Le (dé)confinement vu à la télévision
Cette longue période de confinement fut propice à des bouleversements de toutes natures, l’occasion de se réinventer pour bon nombre de personnes mais également pour les chaînes de télévision et les diverses plateformes de streaming, privées de tournages de leurs fictions, jeux, et toutes émissions avec du public.
Face aux angoisses dues à la situation et en réaction à l’inactivité, une frénésie télévisuelle s’est élevée dans le pays. Les plateformes de streaming ont rapidement réagi en répondant à la demande croissante et au manque dû à la fermeture des salles obscures, avec des programmes plus ou moins adaptés. Obscure, c’est la réaction de certaines chaînes telles que TF1 ou M6 qui vont immédiatement dégainer en raclant les fonds de tiroirs de leurs catalogues de fictions, en rediffusant tous leurs téléfilms de noël. D’autres feront d’autres choix …
Arrêtons-nous sur quelques exemples de programmes diffusés ça et là sur les chaînes historiques ou sur des plateformes, nous renvoyant le reflet d’une vie confinée.
La sidération
Réduits à l’inactivité du jour au lendemain, beaucoup d’entre nous se ruent alors sur les petits écrans pour regarder enfin une ou des séries pour lesquelles le temps avait manqué. Rapidement, certaines plateformes offrent à tous leurs programmes habituellement payants. Ainsi on a pu découvrir Madelen, le nouveau site de streaming de l’INA qui, pendant toute la période du confinement a proposé gratuitement toutes les vidéos d’antan. De son côté, Canal+ décide immédiatement d’offrir ses chaînes à tous et pour les abonnés, la possibilité d’accéder à tous les bouquets, incluant les chaînes OCS, Ciné+, TCM, Paramount Chanel, de quoi bien remplir nos journées ! Quelle délectation de se vautrer voluptueusement dans les programmes ciné de toutes ces chaînes, entre documentaires, master class, films rares et autres entretiens avec des réalisateurs de renom sur l’ensemble de leur carrière. Je ne saurais que trop recommander le passionnant documentaire sur OCS «Robert Enrico, bref passage sur la terre», réalisé par Jérôme Enrico, fils du réalisateur du «Vieux fusil» et des «Grandes gueules», qui revient sur le tournage et l’arrêt du film maudit «Coup de foudre», avec Catherine Deneuve commentant en off les quelques scènes tournées et montées pour l’occasion.
Passé le moment de sidération d’être ainsi prisonnier de nos propres demeures, cette véritable boulimie du petit écran s’est instituée avec une envie irrépressible de regarder tous les épisodes des séries sans interruption. Le binge watching jusqu’alors attribué aux geeks des séries télé se démocratise de façon durable.
Le moment est venu, si ce n’est déjà fait, d’enchaîner sans crainte les trois saisons de «La servante écarlate (The handmaid’s tale)» ou de «True Detective», thriller particulièrement addictif, certainement les deux meilleures séries de ces dernières années, toutes deux diffusées sur OCS. Margaret Atwood, auteure de «La servante écarlate» a ravivé la fascination pour les dystopies. Ces fictions décrivant des sociétés utopiques dont les dirigeants empêchent d’accéder au bonheur prennent soudain un nouvel écho dans la situation mondiale actuelle. On perçoit différemment l’enfermement de ces femmes cloîtrées et masquées dans cette société de Gilead qui a décidé de revenir à un puritanisme forcené et d’asservir les femmes. On retrouve beaucoup de thématiques dans les séries autour de l’enfermement et des femmes. Netflix propose «Unorthodox», une mini-série allemande. L’héroïne, une jeune fille de 19 ans est prisonnière d’une famille toxique ultra-orthodoxe de Brooklyn. Victime d’un mariage arrangé, elle va fuir en Allemagne où réside déjà sa mère. Sa famille la sachant enceinte va tout tenter pour la retrouver. Drame fort et glaçant autour de cette jeune fille qui va découvrir la vie en recouvrant sa liberté. Dans «Kalifat» mini-série suédoise, on va suivre trois parcours de femmes ; Pervin veut fuir Raqqa en Syrie où elle est partie s’installer avec son mari. Elle prend rapidement conscience que la vie rêvée qu’on lui avait promise se transforme en cauchemar. Elle prend contact avec Fatima de la police nationale de Stockholm qui elle, est en opposition avec sa hiérarchie. Pervin lui confie qu’un homme envoyé en Suède fomente un attentat. Un relation sous tension se noue entre les deux femmes, chacune ayant besoin de l’autre. De son côté, Sulle une jeune lycéenne va croiser le chemin d’un rabatteur et tomber dans le piège de la radicalisation. Cette série, hyper réaliste quand elle nous plonge dans le quotidien de la vie à Raqqa et l’endoctrinement religieux, devient haletante au fil de l’intrigue dont on ne sort pas indemne.
