Quelques nouvelles de cinéma…
Je me sens un peu seule depuis qu’Isabelle Véret et Thierry Martin ont déclaré forfait. Pour Isabelle, plus de rubriques cinéma pour un temps limitée, et pour Thierry plus de notes de lecture du tout ; elles l’empêchaient, m’a-t-il dit, de prendre le plaisir simple à lire sans avoir à rendre-compte.
Je les comprends tous deux ; vais-je, moi aussi, renâcler à parler d’expositions pour garder le plaisir de regarder et d’écrire juste pour moi-même ? Pour l’instant il n’en est rien, c’est simplement une question de calendrier, et parfois de motivation. Tout ça, pour vous annoncer mon bonheur de retrouver Jacques-Jacques Campi et ses comptes-rendus si particuliers sur le cinéma qui donnent l’envie de plonger dans les salles obscures pour voir autrement les films que les apparatchiks que la critique hiérarchisent.
La « Grande » Petite.
Ma chère Hélène,
Le titre de cette critique de film peut prêter à confusion…Rien à voir avec le film de Louis Malle ; La petite (Pretty baby) quand, dans les années 1980, nous découvrions Brook Shields et Susan Sarandon en couple mère-fille dans une maison de passe de la Nouvelle Orléans.
« La Petite », le film de Guillaume Nicloux est une adaptation d’un roman de Fanny Chesnel, le berceau.
Quoi de plus symbolique qu’un berceau pour accueillir l’enfant à naitre ?
Le réceptacle qui va donner à LA PETITE une place dans la vie, de nos jours, est une pièce rare de marquèterie, une œuvre d’art qui va s’envoler aux enchères vers le grand père Fabrice Luchini qui n’en rajoute pas une miette…d’authenticité.
L’objet (et finalement le sujet du film) est une nacelle de style arrondie, en forme de coquille ajourée ; élégante façon d’y percevoir la prolongation d’une matrice utérine…
Le début du film est aussi complexe que le sujet et l’on perçoit vite ce que l’art de poncer méticuleusement et de lustrer au tampon un meuble ancien …veut dire.
Puis le scénario prend forme et Le Fabrice sort du bois, si j’ose dire car il va envoyer du lourd ! Il va se prendre au jeu d’un puzzle sentimental qui s’assemble comme les morceaux de bois précieux encastrés les uns dans les autres…à la perfection.
La barbe blanche et fleurie du lecteur de Jean de La Fontaine le plante dans un rôle de sage, de très sage homme de bon sens, « un juste » pourrait-on dire.
Le sujet est finalement bien posé ; un enfant va venir au monde dans un utérus de location…
Les parents de cet embryon en gestation sont un couple de garçons, qui décèdent dans un crash d’avion. Ils se déplaçaient vers la mère porteuse, une jeune femme déjà maman d’une petite fille…qu’elle aurait préféré ne pas voir naître à ses dix-sept ans .
« On n’est pas sérieux quand on a 17 ans » chantait Léo Ferré…et ce n’est plus très vrai.
Dans le film ; après le crash c’est le Cash ! qui motive apparemment l’actrice Mara Taquin en portant dans son utérus, cet enfant conçu avec les spermatozoïdes du fils de Paul le menuisier ; Emmanuel…Ecce Homo.
Paul défend le droit de paternité de son fils en dépassant le deuil et s’inscrit en tant que père symbolique et somme toute grand père reconnaissant.
La grossesse est déjà bien avancée et la future accouchée se porte au mieux d’une pesanteur qui s’allège au fil de sa vie de loueuse de vélo. Marie Madeleine symbolique, « Mère porteuse » perd ses sens dans le tourbillon de la vie d’une jeune adulte qui prend conscience que ce cadeau qu’elle porte, d’une vie en cours d’avenir sera gratuit !
Rien n’est simple, même ce qui est compliqué à souhait de conventions morales, religieuses, éthiques…La Belgique semble le lieu du possible sans complications de ce deal biologique.
La réponse à la fatalité de cette situation se résume dans une répartie du grand père qui assume pleinement la reconnaissance du parcours sinueux de son fils pour le désir d’un enfant qui ne pourra être conçu et croître que dans une matrice fécondée artificiellement. Lucchini y va de sa voix de scène de théâtre :
« On ne va tout de même pas laisser tomber cet enfant ! »
Et lors de l’échographie de fin de grossesse – la petite Pauline sera fille – son cœur bat et sa tête émeut le futur grand père dans une réplique tout aussi engagée :
« C’est ma petite fille, je ne lâcherais pas, c’est comme ça ! ».
« Never give up ! » disait l’homme d’une guerre, Sir Winston Churchill.
La responsabilité et l’engagement de Luchini devient une tendresse…jusqu’au bout de l’accouchement et la naissance de la petite Pauline.
Il y a aussi la sœur d’Emmanuel, jalouse de son frère, qui ne jouera pour rien au monde le rôle de sœur Emmanuelle…pour Pauline.
Moralité de la fable :

Fabrice Lucchini
Dans cette guerre pour débrouiller les tenants et les aboutissants d’un désir d’enfant, dans des conditions « à côté de la nature » ; Le rôle que joue magistralement Fabrice Luchini est celui d’un homme qui prend un enfant par la main pour lui montrer le chemin…de la vie.
Également le rôle d’un père par défaut du concepteur, quelles que soient les conditions des lois applicables à ces cas particuliers, différents de ce que nous pensons ou jugeons comme normaux. « La moitié du sang d’Emmanuel, ce n’est pas rien ! tout de même. », s’exclame le grand père en défendant sa cause.
Le menuisier Paul (qui aurait pu se nommer Joseph…) n’a de cesse, dans l’acceptation de l’identité sexuelle de son fils, de reconnaître cette petite fille conçue dans un ailleurs qui par la « force de la vie » peut atteindre des victimes collatérales…
Quand la fibre maternelle ou paternelle s’érige en tant que parents responsables d’un être vivant ; c’est dans la marge de cette histoire romanesque mais possible qu’il faut retenir le message subliminal du film ; « Donner » un nom, nommer un enfant, fille ou garçon en renouvelant le sens essentiel à toute vie humaine ; l’incarnation d’un être vivant, désirée ou pas…
Le rôle du grand père portant symboliquement et réellement Pauline n’était pas évident pour Fabrice. Mais en crevant l’écran pour ce qu’il est dans la vie, on n’imagine personne d’autre dans ce rôle quand, à la fin du film il se rase la barbe…et apparaît l’Homme Luchini qui réconcilie la femme porteuse avec SA maternité, par son regard d’amour paternel.
Jean-Jacques Campi