« Petit pays » Gaël Faye – Grasset
Une fois n’est pas coutume, j’ai eu envie de vous parler d’un livre, peut-être parce que mon chroniqueur attitré, Thierry Martin, pris par les nombreux aménagements de ses lieux de vie, tarde à me donner une nouvelle note de lecture…
Oui, c’est un petit livre… Pourquoi petit, alors qu’il est si grand ? Parce qu’il se présente au lecteur avec légèreté, sans effets de plume, sans chercher à s’inscrire dans un quelconque courant, à défendre une cause, juste pour nous raconter une histoire, et fait plus difficile encore, une histoire d’enfance !
L’amie qui me l’a offert pour mon anniversaire m’a dit, tu verras, tout le monde en parle, et pour moi ce « tout le monde en parle » a tendance à me faire refermer le bouquin dès les premières pages. Je ne suis que peu les rubriques littéraires à la TV et dans l’hebdomadaire auquel je suis abonnée, je ne lis qu’avec une certaine mollesse les articles sur la littérature.
Curieux, me direz-vous, pour quelqu’un qui se targue d’écrire… Pourtant c’est comme ça, soit que je veuille continuer à aborder les livres comme ils m’ont été offerts depuis l’enfance : un immense jardin où il suffisait de cueillir, parmi les milliers de livres de la bibliothèque paternelle, celui qui, par sa couleur ou son titre, me ferait de l’œil ; soit, et c’est moins reluisant, parce que, n’étant pas éditée, j’ai une pointe d’amertume face à tous ces ouvrages que je trouve souvent quelconques et qui m’inclinent à découvrir ou relire les beaux livres, ceux qui sont l’œuvre d’écrivains !
Assez digressé, je ne pourrais que vous engager à lire « Petit pays », c’est un réel bijou ! Il y a tellement de choses à dire que je ne sais pas par où commencer.
On est en 1992 et Gabriel a dix ans quand débute son histoire. Il vit au Burundi avec son père français, entrepreneur, sa mère rwandaise et sa petite sœur, Ana, dans un confortable quartier d’expatriés. Il passe le plus clair de son temps avec ses copains, une joyeuse bande de voleurs de mangues, occupée à faire les quatre cents coups. Un quotidien paisible, une enfance douce qui vont se disloquer en même temps que ce « petit pays » d’Afrique brutalement malmené par l’Histoire. Gabriel voit avec inquiétude ses parents se séparer, puis la guerre civile se profiler, suivie du drame rwandais. Le quartier est bouleversé. Par vagues successives, la violence l’envahit, l’imprègne, et tout bascule. Gabriel se croyait un enfant, il va se découvrir métis, tutsi, français…
« J’ai écrit ce roman pour faire surgir un monde oublié, pour dire nos instants joyeux, discrets comme des filles de bonnes familles: le parfum de citronnelle dans les rues, les promenades le soir le long des bougainvilliers, les siestes l’après-midi derrière les moustiquaires trouées, les conversations futiles, assis sur un casier de bières, les termites, les jours d’orage… J’ai écrit ce roman pour crier à l’univers que nous avons existé, avec nos vies simples, notre train-train, notre ennui, que nous avions des bonheurs qui ne cherchaient qu’à le rester avant d’être expédiés aux quatre coins du monde et de devenir une bande d’exilés, de réfugiés, d’immigrés, de migrants. «
Pourquoi ai-je tant aimé ce livre ? Plus que pour l’exotisme du cadre, ce Burundi, petit pays des grands lacs, heureux puis déchiré, pour le ton que trouve immédiatement Gaël Faye pour restituer ce que nous avons tous en mémoire : la magie de l’enfance. La bande de Gabriel devient la nôtre. Sales, à moitié nus, avec Gino, les jumeaux, nous sommes les rois de l’Impasse, nous emberlificotons cette gentille Madame Economopoulos, lui revendant les mangues que nous venons de lui voler, nous rentrons, le soir, faussement innocents, auprès de parents pas toujours très présents…
J’aime chez Gaël Faye, au-delà de l’extraordinaire galerie de portraits d’une humanité colorée, cette sagesse de ne pas choisir son bord, car finalement être tutsi ou hutu n’est qu’une identité imposée, plus difficile encore à vivre quand on est métis : « Je tangue entre deux rives – Mon âme a cette maladie », dit-il dans une de ses chansons, car Gaël Faye est à la fois auteur, compositeur, interprète, un Stromae avec encore plus de profondeur…
Premier roman, sans doute en grande partie autobiographique, « Petit pays » évoque les tourments et les interrogations d’un enfant pris dans une histoire qui le fait grandir plus vite que prévu. Mélange de rires et de pleurs, cette fresque d’une Afrique si riche et à la fois si déchirée, est d’une ampleur exceptionnelle et d’une honnêteté rare aujourd’hui où l’on cherche à tout prix la culpabilisation d’un monde par rapport à un autre.
Hélène, j’ai aussi reçu ce livre pour mon anniversaire… Je suis tout à fait sensible à ton papier. Après avoir hésité à le lire en premier, dès que je l’ai ouvert,je n’ai pas pu m’arrêter. Je ne connais presque pas l’Afrique mais dans ce livre on l’entend et on la sent… Le thème en est tragique et même épouvantable, mais l’écrivain parvient à tout raconter et à tout décrire à partir de ses souvenirs d’enfance et en utilisant superbement le langage du gamin qu’il était… Un livre très dur et très tendre à la fois.