« L’Immensità » de Emanuele Crialese
Avec Penélope Cruz, Vincenzo Amato, Luana Giuliani, Patrizio Francioni, Maria Chiara Goretti…
Sortie le 11 janvier 2023

l’Immensità
Synopsis
Rome dans les années 1970. Dans la vague des changements sociaux et culturels, Clara et Felice Borghetti ne s’aiment plus mais sont incapables de se quitter. Désemparée, Clara trouve refuge dans la relation complice qu’elle entretient avec ses trois enfants, en particulier avec l’aînée née dans un corps qui ne lui correspond pas.
Faisant fi des jugements, Clara va insuffler de la fantaisie et leur transmettre le goût de la liberté, au détriment de l’équilibre familial…
L’Immensità met en scène une famille en état de crise à une époque où le questionnement autour de l’identité sexuelle et des violences conjugales n’étaient pas vraiment des sujets d’actualité. Le réalisateur transalpin nous fait revivre ses propres souvenirs de jeunesse, telles de vieilles photographies jaunies par le temps, soutenues par le son inimitable de la pop italienne.
Emanuele Crialese s’est fait connaître par le succès international de «Respiro», son deuxième film, primé à la Semaine de la Critique à Cannes, puis nommé pour les César et le Prix du Cinéma Européen. Il y mettait déjà en scène une femme fantasque et excentrique (incarnée par Valeria Golino) incomprise dans son village de Sicile. «l’Immensità» est son cinquième film, présenté en compétition au 79è Festival international du film de Venise.
Penélope Cruz irradie ce film au charme nostalgique qu’inspirent les années 70, en Italie, magnifié par une bande son pop variétés de l’époque dans laquelle les protagonistes se projettent.
Dès la première scène, la madrilène, égérie des films d’Almodovar se fond dans cette ambiance italienne en insufflant un vent de fantaisie auprès de ses trois enfants, en chantant et dansant sur le son enjoué du titre très pop «Rumore» de Raffaella Carrà. Mêlant l’espagnol à l’italien, Penelope Cruz donne un ton particulier à l’intrigue. Le film repose sur les épaules de son personnage, hypersensible, dévasté par ses déboires conjugaux, qui ne vit que pour le lien qui l’attache à ses enfants.
Crialese égratigne au passage l’aspect très machiste et patriarcal de l’Italie des années 70.
Le réalisateur y introduit ses propres souvenirs de jeunesse. Dans cette évocation qui met en scène sa propre histoire relatant sa transition, sans en être toutefois le sujet principal. Il dit à ce sujet : «C’est mon film le plus personnel, un voyage dans la mémoire à travers des souvenirs, tantôt précis, tantôt vagues, et des impressions d’un temps passé, revisitées et retravaillées à travers le prisme de l’expérience que j’ai acquise aujourd’hui». On peut d’ailleurs saluer une reconstitution de décors, costumes et musicales qui nous enchantent. Crialese nous plonge dans le milieu bourgeois de Rome des années 70, entre espiègleries de l’enfance et drames d’un couple en crise, dont l’épouse est malheureuse et le mari aussi volage que violent. Adriana l’aînée de la fratrie, mal dans sa peau de fille, franchit la frontière des classes sociales, illustrée par un champ de bambous qu’elle traverse non sans peur, pour découvrir un autre monde plus populaire dans lequel elle peut s’inventer une vie dans la peau d’un garçon et où elle se fait appeler Andrea.
Crialese déclare : « Ce n’est pas un film sur la transition et le coming out, ce serait de la désinformation de le dire. C’est un film fortement autobiographique». Le réalisateur n’a pas réellement voulu centrer son récit autour du sujet de l’identité sexuelle de l’adolescente et nous sème dans un enchaînement de petites scènes qui manquent de lien et de structure, entre chroniques familiales, (vie quotidienne à Rome, souvenirs de vacances, déliquescence du couple jusqu’aux violences conjugales) et portrait d’une femme fantasque incomprise ou bipolaire… on ne sait pas trop. Reste l’attachement indéfectible de cette mère pour sa fille qui, malgré l’incompréhension voire la moquerie de l’entourage familial, la soutient dans son questionnement sur son identité sexuelle à une époque où le sujet n’était même pas évoqué. L’illustration de ce lien transposée à travers les émissions de variétés de l’époque, ou l’accompagnement musical très appuyé gêne par moment, donnant une ambiance «clipesque» à grand renfort de tubes laissant entrevoir un manque de ligne scénaristique et trompe le spectateur sur le ton donné au film.
Emanuele Crialese dilue sa propre expérience de coming out dans un ensemble protéiforme de thèmes sans vraiment s’attarder sur aucun, laissant un sentiment en demi-teinte.
Si Penélope Cruz enflamme l’écran dans le rôle de cette femme fragile et attachante, offrant ici un de ses plus beaux rôles, elle peine cependant à dissimuler les manques du scénario qui effleure les sujets sans y donner réellement du sens.
Le film ravira cependant tous les nostalgiques de l’ambiance pop des années 70, illuminée par sa déco, ses couleurs flamboyantes, ses costumes et sa musique.
Isabelle Véret