Andrew Sean Greer
Andrew Sean Greer

« Les tribulations d’Arthur Mineur », Andrew Sean Greer

« Les tribulations d’Arthur Mineur » Andrew Sean Greer

 Prix Pulitzer de la fiction 2018*

 Parution le 1er janvier 2019, Éditions Actes Sud / Jacqueline Chambon

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Gilbert Cohen-Solal.

Andrew Sean Greer n’est pas un inconnu. Ce qui l’a rendu célèbre, c’est le roman The confessions of Max Tivoli, paru en 2004 et inspiré par la nouvelle de F. Scott Fitzgerald,  L’Étrange Histoire de Benjamin Button, devenue, en 2008, un film de David Fincher au titre éponyme, avec Brad Pitt dans le rôle principal.

Andrew Sean Greer est un Américain né en, 1970, à Washington c’est un ancien étudiant en « écriture créative » à la célèbre université Brown, située à Providence (Rhode Island). Il a notamment été dans les classes d’Edmund White. Lui-même devenu professeur, Andrew Sean Greer a d’abord publié des nouvelles dans de prestigieuses revues (The New YorkerThe Paris Review, Esquire) avant d’écrire des romans. Le premier s’intitulait The Path of Minor Planets qui, selon The New Yorker, met en lumière la « minuscule partie cachée de folie chez les gens ordinaires. »

Il a l’air de bien aimer les gens ordinaires, Andrew Sean Greer. Le personnage des Tribulations d’Arthur Mineur (Arthur Less dans le titre original : un nom court qui en dit long), est un écrivain « milieu de liste », comme l’a écrit Le Monde. Il ne connaît plus le succès depuis longtemps et son éditeur vient de refuser son dernier manuscrit. Arrivé à l’orée de sa cinquantaine, il a le sentiment que sa vie est en grande partie ratée. Déjà, la cinquantaine en question lui déplaît souverainement, au point qu’il aura une conversation téléphonique assez désopilante avec son éditrice allemande, lui faisant part d’un « très gros problème » : la quatrième de couverture dit qu’il a cinquante ans, or il ne les a pas encore, son anniversaire n’est que dans quelques semaines…

Frôlant parfois le ridicule, Arthur Mineur est néanmoins attachant par son côté candide et maladroit. Pourtant, comme le dit un personnage, « c’est un peu difficile de ressentir de l’empathie pour un type comme ça », un homme blanc plus si jeune que ça, un auteur en demi-teinte qui trimbale ses chagrins existentiels et ses amertumes d’Américain en quête de gloire et d’amour.

S’agissant de sentiments, Arthur Mineur rate aussi ses histoires d’amour. Elles se passent avec des hommes et, là encore, Arthur s’en sort mal – non pas « techniquement » car lorsqu’il embrasse, on lui reconnaît un talent hors normes ; il rate ses histoires par défaitisme, par pudeur, par une réserve en général qui fait dire à l’un de ses amis qu’il est « un mauvais homosexuel ».

On l’aura compris, ce livre est écrit sur le ton de la comédie et, de fait, il est souvent très drôle.

Itinéraire d’un fuyard

 Arthur Mineur traverse les pages du livre en fuyant – il se fuit. Il ne veut pas se rendre au mariage de Freddy, son ex-boyfriend, qu’il a certainement beaucoup plus aimé qu’il ne se l’est avoué et à qui, en tout cas, par pudeur ou par crainte, il ne l’a jamais confessé. Il faut dire qu’Arthur Mineur n’a jamais oublié sa première, belle et difficile histoire de cœur – également achevée – avec un très célèbre poète, marié, dont le génie et la célébrité n’ont pas amélioré l’image qu’il se fait de sa propre vie. Si on lui demande « C’était comment de vivre avec un génie ? », il répond : « C’était comme si on vivait seul. C’était comme si on vivait seul avec un tigre ». Il fallait donc se quitter. Arthur, quelque temps plus tard, est entré dans une histoire avec Freddy, à reculons, parce qu’il n’est pas porté sur les hommes plus jeunes que lui, et Freddy est un jeune homme. Ils sont pourtant restés neuf ans ensemble mais Arthur Mineur n’a cessé de pousser Freddy à ne pas trop s’attacher, voire à reprendre sa liberté. Et si Arthur se mentait et qu’en vérité Freddy fût le seul compagnon qu’il ait réellement aimé ?

Pour fuir les noces de Freddy – et pour fuir son livre refusé, sa vie qui s’effiloche – Arthur accepte à peu près n’importe quelles propositions de conférences ou de cours qui vont l’emmener d’aventures en mésaventures, d’Allemagne au Sahara, de New York à Mexico, en passant par Paris, le Maroc, le Japon et l’Inde, dans une résidence pour artistes pour le moins farfelue, dans laquelle il s’escrime à composer son futur roman. Ce périple est échevelé, fourmillant de moments inattendus et souvent drôles.

Qui tient la plume du récit ? Il n’est pas écrit à la première personne. « Regardez-le… », s’écrit souvent le narrateur, comme aimait déjà à le faire Andrew Sean Greer dans ses précédents livres, prenant le lecteur à témoin. Est-il certain pour autant que le narrateur soit l’auteur qui signe le livre ? Et si c’était un troisième larron qui nous racontait tout ça ? Avec, en guise de chute, une surprise…

 Des tribulations touchantes, amusantes, mais pas inoubliables

Pulitzer ou pas, la critique, notamment francophone, a été un peu mitigée sur ce livre. Pour Sens critique, « Greer n’évite pas les répétitions dans ce roman agréable à lire mais loin d’être mémorable qui rappelle parfois, en nettement moins bien, ceux de ses confrères américains, John Irving ou Paul Auster, par exemple. »

Pour France-Culture (Jean-Christophe Brianchon) « Il y a tout pour faire un roman dans ce livre. C’est un roman de la crise, du dépassement, quasiment un roman d’initiation. On sent qu’Andrew Sean Greer travaille la structure et les personnages. Il manque toutefois un petit quelque chose pour laisser ce livre exister au-delà de la construction de son auteur. »

Mais pour Suricate magasine « le roman Les Tribulations d’Arthur Mineur n’en est pas pour autant une version masculine de Bridget Jones comme l’indique (…) la quatrième de couverture. Si le personnage principal (…) est très attachant, ses errements sont souvent empreints de mélancolie et de désespoir, ce qui confère au roman une teinte sombre. »

Tous, néanmoins, s’accordent à dire que l’on passe « un bon moment » à lire ce livre, à la fois grâce à l’humour de Andrew Sean Greer, par le jeu de la construction du livre et par l’originalité des situations.

C’est aussi mon avis : je n’ai pas eu le sentiment de lire un livre inoubliable, mais je me suis bien amusé.

Thierry Martin

* Rappelons que le très prestigieux Prix Pulitzer, fondé en 1918 par le journaliste Joseph Pulitzer, récompense chaque année des journalistes, des écrivains et des artistes dans vingt et une catégories. Le prix Pulitzer de la fiction couronne un écrivain originaire des Etats-Unis dont le livre traite du quotidien américain. Cocasserie de haut niveau : dans Les tribulations d’Arthur Mineur, l’un des personnages déclare que pour pouvoir continuer à écrire, il ne faut surtout jamais remporter de prix. Quelques mois plus tard, le roman décrochait le Pulitzer…

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