administrateur du bureau de bienfaisance, membre du conseil de la Caisse d’épargne et secrétaire du comité des fêtes de Nice, président de l’Artistique. Il figura parmi les personnalités niçoises les plus en vue du début du siècle.

*Alfred Mortier a longtemps habité Nice où ses parents s’étaient installés en 1874 et, après avoir fait ses études au lycée de Nice, il étudia le droit à Paris. Il se lança alors dans plusieurs domaines dont le journalisme, la poésie, la musique, écrivit de nombreuses pièces de théâtre et devint critique de théâtre. Alfred Mortier collabora à L’Eclaireur de Nice et du Sud-Est puis fonda Le Petit Monégasque dont il fut directeur pendant plusieurs années. Il fut encore l’un des fondateurs de Mercure de France et, en 1895, président-fondateur du Cercle Artistique à Nice.

Voilà ce qu’a été la longue et étonnante aventure de l’Artistique. Elle demanderait à être complétée par celle de la création du Théâtre de la Photographie et de l’Image qu’on ne peut dissocier du Septembre de la Photo créé par Jean-Pierre Giusto, une manifestation qui, comme Art Jonction, a hélas aujourd’hui disparu.

Dernièrement, la Ville a voulu, je cite,  » donner au Théâtre de la Photographie et de l’Image (TPI) toute la visibilité qu’il mérite, parce que c’est l’un des fleurons de l’offre culturelle niçoise et l’institution la plus importante de la Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur en matière de photographie. (…).  » Le Maire  dit encore « que le musée de la Photographie et de l’Image prendra ses quartiers place Pierre-Gauthier (…). Et qu’au terme de ces déménagements qu’il situe à la rentrée, les locaux actuels du musée de la Photographie et de l’Image seront disponibles pour être aménagés et accueillir le « petit palais » de Francis Huster, sous la direction de Steve Suissa, un lieu qui aura pour objet d’accueillir à la fois un théâtre, une école de théâtre ; un projet à plusieurs facettes, inédit, qui apportera une réelle plus-value dans l’offre culturelle niçoise existante. « 

La conclusion est logique : c’est  » mettre un théâtre dans un théâtre. »

Modestement, j’aimerais que Francis Huster prenne connaissance du beau récit de Christian Galzin sur la création et les pérégrinations du Cercle, devenu brièvement l’ « Intime club » puis  » l’Artistique », une histoire qui pourrait inspirer bien des dramaturges !

P.S. Je n’ai pratiquement pas d’images pour illustrer ce texte. Si Ben ou quelques autres ont des photos du concert Fluxus ou des années 1986 à l’Artistique, qu’ils me les envoient, je me ferai un plaisir, en citant leurs auteurs, de les inclure dans mon texte.

Dernière exposition du Théâtre de la Photographie et de l’Image au 27, bd Dubouchage 

 Jacques Henri LARTIGUE

« Un monde flottant »

17 juin – 25 septembre 2016

Cet article comporte 1 commentaire

  1. François Jourdan-Gassin

    Bravo pour ce rappel de l’histoire de l’Artistique dans laquelle notre grand-père joua un rôle important pendant des années et bravo pour ce retour à sa vocation première .

    Pour information je possède un exemplaire d’une causerie (44 pages en format 1/2 commercial ) faite par J. Saqui , le 17janvier 1925, intitulée  » Tente ans de l’Artistique » qui m’a été offert par mon amie Murielle Benne , petite-fille de J. Saqui.

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