
La Fiac par l’école buissonnière
Il n’y a pas eu une journée sans qu’un magazine, un quotidien ne détaille, presque heure par heure ce qu’a été cette Fiac 2016, un succès ! Y étant arrivée à la première heure, c’est-à-dire à l’ouverture réservée en principe aux collectionneurs, je m’attendais à pouvoir regarder les œuvres dans le calme et avec l’attention requise, or cette année, par un jeu d’invitations revues à la hausse (peut-être la crainte de voir le public bouder les manifestations de foule après les attentats), ce fut parmi un afflux de public que je déambulais dans les allées, retrouvant amis, fréquentations de ma période new-yorkaise et autres relations, dans une effervescence rendant difficile la concentration nécessaire à une bonne lecture des œuvres d’art. Mais après tout, est-ce l’essence des choses qu’on vient chercher dans une foire ? L’acheteur ou le collectionneur (choisissez) n’est-il pas là pour faire une affaire, enfin, vu les prix proposés, sont-ce encore des affaires ? L’avenir le dira !

Chloe Wise It’s Cool To Be Fun, 2016, Oil on canvas, urethane, oil, wood 122 x 91,4 cm 48 x 36 inches © Chloe Wise
Courtesy of the Artist and Almine Rech Gallery
Bon, revenons à ma balade, puisque c’est ainsi que j’ai conçu ma visite qui, d’une part, n’est pas faite pour acheter car je n’en ai pas les moyens, ni pour critiquer car je n’en ai pas le goût, mais plutôt pour me faire plaisir et vous vanter ce que j’ai aimé. Et vous le verrez, mes choix sont plutôt éclectiques.
Une précision encore, je n’ai lu aucun des articles de presse amassés sur mon bureau, si ce n’est l’interview un peu agacée de Jennifer Flay pour le Figaro du 20 octobre, au titre ravageur : « Les galeries françaises ont la place qu’elles méritent. » En effet, est-ce vraiment la vocation d’une foire que de se faire promotrice du commerce français de l’art ? N’est-ce pas aux galeries de faire ce travail courageux de choix qui pourrait les mener en haut de l’échelle plutôt que de suivre ce qui est à la mode ailleurs ! Jennifer Flay est très claire sur ce point : « La Fiac est une Foire internationale d’art contemporain et doit être à la hauteur des autres événements. Les galeries françaises ne doivent pas avoir plus de place que celle qu’elles représentent sur la scène internationale (sic) », un point de vue que je partage… Maintenant, savoir comment décider de cette importance ? Bon choix, intéressantes découvertes, chiffres d’affaires, pouvoir international ? C’est là que devrait se porter la réflexion, un exercice auquel je me livrerai peut-être plus tard dans un papier d’humeur.
Mais revenons à ma visite ; comment l’articuler ? Il s’agit d’une déambulation dans les allées du rez-de-chaussée du Grand Palais où je me suis laissée aller à découvrir, reconnaître et aimer des œuvres dont je ne pourrai malheureusement pas toujours vous montrer d’images, tant il est compliqué de les obtenir.