A l’instar des héroïnes de «La servante écarlate», de «Kalifat» et de «Unorthodox» en révolte contre le fanatisme et l’endoctrinement, Gypsy Blanchard dans la première saison de The Act» va tenter de sortir d’une relation toxique qu’elle entretient avec sa mère surprotectrice, incarnée par une Patricia Arquette méconnaissable. Inspiré de faits réels, chaque saison de la série diffusée sur Polar+ se consacre à un fait divers dont l’étrangeté dépasse la fiction. La trajectoire de Gypsy qui vécut toute son enfance et son adolescence se croyant gravement malade, à la merci de sa mère atteinte du syndrome de Münchhausen par procuration, ne peut déboucher que sur un drame. Construite en flash-back à partir de la découverte du corps de la mère, la série retrace alors l’histoire des deux femmes. Une histoire glaçante, s’emparant d’un sujet méconnu qui fit couler beaucoup d’encre aux Etats-Unis.
Besoin de réconfort
Après quelques migraines et nuits blanches à enchaîner les épisodes, l’envie se fait sentir de revenir à des sujets plus réconfortants. C’est alors que les chaînes historiques ont proposé de diffuser le cinéma du patrimoine. De grands films français qui ont fait l’histoire du cinéma. Misant sur des valeurs sûres, France 2 commence à diffuser tous les après-midi des films maintes fois diffusés avec Louis de Funès, Fernandel, Jean Gabin, Jean-Paul Belmondo… L’occasion toutefois de (re)voir des chefs d’œuvres tels que «Le jour se lève» de Marcel Carné, relatant une nuit de confinement d’un homme dans son appartement. Par le biais du flash-back, le spectateur va découvrir ce qui l’a mené à abattre un autre homme et comment s’est noué le drame. Ou encore «La Grande illusion» de Jean Renoir, film de 1937, clairement pacifiste, relatant la fraternité entre des prisonniers de guerre, capturés en Allemagne pendant la Grande Guerre, mêlant les classes sociales jusqu’à l’évasion des personnages de Jean Gabin et de Dalio, grâce au sacrifice de personnage aristocrate incarné par Pierre Fresnay, après un affrontement absurde (comme la guerre) avec le directeur de la prison (Erich Von Stroheim), avec qui il partageait une même noblesse d’âme. Deux films indispensables et emblématiques de réalisme poétique.
