« L’aura du sol », Favret & Manez
Œil photographique, œil critique.
Prétentieux incontestablement de mettre en parallèle deux regards qui n’ont pas lieu d’être comparés, et plutôt que critique j’aimerais mieux dire observateur, tant ma répulsion est forte pour ce terme de critique, quelque soit ce à quoi il se rapporte. Cette mise au point une fois faite, comment mesurer sur une échelle de valeur le regard du créateur, actif, à celui de l’observateur, passif, même si les beaux discours actuels, se référant à la physique quantique nous disent que « l’observation de l’expérience modifie l’expérience » ! Taratata, dirait-on dans les chaumières, ce n’est pas parce qu’on observera assidument La Joconde qu’elle modifiera son sourire énigmatique !
Trêve de digression, je ne peux que vous engager à aller voir « L’aura du sol », l’exposition des photographes, Anne Favret et Patrick Manez, à la Galerie du Musée de la Photographie Charles Nègre de Nice, car elle est, sur bien des facettes, surprenante, et par-là-même, excellente. Favret & Manez présentent dans un même lieu, deux de leurs séries, « Les Arpenteurs* »
et « Hyperboréal *» ; l’une met en scène leur travail sur l’observatoire de Calern, faisant l’objet d’une édition en 2014, l’autre résulte d’un projet récent mené en Islande. Ces deux œuvres entretiennent entre elles de multiples filiations, dans la démarche adoptée, comme dans les partis pris esthétiques et la genèse de leurs réalisations successives.
En quoi, maintenant, m’ont-elles séduite, au-delà de la terminologie du dossier de presse ? D’abord parce que, plus qu’une filiation j’y ai lu, au premier regard, une œuvre commune. Et ma surprise, allez, j’ose dire mon émotion, est venue de ces portraits d’hommes et de femmes, posés telles des éléments de la nature, êtres venus d’une autre planète ou d’un autre temps, bien que singulièrement contemporains, dans ces paysages fantastiques et envoûtants.
Pour mieux comprendre, j’aime donner la parole aux artistes : « Hyperbole, reprend quelques-unes des problématiques abordées dans notre précédent ouvrage Les Arpenteurs : la communauté utopique, le récit fictionnel. Si utopie, il y a, elle réside dans le corps de l’image et de notre attitude vis-à-vis de la réalité de ce territoire. Nous nous sommes attachés à prendre le contrepied systématique des attentes que nous projetons sur ce pays pour montrer une réalité beaucoup plus prosaïque et finalement très proche de ce que nous connaissons sous nos latitudes. (…).
Avant de poursuivre, il me faut préciser mon sentiment. J’ai toujours admiré la rigueur des photographies de Favret & Manez sans pour autant me laisser entrainer par leur récit ; je lui restais extérieure. Or là, sans doute compte tenu de cette osmose entre ces lieux et ces êtres, j’ai perçu ce qu’il y avait d’humain, de palpable dans les choses les plus ordinaires : un bâtiment, un bureau, un local technique, et cela, au-delà même d’une présence humaine…
La surprise, que j’évoquais au préalable, est venue, je pense, de quelque chose de non palpable, comme une meilleure compréhension de l’œuvre de ces artistes, mais aussi de la découverte de lieux dont j’ignorais tout, l’un proche, l’observatoire du plateau de Calern* et ses activités, l’autre lointain, situé à l’extrême Est de l’Islande, sur un territoire allant du barrage de Karahnjukar, au nord du glacier Vatnajökull, jusqu’à Reydarfjördur où a été implantée la fonderie Fjardaal appartenant à la compagnie américaine Alcoa que le barrage de l’aluminium alimente en énergie hydraulique…
Des entretiens réalisés sur place, au fur et à mesure des rencontres avec les personnes dont les photographes ont fait le portrait, sont consultables dans l’exposition.
* Les arpenteurs, a été réalisé avec le concours du Centre national des Arts Plastiques. Un livre est édité par les Éditions Loco, Paris -2014
* Hyperboréal, Résidence Klaustrid Air Program à Striduklaustur, Islande – 2015
*Le site d’observation du plateau de Calern a été inauguré en 1974 sous la dénomination « Centre d’Étude et de Recherches en Géodynamique et Astronomie » (CERGA) au terme d’une campagne de prospection pour l’implantation d’un nouvel observatoire astrométrique. Ce plateau calcaire semi-désertique de 20 km2 de l’arrière pays grassois bénéficie d’un nombre élevé de nuits claires.
L’exposition « L’aura du sol » est présentée dans le cadre de :
Sept Off 20ème édition – Festival de la Photographie Méditerranéenne – Nice Vence
Jusqu’au 13 octobre 2018
Galerie du Musée de la Photographie Charles Nègre
Place Charles-Félix – Nice
et
« Topo-Graphie »
Anne Favret, Patrick Manez, Jean-Pierre Roubaud
Jusqu’au 6 janvier 2019
Musée de la Photographie André Villers
Porte Sarrazine 06250 Mougins Village