"Drinks Around The World", 2017, Gypse Polymérisé, Tissu, Sac Plastique, Bouteilles En Verre
"Drinks Around the World", 2017, gypse polymérisé, tissu, sac plastique, bouteilles en verre

Liz Magor, MAMAC

Mademoiselle Raymonde, 2014,
gypse polymérisé, napperons, ficelle, papier, sacs en plastique, papiers cadeaux

Liz Magor

« Comment parler de ces « choses communes », comment les traquer plutôt, comment les débusquer, les arracher à la gangue dans laquelle elles restent engluées, comment leur donner un sens, une langue : qu’elles parlent enfin de ce qui est, de ce que nous sommes.

Peut-être s’agit-il de fonder enfin notre propre anthropologie : celle qui parlera de nous, qui ira chercher en nous ce que nous avons si longtemps pillé chez les autres. Non plus l’exotique, mais l’endotique. »

Georges Perec, L’infra-ordinaire, 1989

 Et j’ajouterais, citant  Perec encore: « (…). Ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, le reste, tout le reste, où est-il ? Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, le bruit de fond, l’habituel, comment en rendre compte, comment l’interroger, comment le décrire ? »

Palm Pet, 2016, gypse polymérisé, laine, bois, sachet en plastique

C’est exactement ce que provoque en moi l’exposition de Liz Magor et lorsqu’on me demande pourquoi je l’ai aimée, j’ai du mal à trouver d’autres mots collant aussi bien à cette œuvre mystérieuse dans sa simplicité que ceux de Perec ou, mieux encore, de Liz Magor elle-même : « (…) Les objets qui m’intéressent sont ceux qui passent inaperçus, qui restent discrets, sans importance, ordinaires. J’utilise donc ces objets négligés et, comme avec les petits animaux, j’essaye de déterminer les critères de qualité qui sont à l’origine de leur production et du désir de se les procurer. C’est ce que je tente de mettre en valeur. Ce processus a pour effet de les tirer légèrement de l’ordinaire et de les amener vers l’extraordinaire. C’est un peu comme dans le surréalisme : le réel est légèrement transformé de manière à basculer dans un espace insolite. »

Trêve de citations, lorsque nous pénétrons dans la première salle du premier étage du musée, nous sommes confrontés à (One Bedroom Apartment, 1996-2017, résine, polyester, meubles, petit mobilier) une sorte d’entassement de meubles, cartons, objets, vaisselle, linge, etc, qu’on pourrait dire stockés, sans un agencement particulier, sans une quelconque mise en scène et pourtant… Passée une certaine mauvaise humeur devant cette entrée en matière qui pourrait nous paraître typique d’un mode : « art contemporain », notre cerveau est assailli d’impressions contradictoires allant de l’émotion d’avoir déjà vécu, nous-mêmes ou autour de nous, cette scène, à l’interrogation sur ces objets en question qui nous sont familiers pour la plupart : à quoi ressemble davantage un carton, si ce n’est à un autre carton ?

Double Cabinet Rust and Wine, 2001, gypse polymérisé, bouteilles de gin

Autour de cette installation un peu dérangeante tant elle nous est familière, gravitent des sculptures, suspendues (Whisper Glitter, 2017, gypse polymérisé, tissu, sac plastique, bas nylon), ou au sol (Double Cabinet (Blue), 2001, gypse, polymérisé, canettes de bière), qui elles nous interrogent encore davantage, car nous ne savons pas si elles sont des réutilisations d’objets ordinaires, bouteilles d’alcool, cigarettes, peluches ou bien créations partiellement ou intégralement dues à la main de l’artiste.

Réel ou simulacre ? Une question que nous nous posons face à l’œuvre de Liz Magor qui entremêle subtilement des objets prélevés au quotidien à des sculptures créées dans son atelier. La fragilité de cette frontière est telle que, malgré l’interdiction, nous sommes tentés de toucher pour avoir la réponse… Mais ce rapport mimétique n’est pas le seul à susciter en nous attirance, indifférence ou moquerie, car il y a dans ces objets dérisoires, tombés en désuétude, une charge émotionnelle à laquelle nous ne pouvons échapper, que nous la laissions monter en nous ou que nous lui tournions le dos…