N’oublions pas la proposition du site de l’INA avec l’ouverture de sa plateforme de streaming Madelen, avec au programme la possibilité de visionner tous les feuilletons de notre enfance ; «Vidocq», «Belle et Sébastien, «Les gens de Mogador», «Belphegor» ou «Michel Strogoff», «Arsène Lupin», «Papa poule», «Les brigades du Tigre»… Rien de plus rassurant et un soupçon régressif que de se réfugier dans des valeurs sûres, fleurant bon la nostalgie des temps anciens et heureux. Restons un instant sur les séries historiques avec la proposition de la chaîne Histoire qui diffuse régulièrement depuis quelques mois «Les Dames de la Côte» de Nina Companeez, formidable mini-série en cinq parties de 1979. On le sait, François Truffaut trouva son héroïne de «La femme d’à côté» en découvrant Fanny Ardant dans cette épopée sentimentale, se déroulant entre 1911 et 1919. L’intrigue tourne autour de plusieurs femmes de classes sociales et d’âges différents qui vont traverser ce grand moment de l’Histoire de manières différentes. Point de scènes de combats ni de tranchées mais la vie au quotidien à l’arrière du front. Les femmes qui ont pris les rennes de la société civile travaillent, s’émancipent en attendant leurs hommes, pour ceux qui auront la chance de rentrer chez eux. Campaneez insuffle un vent féministe en donnant le point de vue des femmes en temps de guerre. Elle dresse le portrait de femmes jetées dans l’adversité et décrypte leurs sentiments. Le casting mêle intelligemment plusieurs générations de comédiens qui va faire le succès de ce feuilleton. Autour de grandes figures du cinéma, Edwige Feuillère et Denise Grey, on retrouve Françoise Fabian, Michel Aumont, et de jeunes comédiens alors inconnus que la réalisatrice est allée chercher au théâtre, Fanny Ardant, Francis Huster, Bruno Devoldère, Evelyne Buyle, Martine Chevallier, Hélène Vincent… Programme de qualité qui fait fi du mépris du monde du cinéma pour les fictions télévisuelles. Nina Campaneez réussit brillamment à créer une mise en scène flamboyante sur un scénario solide qui ne laisse aucun personnage de côté : cocktail gagnant pour cette mini-série qui vient de fêter ses quarante ans sans prendre une ride !
En écho au déconfinement
Déconfinés, les soldats de retour aux Etats-Unis envoyés au centre Homecoming dans la série éponyme aimeraient bien l’être. «Homecoming» de Sam Esmail, en dix épisodes de trente minutes, avec Julia Roberts, sur Amazon Prime retrace l’histoire de Heidi Bergman, psychologue dans ce centre expérimental, venant en aide à des soldats rentrés du front et souffrant de stress post-traumatique en vue de les rendre à la vie civile. Elle reçoit ses ordres par téléphone d’un obscur homme qui semble peu fiable. Quatre ans plus tard, elle est serveuse dans un bar et vit chez sa mère. Interrogée sur son précédent travail, elle semble ne se souvenir de rien… Ce thriller psychologique de très bonne facture, dont chaque plan fait clairement référence à Brian de Palma, Alfred Hitchcock ou encore David Fincher, séduit immédiatement. Le dispositif visuel étonne par sa composition en présentant les scènes du passé en plein écran et les scènes du présent filmées à la verticale encadrées de bandes noires, enfermant littéralement l’espace mental de son héroïne. Le réalisateur saupoudre le tout d’une bande son démente, issue de nombreux thrillers connus, «Les hommes du président», «Marathon man», «Klute», «Duel», «The thing», «French connection», «Dead zone»… Ainsi à l’apparition de la mère incarnée par Sissy Spaceck, on peut entendre un des thèmes de Carrie. Par ailleurs, Sam Esmail offre à Julia Roberts son meilleur rôle depuis des années.
Et pour conclure cette longue période de folie, «L’agent immobilier», la mini-série d’Arte résonne particulièrement et tombe à point nommé. L’absurde s’invite sur nos écrans mêlant un brin de fantastique. Mathieu Amalric y incarne avec délectation un agent immobilier raté et loufoque qui va hériter d’un immeuble en ruine qu’il décide de vendre pour rembourser ses dettes. La rencontre avec l’unique locataire va tout changer. Au fil des quatre épisodes, cette fable inventive et humaniste nous entraîne entre passé et présent, l’agent immobilier y croise un créancier et son fils particulièrement glouton, une tirelire cochon nommée Zimmerman, ou encore un poisson magique et parlant¬ dans son bocal. C’est décalé, absurde à souhait et ça fait un bien fou en attendant la réouverture des salles obscures !
Isabelle Véret