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« Quand on a 17 ans », une lecture en duo.

Thierry Martin, que vous avez l’habitude de retrouver dans ma rubrique Parutions, m’a demandé de faire une incursion dans Cinéma pour rendre compte du film d’André Téchiné Quand on a 17 ans.

Je relate ici nos échanges par SMS qui se sont conclus par un accord :

Thierry : Serais-tu O.K. pour que je fasse une chronique sur le dernier Téchiné ?

Moi : Oui, mais tu me coupes un peu l’herbe sous le pied… je voulais l’écrire, mais je te laisse la place… enfin, pour cette fois !

Thierry : Veux-tu qu’on fasse un double point de vue ? Ça pourrait être intéressant !

Moi : Pourquoi pas ? Mais à l’aveugle, alors…

Thierry : C’est un plaisir, cette aventure commune…

Moi : Pour moi aussi !

Pour la suite, sachez que Thierry m’a l’envoyé son texte alors que je n’avais pas encore écrit le mien, mais que je n’ai pas cédé à la tentation de le lire pour qu’il n’influence pas sur mon jugement…

Vous découvrirez donc nos deux points de vue dans l’ordre où ils ont été écrits et tels qu’ils apparaissent dans mon blog… Bonne lecture !

Quand on a 17 ans, un film d’André Téchiné

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Damien et Tom

Qu’est-ce qui fait qu’une histoire déjà vue maintes fois est une histoire encore jamais vue ? C’est le talent, non ? Ou la grâce. Ou les deux.

Tom et Damien appartiennent à deux univers qui n’ont pas grande chance de s’entendre un jour. Le premier est un enfant adopté, certes chéri de ses parents mais maman n’a jamais pu avoir d’enfant : il se sent souvent le fils par défaut. Il vit là-haut, avec eux, dans la ferme de montagne où il neige tant les longs hivers. Une heure et demie à l’aller, autant au retour entre l’école et cette maison au bout du monde. Il aide papa à nourrir les vaches enfermées pour cause de froidure. Tom a failli arrêter ses études, mais il les a reprises : il voudrait bien être vétérinaire. Ce métis est un montagnard, un vrai, il aime se balader des heures entières, traquer les traces d’ours dans ces Pyrénées superbes, et se baigner nu dans un lac glacial, en plein hiver. Pour s’endurcir ? Se prouver quelque chose ?

Le petit gars blond de l’école l’horripile, ce Damien que sa maman médecin – la seule du coin apparemment – vient chercher à la sortie des cours, ce fils d’un lieutenant manifestement très fort attaché à son fils qu’il vient à son tour chercher à l’école lorsqu’une permission l’extirpe de sa guerre qui tue quelque part en Afrique ou au Moyen-Orient. Et puis, pour compléter le tout, ce petit gars choyé, ce Damien qui vit dans un cocon est bon en classe. Il a un air que Tom trouve arrogant. Et puis – et surtout ? – il le regarde sans cesse, on se demande bien pourquoi, ou bien on ne veut pas le savoirQuand on a 3.

Alors Tom le fait tomber d’un croche-pied dans les travées de la classe, il le bouscule dehors, bientôt il le frappe pendant les heures de sport.

La beauté rude

Ça pourrait facilement être une série de clichés : l’enfant adopté, solitaire et violent qui vit dans une ferme retirée face au fils de « bonne famille », bon élève qui travaille dans une maison douillette. Mais André Téchiné et sa co-scénariste, Céline Sciamma à qui l’on doit notamment Tomboy, très beau film sur l’enfance, le genre et le jeu, ne sont pas des romantiques à l’eau de rose et encore moins des naïfs. Les corps bruts – les corps-brutes – la nature gelée et mystérieuse de la première saison, la guerre qui rôde et tue autour du père de Damien forment l’exact contrepoint d’une banale romance. Relativement peu dialogué, mais avec une grande et délicate justesse, le film est rapide, fougueux dans ses séquences. Le son lui-même casse toute velléité de guimauve : c’est le crissement lourd des pas dans la neige, le bruit des coups dans les batailles entre les deux garçons, celui des poings de Damien contre le punching-ball où il cherche à s’aguerrir, le son mat des chutes quand Tom fait tomber Damien en classe ou dans la cour. Tout cela tient à distance la mièvrerie.

