Les mots bleus de Romy
Mon cher Jean-Jacques
Nos échanges épistolaires ne se font habituellement qu’après la parution d’un de mes articles. Cette fois, c’est toi qui exprime ton émotion pour un anniversaire de quarante ans d’absence…
Les mots bleus de Romy
» Ma Chère Hélène,
Rien ! Mais rien ne m’a plus réjoui l’Âme et le cœur que de répondre au rendez-vous amoureux de ce Paris printanier au parfum de « L’heure bleue » *, mêlé à la fragrance Chanel qui sponsorise cet anniversaire ; Quarante ans !
Magdalena est là, dans sa robe d’une simplicité sans souci…*
On ne passe pas par là…l’Ange m’a guidé…tout le long de ce voyage en Romy.
Je pense à Rûmî, une voix d’or s’élève, grave et chaude, emplie des douceurs de la terre et du ciel.
Tu parlais de théâtre devenu cuisine dans ton dernier édito…et cela m’a aiguisé !
Ici, c’est la cuisine de la vie qui devient le sens de la visite.
Musée du Cinéma ! Hommage-exposition, mais surtout hommage sans âge !
À réveiller Maître Langlois et l’ombre de son ciné-fils, Serge Daney *… Autre lumière de la bande en celluloïd des Cahiers du cinéma.
« Partis pour rester… » *, c’est si vrai ! Sissi-Romy en beauté retrouvée…
Allez-y ! Faites la queue pour la pièce qui se joue dans le cadre d’un jardin de Bercy. Le jardin des Finzi-Contini du demi-siècle passé avec de gigantesques acteurs du théâtre de la vraie vie ; les choses de la vie.
« NON » est le cri de victoire de notre princesse préférée.
Ma préférence de toujours…Jusqu’à l’âge où les feuilles d’automne
prennent une couleur indéfinissable…Une saveur de mémoire;
la lumière dansante de la chambre ajourée et parfumée.
J’emporterai une carte portraite de la Dame élégante ;
fond noir, ombre savante, chignon tiré sur ses yeux aux cils rallongés,
ovale à la bouche perfection…et son regard qui porte un abyme
de questions devenues actuelles, que Romy a su transformer en réponses ineffables…
Cet hommage ne se résume pas aux films de sa vie sur le grand écran.
Et pourtant, tout se confond dans cette dissociation initiale… cette fissure qui éclairera le choix de ses rôles. On parle de résilience pour les êtres qui partent dans l’existence avec une carte manquante…Mais Sissi a tout, presque tout, au départ.
Une génétique de gens de la balle, une grand-mère paternelle exemplaire (Rosa Albach-Retty), deux parents beaux et célèbres, un pays de naissance beau…beau et qui sera le cadre de « Une vie cachée » * le film.
Enfin, une arrivée au monde dans le fauteuil de Freud ; Vienne.
Manque l’essentiel ! La reconnaissance du nom. L’incarnation du nom du père.
Et de ce nom qu’elle ne pourra porter par défaut, Rosemarie Magdalena n’en retiendra que la contraction du prénom de sa grand-mère. De ce nom-prénom que l’on prononce comme un coup de vieux fusil…
Elle déclamera un NON à toutes les autorités déplacées, les atteintes à sa liberté.
« …Je voulais devenir un être nouveau mais surtout être libre. »
NON à Sissi, Basta !
NON à « Daddy » et Magda Schneider mère…qui se servent.
NON à l’inceste du « géant de la restauration » pour vivre son Amour-Passion avec Alain…
NON à Clouzot en dernière limite, qui lui fait vivre « L’Enfer », jamais mixé sur l’écran de ses nuits blanches.
NON à l’Amérique qui la prend pour ce qu’elle n’est pas ; une poupée de chiffon.
