Pierre Soulages
Pierre Soulages

Pierre Soulages mémoire d’outre noir.

Pierre-Soulages, Brou-de-noix, 482 x 634 cm, 1946, Rodez-Mus®e-Soulages-®-Archives-Soulages-®ADAGP-Paris 2019

Pierre Soulages a 100 ans au moment où j’écris cet article lui étant consacré. Il est vivant certes, mais surtout il nous donne à voir, à regarder et puis à comprendre une œuvre unique, la sienne. Noire. Avant d’écrire, je suis sortie dans le jardin de la maison. Il faisait nuit. Une nuit profonde, d’encre, d’hiver, je me suis mise à observer autour de moi, cherchant à distinguer le moindre détail. Constatant rapidement que l’on pouvait tout voir dans le noir. Que l’obscurité absolue n’existait pas dans la nature. Il m’est alors venu une idée, le noir est une vision de l’esprit. Une construction de notre pensée pour échapper à la lumière. Pour se reposer? Pour arrêter d’être pollué par un extérieur auquel la lumière donne trop de relief?

Pourtant l’outrenoir de Pierre Soulages, actuellement exposé au Louvre, n’est que relief, lumière satinée, cachée, puis tranchante. Pierre Soulages a construit bien plus qu’une œuvre, une quête, une recherche obsessionnelle, une scansion dans l’espace-temps. Avec ses toiles géantes qui tutoient les étoiles n’est-il pas devenu un physicien, un astrophysicien ?

Quelques journalistes parisiens lui ont demandé. Il a ri, se souvenant d’un mot du président Chirac :  « Pierre Soulages j’ai vu votre exposition deux fois. Une première fois pour la regarder et la deuxième pour la comprendre « . Car pour comprendre ce qui continue d’animer l’énergie sans faille du maître de cent ans il faut se plonger dans son histoire. Celle d’un petit garçon de Rodez.

En 1926, Pierre Soulages perd son père malade et est élevé par sa mère et sa sœur Antoinette, de quatorze ans son aînée. Dès son plus jeune âge, à Rodez, il est fasciné par les vieilles pierres, les matériaux patinés et érodés par le temps, l’artisanat de son pays du Rouergue et ses âpres paysages, particulièrement les Causses. Il a tout juste huit an lorsqu’il répond à une amie de sa sœur aînée qui lui demande ce qu’il est en train de dessiner à l’encre sur une feuille blanche : un paysage de neige.  « Ce que je voulais faire avec mon encre, dit-il, c’était rendre le blanc du papier encore plus blanc, plus lumineux, comme la neige. C’est du moins l’explication que j’en donne maintenant. « 

Le peintre a eu sa révélation enfant, en visitant l’abbaye de Conques.  » Pour moi la peinture était une chose importante qui valait la peine qu’on y passe sa vie (…) A Conques, j’ai vu quelque chose qui m’a transporté : la manière dont l’espace se mettait à exister avec la lumière ».

Ainsi naissait l’outrenoir.

Pierre Soulages, Peinture 162 x 127-cm, 14 avril 1979, Montpellier-Mus®e-Fabre-® Archives-Soulages, ®ADAGP Paris 2019

« Ce mot signifie un autre monde, comme outre-Rhin, outre-Manche, désignent un autre pays. Outrenoir, c’est ça : c’est un autre monde, atteint par une dimension et surtout par une manière de voir le noir. Outrenoir ne signifie pas ultra noir. On dit que je peins avec du noir. En réalité, je peins avec la lumière réfléchie par des états de surface irréguliers fatalement de la couleur noire. C’est une lumière, et elle touche en nous des couches profondes qui nous habitent et que nous ignorons. Et c’est ce qui m’intéresse ».

On peut le lire et l’écouter nous expliquer son œuvre jusqu’à plus soif, il n’empêche qu’il reste un magicien capable de faire s’écraser la lumière – celle qui nous est commune à tous – qui se déplace à 400 000 kilomètres/seconde sur ses quelques 1700 toiles. Et pourtant, nous dit-il, ces œuvres innombrables ne sont pas noires. Mais bien plutôt une « autre » lumière. Encore plus aveuglante? Ou bien doit-on postuler qu’il existerait une lumière aveugle ? Qui se serait brûlée les ailes au traversant l’univers et nous arriverait calcinée, noire ? C’est un oxymore philosophique que cette lumière noire. Pierre Soulages est bien au-delà d’un peintre, d’un maître.

Pierre Soulages
Peinture-195 x 130-cm_Mai-1953.-New York, Solomon-R.-Guggenheim-Museum-®-Archives-Soulages®-ADAGP-Paris-2019-

S’il est exposé au Louvre à 100 ans et de son– toujours-vivant– c’est parce qu’il a accompli une révolution parfaite comme la terre autour du soleil, il a inventé La nouvelle lumière, celle qui met tous nos sens en éveil pour l’appréhender. Probablement ce qui nous manque le plus c’est de ne pas pouvoir laisser nos doigts parcourir les anfractuosités de ce noir éclatant pour en saisir l’épaisseur et les reliefs. C’est dans le prestigieux Salon Carré, pour retracer le parcours du peintre de l’outrenoir depuis 1946, qu’une vingtaine de toiles venues des musées les plus prestigieux du monde et un ou deux tableaux récents sont présentés pour trois mois au public. Jusque Mars 2020.

Soulages illumine de son outrenoir l’ensemble des chefs d’œuvres du plus grand musée du monde. Qui pourrait encore continuer de prétendre qu’il est obscur?

Sonia Dubois.

 

 

Exposition Soulages au Louvre
11 décembre 2019 – 9 mars 2020
Salon Carré (Aile Denon, 1er étage) 

 

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