Peer Gynt au Théâtre National de Nice*
Voilà que je vous parle théâtre, maintenant ! Mais que voulez-vous, on n’a pas toujours une Irina Brook pour nous engager à réveiller notre être pour de nobles causes ou nous donner envie de découvrir une autre façon de goûter à une œuvre, une musique, un livret.
Dans la représentation de Peer Gynt au Théâtre de Nice, nous sommes loin de la forme originelle du drame norvégien d’Henrik Ibsen. Irina Brook nous propose de suivre le texte en anglais, joué par des comédiens de toutes couleurs et nationalités. L’histoire, fortement modernisée, conserve cependant une apparence hors du monde commun, et si l’on retrouve quelques thèmes des Suites d’Edvard Grieg, le compositeur de la musique de Peer Gynt, ce sont surtout les sonorités très rock’n’roll des chansons d’Iggy Pop, soutenues par les monologues-phares de la pièce réécrits par Sam Shepard, qui nous restent en oreille.
Dans ce nouveau Peer Gynt, on se perd un peu dans ce melting-pot initiatio-satirique, transposé par Irina Brook, mais ne se perd-on pas aussi dans le récit d’Ibsen, cette métaphore de l’existence, aussi obscure que le sens qu’on veut bien lui donner ?
En tout cas, moi je m’égare au cœur de ces légendes nordiques où de simples paysans se mêlent au monde hiérarchiquement compliqué et fou des Trolls ; aussi, pour éclairer ma lanterne et peut-être la vôtre, j’aime citer un commentaire dont j’ai oublié l’auteur (qu’il me le pardonne) sur cette œuvre d’Ibsen : « Si Peer Gynt est impossible à résumer, c’est bien parce que la pièce pose des énigmes philosophiques, à la fois joyeuses et abyssales. Je pense qu’on peut faire de cette œuvre un beau spectacle à partager, je veux dire à déguster, comme d’un mets inconnu dont la substance incongrue éveille l’émotion des papilles. »
Cette analyse me semble coller parfaitement à l’adaptation qu’Irina Brook a faite de Peer Gynt, une farce satirique douce-amère représentant la quête obscure d’un homme à l’identité indéfinissable.
Tout entre en jeu dans la beauté du résultat. L’orchestre sur scène assure la musique, les bruitages, et souligne, par de fréquentes interventions, l’ironie de la vie que cherche à mener Peer Gynt.
Mais que serait le spectacle sans cet Énorme comédien qu’est Ingvar Sigurdsson, diplômé de l’Académie des Arts Islandaise, acteur de cinéma et de théâtre ? il est un Peer Gynt époustouflant, un peu trop vieux, certes, pour le rôle décrit par Ibsen, mais puissant, tendre, versatile et fou, séducteur d’une Solveig jouée par la merveilleuse danseuse Shantala Shivalingappa, qui passe de la fragilité et l’innocence requises pour ce personnage d’éternelle fiancée, à la duplicité enjôleuse du Démon vert du royaume des Trolls !
La brillante mise en scène d’Irina Brook donne une cohérence à cette étrange atmosphère d’un grand Nord dont les contes déroutent parfois la méditerranéenne que je suis, mais l’histoire avec son mystère, son rythme, sa poésie, n’est pas trahie (Irina Brook n’a pas cédé à la prétentieuse bêtise de changer la chute d’une pièce pour la moderniser). Me manquent pourtant les inoubliables airs des suites de Grieg, notamment La Chanson de Solveig (à peine ébauchée) et surtout La Mort de Ase, une mélodie tragique et envoûtante.
Quant à la question que se pose Peer Gynt : « Qui suis-je ? », que répondre, si ce n’est : « On ne peut être soi-même qu’en acceptant les autres. »
Peer Gynt, d’après Henrik Ibsen
Mise en scène d’Irina Brook – Durée : 2h45 (avec entracte). En anglais surtitré.
Centre Dramatique National Nice Côte d’Azur
Promenade des Arts, 06300 Nice
*Deux représentations ont été données à Nice en janvier. La pièce part en tournée… Elle sera aux Bouffes du Nord, à Paris, du 8 au 18 février 2018. A voir absolument !