MAEGHT « L’ESPRIT D’UNE COLLECTION : LES DONATIONS »
Pour des raisons que j’expose ci-dessous, j’ai visité, hors vernissage, l’exposition «L’esprit d’une collection : les donations » dont Henri-François Debailleux est le commissaire pour la Fondation Maeght. En parcourant les salles de l’accrochage, j’ai rencontré Nicolas Gitton, le nouveau directeur de la Fondation, nommé cet été après le départ d’Olivier Kaeppelin, et je l’ai questionné sur sa conception de la gouvernance d’une telle légendaire institution. Notre entretien informel a généré cette bien trop longue introduction pour un compte-rendu d’exposition, aussi ai-je préféré scinder mon texte en deux parties.
Un nouveau directeur administratif et financier à la Fondation Maeght.
L’actualité n’étant qu’une partie de ce qui fait l’histoire et heureusement, qui de ces deux événements restera dans les mémoires, le vernissage de la Fondation Maeght, le samedi 1er décembre 2018, ou le premier samedi des manifestations des gilets jaunes ce même samedi ? Pour moi, hélas ce sera le second parce qu’un barrage m’a empêchée d’arriver à l’heure à la Fondation Maeght. Drôle de comparaison, me direz-vous, entre une exposition certes importante, mais qui ne mettait pas l’art en péril et ce mouvement qui, considéré par beaucoup comme la énième manifestation d’un mécontentement à la français de la classe dite populaire, allait de samedi en samedi, de protestations en violences, engendrer un mouvement quasi révolutionnaire faisant, un moment, vaciller le pouvoir.
Seul l’avenir, cette grosse machine à broyer le temps, nous dira ce que l’histoire retiendra de ce 1er samedi de décembre 2018 ; une montagne accouchant d’une souris ou un réel changement de société pour le pays, et en parallèle, pour la Fondation Maeght, une exposition parmi d’autres ou l’installation d’une nouvelle gouvernance concevant les expositions comme des événements médiatiques forts afin de décupler la voilure de ce beau navire qu’est la Fondation Maeght, doyenne des fondations françaises inaugurée en 1964 avec les artistes – Braque, Miro, Giacometti – qui faisaient partie de la famille de Marguerite et Aimé Maeght, les fondateurs.
S’agit-il simplement de jouer de la concordance de dates pour rapprocher deux événements qui n’ont en réalité rien à voir, où bien ce parallèle révèle-t-il un besoin général de changement qui se fait aussi sentir dans les orientations que Nicolas Gitton, le nouveau directeur administratif et financier de la Fondation Maeght veut donner à cette institution. Durant mon entretien avec ce jeune-homme de trente-cinq ans, licencié en histoire de l’art, diplômé d’HEC, ayant fait ses armes au Guggenheim Abou Dhabi, puis à la maison de ventes Paddle8* en tant que directeur du développement, j’ai pu mesurer comment un esprit jeune voit la gestion d’une entreprise telle que Maeght, avec en premier lieu, la nécessité de reconquérir un public et donc un grand nombre d’entrées, une fréquentation qui a malheureusement été en constante baisse depuis le départ de son directeur historique, Jean-Louis Prat. Cette reconquête, Nicolas Gitton la conçoit à l’anglo-saxonne, d’abord par une inscription en ligne de l’institution et globalement, par des actions ciblant les grandes entreprises en recherche d’une image culturelle valorisante, sans négliger pour autant les collectionneurs internationaux, les uns comme les autres sensibles à attacher leur nom à la Fondation. Ce développement ne peut se concevoir, selon Nicolas Gitton, sans une équipe dynamique, extrêmement bien formée à ces pratiques du management, une orientation très intrusive, qu’a voulu désavouer Yoyo Maeght, petite-fille d’Aimé Maeght, avec un communiqué dans lequel elle rappelle avoir démissionné du conseil d’administration de la fondation en 2011 et dénonce la fermeture, pendant quelques jours, de celle-ci au public, afin que s’y tienne un défilé de mode Louis Vuitton.
Mais laissons là les querelles familiales pour revenir au devenir de la Fondation, recentrée artistiquement sur les fondamentaux, c’est-à-dire les grands artistes, Braque, Miro, Giacometti, Chagall, etc., qui ont fait sa notoriété ; ils seront à nouveau le point fort de l’institution, ainsi que les artistes plus récemment exposés, la partie très contemporaine étant, elle, prévue dans un espace moins large, peut-être la belle salle de la Mairie, en face de la boutique. Dans tous les cas, la programmation artistique sera décidée par le Conseil d’administration qui fera le cas échéant appel à des commissaires invités, comme ça l’a été à deux reprises avec Henri-François Debailleux. En dernier lieu, mais non le moindre, cet appel au mécénat aura aussi pour but d’aider à l’entretien du bâtiment, l’entretien et la restauration des œuvres et sans doute, fait tout à inédit, la mise en route d’une médiation vers les enfants…
Nicolas Gitton, bien que récemment installé dans la région –il vit à Vence – m’a semblé être en heureux voisinage, chose nouvelle aussi, avec les diverses directions de la région, que ce soit le MAMAC à Nice, l’EAC à Mouans-Sartoux ou le NMNM à Monaco…
* Respectivement en 5e et 9e position dans le rapport Hiscox, les plateformes de ventes en ligne Paddle8 et Auctionata vont fusionner. Les deux pure players, qui réunissent à elles deux 150 millions dollars de chiffres d’affaires et près de 800 000 utilisateurs, « partagent la vision de devenir la destination de choix pour le collectionneur du 21e siècle » en ciblant le marché milieu de gamme (des œuvres estimées aux alentours de 500 000 dollars).