Camille Henrot
The Man Who Understands Animal Speech Will Be Pope, 2016,
Bronze, Marmo Giallo Siena marble, and Egyptian Yellow marble
87.01 x 26.38 x 9.06 inches
221 x 67 x 23 cm
(MP# CH—66)
Courtesy of the artist an Metro Pictures Gallery, New York
Mon premier bonheur m’est offert par Camille Henrot (eureka, une Française !) présentée par Metro Pictures, New York. L’artiste, nous dit-on, développe une pratique variée qui mêle film, dessin et sculpture. Elle puise ses inspirations et ses sujets dans la vie quotidienne et dans la littérature, la mythologie, l’anthropologie, mais aussi la biologie évolutive ou l’histoire des religions… Lion d’argent de la 55ème Biennale de Venise, l’artiste, si elle m’est inconnue, ne l’est pas d’un public averti. J’ai aimé sa sculpture The Man Who Understands Animal Speech Will Be Pope, 2016, pour son humour et la qualité très américaine de sa réalisation. Une autre œuvre, excellente elle-aussi, était présentée par König Galerie, Berlin.
Deuxième coup de cœur Omar Ba, galerie Daniel Templon, avec la grande toile Alép – Ground zero, 2016, huile, crayon, encre de Chine, acrylique, gouache sur toile, que vous pouvez voir à la une de mon article.
J’avais déjà flashé sur Omar Ba, découvert par Anne de Villepoix, et présent à la Fiac cette année avec cette grande toile animalière et mythique qui dit bien fort que la peinture n’est pas morte, même pour les jeunes artistes. Autre bonheur pour un amateur de ce médium, la toile d’Eddie Martinez chez Mitchel-Innes & Nash, New York, un artiste que j’avais déjà remarqué à Frize, il y a quelques années. De la peinture toujours chez Lelong, Paris, avec Sean Scully avec un admirable petit format mais d’un non moins admirable grand prix (350.000 euros). Et pour clore le chapitre « j’aime la peinture », un beau George Condo chez

EDDIE MARTINEZ, Untitled, 2016 Silkscreen ink, oil, enamel and silicone on canvas 72 by 96 in. 182.9 by 243.8 cm. © Eddie Martinez; Courtesy of the artist and Mitchell-Innes & Nash, NY
Sprüth Magers, Londres et Chloe Wise, chez Almine Rech, Paris.
Dans mon parcours en zigzag, j’ai été frappée par un penchant pour les miroirs et les transparences avec le maître en la matière, Michelangelo Pistoletto, chez Simone Lee, Londres, New York, Hong Kong, et chez Continua, Boissy-le-Châtel, San Gimignano, etc., mais aussi les jeux de réflexion Substration and Addition de Raphael Hefti, chez Raebervonstenglin, Zurich. J’ai expérimenté le parcours labyrinthique Changing Rooms de Leandro Erlich…

Changing Rooms, Leandro Erlich, 2008 sheetrock paneling, stools, frames, curtains and mirrors variable dimensions Leandro Erlich and Luciana Brito Galeria
Quant à la transparence, c’est Do Ho Suh qui l’aborde avec cette installation sur le stand de Victoria Miro, Londres, ainsi qu’au Petit Palais dans le secteur On Site, courtesy Victoria Miro et Lehmann Maupin.
Autre tendance du moment, le textile et les tressages ou tissages… Pas vraiment ma tasse de thé, mais il faut tout de même souligner l’admirable travail de Sheila Hicks, dont on peut voir Annecy, Vu d’en haut, 2016, chez Frank Elbaz, Paris ou The Twelve Sisters, 2015, galerie Massimo Minini, Brescia.
J’ai eu envie, à l’occasion de son importante présence sur la Fiac, de vous livrer un brin (c’est le mot) de son histoire, tant je trouve formidable la fraîcheur de ses créations, leur riche palette de couleurs. Sheila Hicks naît en 1934 à Hastings, dans le Nebraska. Elle découvre les textiles du Pérou précolombien. Après des études à Yale auprès de Joseph Albers, elle écrit une thèse sur les textiles pré-incas. Son œuvre se situe entre la tapisserie et la sculpture. Elle utilise la laine, le coton et la soie. Aux fils de trame, elle ajoute parfois de grosses mèches qui retombent en milieu de panneau sous forme de pompons ou de tresses, d’un aspect précieux, quand il s’agit de soie ou au contraire sauvage lorsqu’elle travaille la laine brute. Elle fabrique aussi ce qu’elle appelle des « cordes », qu’elle fixe sur des fonds tissés ; quand elle les laisse pendre librement, ou quand elle assemble des écheveaux, elle crée avec des fils des objets à trois dimensions. Sheila Hicks, dans son atelier caché au fond d’un passage au cœur du Quartier latin à Paris, dirige une petite équipe concentrée sur la réalisation des pièces, souvent destinées à des intégrations architecturales dans le monde entier… Belle énergie, non, quand on a quatre-vingt-deux ans !
Je pourrais vous parler encore d’autres artistes dont j’ai aimé les œuvres,