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Tom et Marianne

Et puis il y a la mère de Damien, Marianne. Lumineuse Sandrine Kiberlain, épanouie dans sa vie personnelle malgré les séparations avec son militaire de mari, heureuse dans sa vie professionnelle, et mère qui aime son fils à la bonne distance entre l’inconditionnalité propre aux parents et l’autorité nécessaire. Elle l’aime d’être émotif, elle l’aime d’être lui-même, elle le veut heureux, elle l’aimera amoureux. Elle dit dans une interview : « Elle ne le juge pas (…) Elle a heureusement la sensibilité de comprendre son fils. »

C’est un film d’équilibriste surdoué. Quand la saison se réchauffe, s’éclaire et s’allège et que vient le printemps comme une promesse de jours apaisés et tendres, André Téchiné fait au contraire basculer une partie de son histoire vers la noirceur : un drame vient frapper Marianne et Damien. Mais ce drame – la mort du lieutenant – qui fait, un temps, sombrer Marianne, est sans doute aussi une clé dans la relation entre les deux garçons. Tandis que la mère de Tom, après bien des fausses couches, met enfin au monde un enfant, en marginalisant malgré elle son fils adoptif, le jeune Damien se retrouve sans père. La chute de cet enfant comblé le rend vulnérable et semblable à Tom. Il n’est pas rare que le trop grand bonheur des autres donne le sentiment à celui qui en possède moins d’une sorte d’arrogance insupportable. Alors désormais, peut-être peuvent-ils s’approcher et laisser leurs corps parler un autre langage que celui de la violence quelles qu’en aient été les causes secrètes.

Un très beau film, oui, attachant, fin, juste. Un des plus beaux d’André Téchiné. Sa force et sa grâce tiennent aussi, bien sûr, à la qualité de jeu des acteurs. Sandrine Kiberlain, on l’a dit, mais tout autant Kacey Mottet Klein et Corentin Fila.

Le premier est un vieux jeune acteur de 17 ans… Kacey Mottet Klein a commencé à tourner à l’âge de 7 ans dans Home d’Ursula Meier où il interprétait le fils ­d’Isabelle Huppert. Il jouera ensuite le rôle de Gainsbourg enfant pour Joann Sfar, puis on le retrouvera dans le film de Léa Seydoux L’Enfant d’en haut (il a été « nominé » pour ce rôle aux Césars). Parallèlement à Quand on a 17 ans,  sort sur les écrans Keeper, de Guillaume Senez où il tient le rôle masculin principal.

Corentin Fila, pour sa part, est un franco-congolais qui, contrairement à ce que son physique juvénile laisse croire, a 27 ans. Il a commencé par le mannequinat et le théâtre, suivant les leçons du cours Florent comme auditeur libre. Quand on a 17 ans est son premier film.

Remarquables acteurs tous les deux dans le film d’André Téchiné qui s’ajustent au millimètre, non seulement entre eux mais aussi avec Sandrine Kiberlain. Autant flattés qu’inquiets de pouvoir jouer pour André Téchiné et avec une telle actrice, et n’ayant jamais interprété de rôle de gays, les deux garçons sont finalement devenus de très proches copains au long du tournage, entente quasi fusionnelle qui se voit à l’écran.

Kacey Mottet Klein dit dans une interview : « André Téchiné donne en définitive peu d’indications, il laisse aller à l’instinct, corrige un peu au fil des prises. Il voulait qu’on se cherche nous-mêmes, qu’on apprenne à se connaître avec Corentin au fur et à mesure du film et des jours de tournage. Comme nos personnages. »

Corentin Fila dit ailleurs : « Petit à petit, Tom se laisse un peu dompter ». Il ajoute, comme une conclusion : « Il y a quelque chose de magnétique entre eux, quelque chose de très fort. C’est de l’amour peut-être ».

Il a raison de prononcer le mot, Corentin Fila : ce film est une belle histoire d’amour.