L’exposition « L’esprit d’une collection : les donations.
Comme le souligne Henri-François Debailleux dans son texte de présentation, collectionner est un état d’esprit et un mode de vie, ce qui rend les collections différentes les unes des autres… Qu’on vous entende cher Henri-François, et nos artistes seront mieux gardés !
Je vais continuer à vous citer car votre texte devrait être le bréviaire des gens de l’art : «(…) Chaque collection est ainsi à l’image de celui, celle ou ceux qui la constituent. (…) La collection d’une fondation est encore différente : fruit d’une démarche à la fois privée et publique, elle porte nécessairement la marque de ceux qui l’ont créée et avec le temps, elle s’enrichit de nouvelles acquisitions et de constantes donations. Elles proviennent pour la plupart d’un cercle de proches, famille, anciens directeurs, collectionneurs, Société des Amis de la Fondation, qui avec générosité partagent leur passion avec le plus grand nombre. De par leurs différentes provenances, ces œuvres constituent forcément un ensemble disparate au sein duquel des tendances, des regroupements, des dialogues sont possibles. C’est précisément cette variété qui rend la collection dynamique et cette diversité qui la rend vivante. »
Cher Henri-François, puisque que vous avez employé le mot disparate c’est en effet ce que je retiendrai a priori de cette présentation, même si par une habileté d’accrochage, inattendue chez un critique d’art, vous lui avez donnée une certaine cohérence. Je m’attarderai cependant à deux autres adjectifs plus positifs : dynamique et vivante. Oui elle est dynamique et vivante cette collection, avant tout grâce à l’incroyable vertu de ses créateurs Marguerite et Aimé Maeght entourés des artistes, Braque, Miró Giacometti, et bien d’autres ensuite ! Comment avoir su avec une telle pertinence ce qui allait faire l’histoire et s’y consacrer cœur et âme ! Cette amitié, cette complicité intellectuelle, cet engagement entre amis furent les moteurs des choix artistiques de ses fondateurs, comme le souligne aujourd’hui Adrien Maeght, qui lui-même a enrichi la Fondation en faisant don du bâtiment et des terrains, puis en 1982, avec sa demi-sœur Sylvie Eon Baltazart, d’un ensemble de peintures de Gérard Gasiorowski. Rien ne s’est figé, tout a évolué avec le temps et la collection s’est diversifiée grâce aux dons des artistes, à la patte de ses divers directeurs – je pense notamment au regretté Michel Enrici qui nous permis d’admirer les œuvres de Jacques Monory, récemment décédé – aux acquisitions des Amis de la Fondation Maeght, aux dons des collectionneurs…
Au total plus de quatre-vingt artistes sont exposés. Aux fondamentaux du début auxquels j’ajouterais Pierre Bonnard, Georges Braque, Marc Chagall, Fernand Léger, Alexander Calder et une pléiade de noms qui, des plus célèbres aux moins connus, font la richesse de la Fondation Maeght.
Qu’ai-je retenu de mon parcours de salles en salles ? Des images magnifiques, des œuvres sublimes, d’autres qui m’ont surprise car je ne les connaissais pas comme Selva, 1990, Acrylique et encre sur toile, de Pierre Faucher, Le vert dans l’abrupt de Tal-Coat, de superbes dessins de Matisse et Léger, un Erró flamboyant, un Arroyo sombre, un Tapies, un Monory que j’affectionne, un Jan Voss, un Paul Rebeyrolle, un grand et beau Viallat, un Louis Cane, des Soulages, un Hantaï, et bien sûr Braque, Balthus, de Staël, Immendorff, Recalcati, Degottex, le Brocquy et pour finir Jean-Michel Meurice, Vincent Corpet, Hans Hartung, Ronan Barrot… Un inventaire à la Prévert ? Oui, mais il en manque beaucoup ! Est-ce volontaire ? Pas vraiment, sauf une attirance pour certains plus que pour d’autres, et puis, comme toujours, on ne saisit pas tout dans une exposition !
Que de digressions pour parler d’une exposition qui réunit les incontournables de la Fondation Maeght auxquels se sont ajoutés, au cours du temps, des dons de toutes les sortes, faisant de la Fondation Maeght un lieu qui se tourne vers le monde. N’est-ce pas, pas fond, ce qui passionne dans l’art, cette faculté d’ouvrir sur autre chose, sur les questions que tout être humain se pose sur la vie, sur ce qu’elle signifie, ce qu’elle donne et comment elle nous aide à mener notre barque.. Regarder une exposition c’est aussi ça, en extraire ce qui a trait à soi-même, à ce qu’elle vous inspire, ce que vous seul vous y avez trouvé, à mille lieues parfois de ce que les commissaires, les conservateurs et les artistes même ont voulu démontrer. Une exposition, une fois mise en place, est un bien qui nous appartient et dont on a tout loisir de profiter comme bon nous semble, avec intérêt, avec passion parfois, avec révolte aussi ; c’est en cela qu’elle a atteint son but, interroger !
Jusqu’au 16 juin 2019
http://www.fondation-maeght.com