Vaters Acker, Neo Rauch, 2016 Oil on canvas, 300 x 150 cm
Neo Rauch and VG Bild-Kunst 2016, courtesy Galerie EIGEN + ART Leipzig/Berlin, photo credits: Uwe Walter, Berlin
Giovanni Anselmo, Thomas Schütte, Markus Lüpertz, Neo Rauch, Yayoi Kusama, Bernard Frize et surtout Candida Höfer pour laquelle j’aurais volontiers cassé ma tirelire ; mais n’est-ce pas un peu trop sage tout ça et si peu conceptuel… ceux qui me lisent connaissent mes faiblesses ! Alors pour ne pas être en reste, je tire mon chapeau devant l’opiniâtreté de Bernard Ceysson qui inlassablement soutient les artistes de Support-Surface, s’efforçant de donner à ce mouvement la place qu’il mérite avec Noël Dolla, (présent aussi au Petit Palais), Pierre Buraglio, Louis Cane, Marc Devade, Daniel Dezeuze, Bernar Pagès et les autres. Déjà présent l’année dernière à Officielle, cette jeune foire dont je regrette la disparition (c’était délicieux de descendre la Seine en péniche), il propose une vision intéressante d’un mouvement profondément lié au sud de la France.

Sight Enables Us to Appreciate Distance, Rosa Barba, 2016
70 mm film, steel, aluminum, LED, motors
185x260x13 cm, The artist and Parra & Romero
Si j’ai regretté Officielle c’est que je n’ai pas trouvé l’équivalent dans les galeries du premier étage du Grand Palais qui, compte tenu d’un espace trop fractionné en diverses salles, donnent une lecture difficile de ce qui devrait être une bonne vision des artistes émergeants (pour parler comme il se doit). Deux propositions ont cependant retenu mon attention, la première présentée par Messen de Clercq, Bruxelles, nous fait découvrir Ignasi Aballi dans un travail où la naissance de l’imprimerie et le processus de reproduction contemporaine se télescopent, et la seconde, où Para & Romero, Madrid, propose Sight Enables Us to Appreciate Distance, 2016, de Rosa Barba, un défilé, dans un mouvement perpétuel,… d’un texte inscrit sur un film de 70 mm.
Les autres foires à Paris
Je n’ai vu ni Asia Now ni Outsider Art fair, mais j’ai visité Paris International qui en est à sa deuxième session et peut satisfaire la curiosité d’un public cherchant à savoir comment on vit dans les hôtels particuliers de l’avenue d’Iéna, et précisément dans l’ancienne demeure du collectionneur Calouste Gulbenkian : quelques belles salles, et beaucoup de communs accueillent des propositions très moyennes, sauf l’œuvre très rafraîchissante de Thomas Party, proposée par Gregor Staiger, Zurich, qui occupe la majestueuse montée d’escalier de l’hôtel particulier.
La Young International Art Fair pour ma deuxième visite (je m’y étais rendue déjà l’année dernière) m’a donné le plaisir de retrouver, au Carreau du Temple, une petite foire pas prétentieuse et très sympathique où de bonnes choses sont à voir, ne seraient-ce que les petits formats de Damien Deroubaix chez Nosbaum-Reding, Luxembourg et pour moi un grand coup de cœur pour les travaux sur papier de Thomas Henriot chez Christophe Tailleur, Strasbourg, notamment les dessins faits sur le motif à Cuba, une vision en noir/blanc des façades si colorées de La Havane, étonnant !
C’est très impressionnant
Très chère Hélène
Car j’avais le sentiment que ta voix résonnait dans mon cerveau
En te lisant
Je t’embrasse fort
Ton Perdigon