Sleeper #6, 1999,
silicone, tête de poupée

Nous avançons ainsi dans l’espace de mille deux cents mètres carrés du MAMAC, dévolu à ce travail de Liz Magor, réalisé entre 1989 et 2017, en nous interrogeant sur ce que l’artiste a cherché à dire, ou plutôt à vivre, à revivre, nous invitant à faire un bout de chemin avec elle, comme avec ces photos des années 80 (Field Work, 1989), souvenirs de ses goûts pour la nature, les campements, la pêche, les feux de camp, les tentes (Tent, 1999, silicone, tissu), les sacs de couchage…, une évocation d’un monde encore vierge, spécifiquement canadien, imprégné d’une présence indienne dont témoignent par exemple ces poupées emmaillotées (Sleeper #6, 1999, silicone, tête de poupée) que nous saisissons comme fortement chargées d’une spiritualité qui dépasse ce que nous projetons sur elles…

Sweet Airs(détail), 2016, gypse polymérisé, feuille de plastique, tissu, papier

L’évocation n’est pas qu’indigène chez Liz Magor, elle nous met aussi face aux objets de notre environnement quotidien et nous engage à les observer autrement, au-delà de nos yeux, pour que leur banalité s’efface et laisse remonter leur histoire, leur vécu. Ces vêtements figés dans leurs emballages de teinturier (dont Liz Magor soulève à peine le plastique, comme le ferait une enfant désirant voir ce qui se cache sous les jupes d’une mère), ces couvertures usées, rapiécées, auxquelles le pressing offre une nouvelle jeunesse (Phoenix, 2013, laine, coton, paillettes de mica, couverture plastique), ces housses plastifiées pliées (Format II, 2012, silicone, chaise) ou raides, déposées sur des chaises, etc., sont si expressives d’une absence, d’un changement, d’une disparition, que notre cœur peut parfois se serrer en les regardant.

Banff Chair, 1991, base en acier, polyuréthane, fourrure synthétique, gants en cuir

Mais si l’œuvre de Liz Magor est grave, l’humour n’en est pas absent et son interprétation de Bibendum (1925) d’Eileen Gray, même s’il s’agit, comme je le lis dans le texte de présentation de : « créer une tension entre le rêve de l’âge d’or et celui de jours meilleurs, un trait d’union entre les cultures pionnières », j’y vois, pour ma part, un clin d’œil malicieux envers la froideur et la rigidité de certaines icônes du Design du XXème siècle…  Liz Magor réalise au début des années 1990 une série de chaises inspirées de ce Design dont ce fauteuil (Banff Chair, 1991, base en acier, polyuréthane, fourrure synthétique, gants de cuir) qu’elle transforme avec les matériaux traditionnellement associés à la conquête de l’Ouest. Comble du décalage, ce siège, placé face au mur, tourne le dos à la salle, donc aux visiteurs… Est-ce à dire qu’il préfère regarder le passé, ou qu’il est indifférent à notre éventuel intérêt…

D’autres codes sont à décrypter, sur lesquels l’artiste, interrogée, nous renvoie à nous-mêmes et à notre ressenti et nous dit qu’elle n’est pas là pour refaire le monde, juste pour le regarder.

J’ai ainsi posé la question des gants, très présents dans son œuvre et peu courants dans les objets artistiques d’aujourd’hui…Et pour parler vulgairement, elle a dégagé en touche sur sa réponse ! Pour l’artiste, une main dans un gant, c’est en soi un bel objet sculptural ; c’est aussi ce qui retient, qui ne lâche pas, un geste mis en relief dans plusieurs de ses sculptures comme cette pièce (Sweet Airs, 2016, gypse polymérisé, feuille de plastique) où une main gantée tient un paquet entouré d’un ruban mauve, côtoyant une robe suspendue à un cintre, fraîchement sortie du pressing…

Casual, 2012,
caoutchouc de silicone et chaise

Mais pourquoi vouloir tout expliquer ? L’œuvre de Liz Magor est trop complexe, trop dense pour qu’on s’arrête à une seule lecture. J’aurais aimé rester sur une note plus légère, plus tendre, mais pour moi le thème de la mort, qu’on préfère aujourd’hui appeler absence, tant on a peur du mot, est fortement présent … Il m’a frappé dans Format II, que j’ai décrit précédemment ; cette enveloppe de silicone ne cache apparemment rien, mais évoque pour moi ces corps qu’on soustrait au regard après une mort violente…

 Rétrospective-événement : la sculpteure canadienne la plus influente de ces trente dernières années

Commissariat : Hélène Guenin, directrice du MAMAC assistée de Laura Pippi-Détrey

L’exposition au MAMAC a été conçue en étroite collaboration avec le Migros Museum für Gegenwartskunst à Zurich et le Kunstverein à Hambourg, et réalisée en partenariat avec le Musée d’art contemporain de Montréal et la Galerie d’art contemporain de Vancouver

De novembre 2017 au 13 mai 2018

MAMAC – Place Yves Klein – Nice.

 

 

 

 

 

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