NON aux bruits sur les plateaux…NON à ce repas de fin de tournage où son mentor Claude Sautet « oubliera » d’inviter les « électros » et « machinos » du plateau…
« Mon cher Maître Clo, Cher Michel… Je ne serai pas là au dîner demain soir… Votre Lily Schneider. » *
Élégante Romy ! De son écriture pleine et déliée…
Par ses petits mots, ces carrés de papier, qu’elle dispense et disperse à qui veut bien les entendre, Rosalie va baliser sa vie entière de cailloux blancs, gris ou noirs de ses émotions et sentiments d’infante abandonnée, bafouée, exploitée.
« Merci pour ta tendresse », « Merci de me soutenir… », « With Love… »
Mais ce nom : Schneider, qui claque comme le clac des films à venir, va se transmuter en
OUI je veux ! OUI à la pièce de théâtre avec Alain, conduite par le seul maître qu’elle remerciera officiellement de ce qu’il lui a si bien appris son métier d’actrice ; Visconti ! Imaginez…
OUI à la Piscine, dans laquelle flottera à jamais son corps de d’Aphrodite, d’Amour absolue entre deux beaux, très beaux grands enfants.
OUI à tous ceux qui lui porterons sur un plateau, des rôles sur mesure et démesurés de perfection.
OUI aux femmes qui se battent, déjà…pour l’égalité, la parité, la reconnaissance.
Marguerite, Mélina, Jeanne…Tant d’autres, jusqu’à cette journaliste et féministe * qui lui donnera la confiance et le courage, au pied d’une église de Cologne, de balancer sa souffrance aux yeux des frileux et des négationnistes…de tous temps.
OUI au manifeste des 374 Allemandes, miroir des années 68 de nos 343 « salopes » Françaises.
OUI, Romy est toujours la séduisante Rosalie de César.
Sautet qui ne la connaît pas et n’a vu aucun de ses films, pas même Sissi, évoque « Un coup de foudre créatif » et reconnaît cette beauté qu’elle s’est-elle même forgée, « Un mélange de charme vénéneux et de pureté vertueuse… ».
OUI, Schneider reste la sacrifiée mère de l’enfant juive adoptée, aimante du bon chirurgien Noiret, violée dans une scène pour laquelle elle donne TOUT ! Tout ce qu’elle a subi et refusé d’un courage sans limite, tout ce qu’elle dénoncera sans froisser sa mère.
OUI à Zulawski, pour regarder les yeux dans les yeux, l’objectif de l’indécence du bel étalon Italien…en lui pleurant ; l’important c’est d’aimer *.
Il n’y a pas de limites en Romy…Jamais elle n’aime pas.
Toujours, elle redressera son visage illuminé de ce sourire enfantin, unique, « photogénique », dont elle porte les gènes d’une Histoire chancelante.
Tout est là, dans cette flamme ardente de vie et d’épreuves qui vont atteindre un point de non-retour. Cette fin, est le plus beau cadeau que la providence a pu faire à cette FEMME qui n’aurait peut-être pas supportée d’affronter le naufrage de la vieillesse.Il faut taire ses deuils et ses pertes irréparables…pour lui rendre son élégance.
L’auteur de ces lignes n’a pu rester à la projection de la « mort en direct », dans la salle Langlois, l’après-midi de ce rendez-vous : Romy apparaît dans une scène où elle rejoint son David-acteur dans un jardin. Il la regarde, ils se regardent. Elle met un genou à terre et lève les yeux pour s’adresser au fils de sa vraie vie. Soutenant une intensité du regard qui résume tous ses combats, toutes ses luttes, tout son Amour possible…peu avant de le perdre comme un Christ, mortellement blessé par la bêtise…de la vie.
Et puis ? Des gouttes de pluie sur le verre…de mes yeux.
Dehors le soleil respire, deux petits livres bien faits, cette carte-portrait que j’emporterai le lendemain, vers le pays du sourire ; le Cambodge, sans plus de barrage sur le Pacifique… *
« Dans mon pays, on remercie… » dit René Char (Les matinaux. Poésie.)
Merci Romy. Les paumes de mains rejointes, pas trop haut, au niveau du cœur, délicatement, la tête à peine fléchie. Merci pour cette élégance de toute une vie, pour cet exemple qu’un jeune adolescent de quinze ans a pris pour guide amoureux.
