"La Sainte Famille" 
Centre Pompidou,
"La Sainte famille" Centre Pompidou,

« Le théâtre des objets » de Daniel Spoerri.

Est-ce le recul par rapport à l’époque renfrognée que nous sommes en train de traverser ou simplement un trait de mon caractère, j’aime que l’art me fasse du bien, et Daniel Spoerri par son humour, sa façon de regarder ce qui est inattendu et dérisoire dans la création artistique, m’a toujours remplie de joie. Cela dit sans emphase, Rebecca François, la commissaire de l’exposition, par la fraîcheur de son regard sur l’œuvre de l’artiste, a révélé ce qu’il y a d’essentiellement intemporel chez Spoerri. C’est un peu comme si la jeunesse de la commissaire avait revivifié non pas la célébrité de l’artiste, mais son don de s’amuser de l’art et de ses objets.

Pour positionner Daniel Spoerri disons qu’il rejoint les Nouveaux Réalistes avec ses Tableaux-Pièges initiés en 1960, qu’il est proche de Fluxus et initiateur de l’Eat Art.  L’exposition « Le théâtre des objets » rend compte de la façon dont il se frotte au hasard, à l’anecdote au dérisoire, avec comme point de départ, l’émotion. Elle s’apparente à une déambulation aussi surprenante et fascinante que celle d’une fête foraine, avec ses pièges et ses attrapes, ses cabinets de curiosités, ses banquets

L’exposition, sur 1200 m2, avec près de trois cents œuvres et documents est d’une densité extrême, parfois un peu trop répétitive notamment sur les musées insolites et les banquets, mais elle affirme  la volonté de l’artiste de créer une nouvelle forme d’art, un projet global, participatif, sentimental et populaire.

Si l’ensemble de l’œuvre s’apparente à une rétrospective, les Tableaux-Pièges, notamment ceux du début, m’ont enthousiasmée et  révèlent plus que tout, le tempérament profondément nomade de l’artiste. Daniel Spoerri est né en 1930, en Roumanie. Après l’assassinat de son père, il se réfugie en Suisse. Itinérant également dans sa démarche professionnelle, il passe de la danse au théâtre puis à la poésie concrète, pour en 1959, entamer une souveraine démarche artistique. Ces déambulations géographiques, aussi bien que créatives, rendent son expression artistique souvent insolite mais surtout particulièrement libre. Son sens de la dérision, son humour permanent  donnent à cette œuvre une éternelle  jeunesse.

Dans les « Foires aux puces » des étalages d’objets délaissés, hétéroclites, bricolés sont emprisonnés dans des encadrements  à la verticale et transmettent à ces tableaux une charge poétique qui n’est pas sans rappeler les œuvres des Surréalistes. Peu à peu Spoerri se fait marieur d’objets et de « Pièges à mots », s’amuse du dialogue fécond entre l’emprunt  d’une image existante et l’ajout d’objets inquisiteurs.

Une autre facette de son travail – il est dans son cas bien étrange  d’employer ce mot –  prend sa source dans son amour immodéré pour la cuisine, la convivialité et la fête et s’exprime dans ses Tableaux-Pièges et l’histoire des repas, restaurants et événements qu’il a initié à travers un large éventail de documents d’archives (photographies, vidéos, menus). Des dîners/thèmes qui suscitent chez les convives, surprise, ravissement ou dégout.

Il semble que le regard plein de fraîcheur de Rebecca François sur l’œuvre de Daniel Spoerri ait vivifié les souvenirs de l’artiste avec lequel, pour préparer l’exposition, elle a partagé de nombreuses interrogions et reçu parfois quelques réponses.

En effet pour la génération d’aujourd’hui qui n’a connu que la paix, comment imaginer ces maisons éventrées par les bombardements où des enfants comme Spoerri découvrent des intérieurs intacts, remplis de tous leurs effets, meubles, objets, vêtements, qui racontent au quotidien, la vie qu’une famille ? On comprend alors que  ces visions aient fasciné Spoerri et soient devenues  le cœur de son œuvre. Qui connaît, aujourd’hui, cette fièvre de trouver, au hasard des marchés aux puces, ces objets, ces bricoles qui ont disparu le temps d’une guerre, mais sont encore présents dans les mémoires ou les imaginaires ?

Dans la visite qu’elle a réservée aux Amis du MAMAC, Rebecca François a su communiquer à son public cette sensation de familiarité qui s’est établie entre elle et l’artiste. Elle donne à ce parcours, le côté chaleureux d’une rencontre d’atelier avec ses anecdotes, ses confidences, sa légèreté,  et ce qui n’est pas contradictoire, sa profondeur aussi…

L’œuvre monumentale La Réplique de la Chambre n°13 de l’Hôtel Carcassonne (1998) est présentée pour la première fois en France et plusieurs banquets imaginés par Spoerri à partir de 1963 seront organisés avec la collaboration de l’artiste

Jusqu’au 27 mars 2022

Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain

Place Yves Klein – NICE

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