Thierry Martin

Quand on a 17 ans, un film d’André Téchiné

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Damien et Thomas

N’étant pas, personnellement, une inconditionnelle des films de Téchiné, j’avais gardé de J’embrasse pas un drôle de goût dans la bouche et par conséquent, mais surtout à cause du sujet traité : la disparition d’Agnès Leroux , je n’avais pas eu envie d’aller voir L’homme qu’on aimait trop… Autant dire qu’au regard de la riche filmographie de ce cinéaste, j’étais loin d’être très enflammée, mais comment ne pas céder à l’attrait d’un pareil sujet, Quand on a 17 ans ! Je m’y suis précipitée avant d’avoir les échos des Pierre, Paul, Jacques et autres commentateurs…

L’histoire

Dans la même classe d’un lycée d’une petite ville des Pyrénées, Damien et Thomas ont des vies radicalement différentes. Fils unique d’un militaire souvent parti en mission, Damien vit la plupart du temps seul avec sa mère médecin, Marianne, qui veille sur lui avec beaucoup d’amour. Thomas, fils adoptif d’éleveurs de montagne et métis en proie au doute sur sa place auprès de ses parents, met chaque jour une heure et demie pour descendre jusqu’à la ville et suivre les cours. Un jour, sans raison apparente, Thomas fait un croche-pied à Damien, qui tombe de tout son long en classe. Entre eux commence une relation rude et mystérieuse : Thomas s’en prend violemment à Damien qui réplique – ou non. Appelée au chevet de la mère de Thomas en pleine montagne, Marianne la fait hospitaliser et décide d’accueillir son fils sous son toit, ignorant tout de la tension entre les deux garçons.

17 ans

Kacey Mottet-Klein, Cotentin Fila, Sandrine Kiberlain

Pourquoi ai-je aimé ce film ? Parce que, même si le réalisateur fait, d’avoir 17 ans, le noyau central de son histoire, avec tout ce que cet état engendre de violences, d’interrogations, d’émois et de souffrances chez les deux adolescents, il n’en oublie pas pour autant de peindre avec une extrême intelligence ce que leurs tâtonnements engendrent comme sentiments chez les adultes qui les entourent.

Dans ce film que j’ai vu comme un bel hymne à l’amour, personne n‘est oublié, pas plus les hommes que la nature. Elle est rude, cette nature, mais d’abord pour Thomas, le jeune métis, qui parcourt chaque jour des chemins enneigés pour se rendre au lycée ; elle est difficile pour Marianne, la mère de Damien, médecin de campagne qui brave les intempéries pour soigner ses patients sans parfois être payée ; elle est risquée pour la mère de Thomas, dont l’isolement rend la grossesse dangereuse… et pourtant tous aiment cette contrée où ils vivent et qu’ils n’envisagent pas quitter.

Pour les hommes ce n’est pas facile non plus… Marianne vit souvent séparée de son mari, lieutenant en mission ; Damien cherche une présence paternelle auprès d’un vieux militaire qui lui enseigne le combat corps à corps ; les parents adoptifs de Thomas s’inquiètent de la venue de ce nouvel enfant, et les deux adolescents que tout sépare se heurtent et se cherchent… Et cependant l’amour est là, dans les épreuves comme dans les joies…

Quand on a 17 ans nous met en face de sentiments que, je crois, nous avons tous plus ou moins éprouvés un jour ou l‘autre : l’amour d’une mère, l’absence d’un père, les difficultés de l’apprentissage scolaire, l’admiration pour un adulte, l’horrible chagrin d’une perte, l’attirance adolescente pour l’autre et le tumulte que cette découverte engendre, la joie d’un premier amour…

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Marianne et Thomas

Chagrins et peines sont ici décrits avec une incroyable justesse par André Téchiné et servis par d’admirables comédiens, en particulier par une Sandrine Kiberlain qui illustre avec sa Marianne, épouse et mère, toutes les facettes de l’amour…  Les deux jeunes gens, Corentin Fila et Kacey Mottet-Klein, sont eux aussi extrêmement justes, l’un dans son éblouissante beauté, l’autre dans ses maladresses d’adolescent…

Deux bémols, comme on aime à dire aujourd’hui : le démarrage du film qui s’attarde trop sur les paysages enneigés que parcourt Thomas pour se rendre au lycée et surtout la scène de sexe entre les deux garçons, qui dit lourdement ce que le film avait abordé jusque-là, tout en intelligence et  délicatesse…

Hélène Jourdan-Gassin

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