Merci d’être là, ici et maintenant, dans nos vies qui perdent quelquefois le bon sens.
Merci d’être si proche de Amy * qui écrivait déjà à l’âge de dix ans ;
« J’aime vivre et je ne vis que pour aimer ». Elle te ressemble, quelque part, la déesse de la Soul…Comme Rosalie te ressemblait.
Il n’y a plus de Sissi, plus de Rosalie ni de Mado. Il n’y a plus de banquière ni de passante du sans souci. Pas plus de Montand ni de Samy…Il y a tes mots de cœur.
Demeure cette lettre que tu récites avec cet accent indéfinissable de charme et de séduction :
« Où tu es ? Où tu es ? Tu vis et tu ne réponds pas…
David ! César sera toujours César et toi tu seras toujours David qui m’emmène sans m’emporter, qui me tiens sans me retenir et qui m’aime sans le vouloir. » *
À demeure, son David fils adoré, choyé mais disputé avec lequel elle passera sa dernière nuit, alors que l’amour est encore une fois à la porte de sa chambre…David sur les murs, qui l’emporte une fois pour toutes pour le rejoindre…sur l’autre rive, dans l’autre cité.
Merci Chère Hélène de laisser tourner en boucle cette ritournelle d’Amoureux ;
« Là-haut, un oiseau passe comme une dédicace dans le ciel… » *
Je t’aime tant…comme dans un essaim d’enfants…
Comme ta vie le soir, dans un miroir sans tain.
Le soleil rentre dans ta chambre, une femme à sa fenêtre et son rayon.
Où tu es ? Où es-tu ?…
Parle nous de toi, tu n’as pas froid ? Ton étoile brille comme celle de Jacques…de François, Vincent, Paul et les autres…tous les autres.
Tous les avions partiront avec Toi.
C’est toujours l’amour, l’amitié, le carnet intime…des choses de la vie. »
On t’aime Mademoiselle Albach, Madame Rose Marie Magdalena.
Au fond du cœur reste le regret d’une heure, d’un été, d’un court moment où l’on atteint sans doute son point de floraison, où…
« l’Âme ne s’égare qu’au dehors. Au dedans, son nid éternel ». *
Jean-Jacques Campi, juillet-août, 2022.
Dans l’ordre,
Étoiles * dans la constellation de Romy :
* « L’heure bleue », parfum préféré, Guerlain, 110 ans.
* La robe portée pour la passante du sans souci, seul vêtement exposé à Bercy.
* Serge Daney (1944-1992), rédacteur en chef des « Cahiers du cinéma », éditorialiste « Libé ».
* « Partis pour rester », Chanson, Francis Cabrel. 2015 , Album In extremis.
* « Une vie cachée » https://chezlolagassin.com/une-vie-cachee-mais-pas-gachee-le-film-de-terrence-malick/
* Romy refuse sur un « petit mot » l’invitation à dîner par Sautet et Piccoli,
qui oublient les techniciens du film « Max et les ferrailleurs » à la fin du tournage.
*Alice Schwarzer ; Magazine féminin Emma – Interview – « Romy intime ».
* Scène de l’important c’est d’aimer : « Pas de photos s.v.p…. Je suis actrice de cinéma…Je fais des choses bien, vous savez ! ».
* « Barrage sur le Pacifique », roman réaliste de M. Duras, que Romy admirera et soutiendra.
* Amy Winehouse (1983-2011) : inspirée par les années 60 pour son look et ses chansons, tenait des carnets depuis l’enfance.
* Rosalie écrit une cinquième lettre à David. Sa voix Off s’inscrit à la lecture par Samy Frey.
* La chanson d’Hélène. Écrite par Philippe Sarde, enregistrée en 1970 (avec M. Piccoli)
* « Dialogues avec l’Ange ». Gitta Mallasz. Hongrie – 1943-44. Ed.Aubier.
Magnifique hommage à cette grande Dame… elle nous manque. Merci pour ces beaux partages.