Rencontre avec Niels Arestrup au Théâtre de l’Artistique de Nice
Le 6 octobre :
La vie entre le théâtre et le cinéma :

Daniel Benoin, Vanessa Schneider, Niels Arestrup
Dans le cadre du festival Ciné Roman du 2 au 7 octobre 2023, le théâtre de l’Artistique de Nice accueillait le 6 octobre 2023 Niels Arestrup pour une rencontre avec le public, animée par la journaliste et romancière Vanessa Schneider, l’occasion de découvrir ce grand monsieur du théâtre français.
Dans le néant médiatique et thématique de ce 5ème Festival Ciné-Roman de Nice, des manifestations périphériques émergent toutefois suscitant l’intérêt et une certaine cohérence. Ainsi on passera sur la conférence, organisée autour du jury du festival (Alex Lutz, Danielle Thompson, Nicolas Maury, Sylvie Testud, Suzanne Clément…) dont le thème était : «Adapté au cinéma est-il dangereux pour un roman ?» Vous avez une heure pour répondre ! Les pauvres comédiens / scénaristes ont bien eu du mal à maintenir la conversation qui ne semblait pas vraiment les concerner.
L’invitation faite à Niels Arestrup pour parler de sa carrière de comédien de théâtre et de cinéma était plus à propos. L’homme a assez de charisme et d’expérience des planches pour animer cette rencontre et passionner son auditoire.
Césarisé entre 2006 et 2014 pour ses seconds rôles dans «De battre mon cœur s’est arrêté», «Un Prophète» et «Quai d’Orsay», Niels Arestrup rencontre tardivement la notoriété au cinéma, grâce à Jacques Audiard pour qui il manifeste beaucoup de gratitude. Il serait cependant injuste de réduire à ces quelques rôles cet homme de bientôt 75 ans qui brûle les planches depuis son plus jeune âge.
Issu d’un milieu ouvrier modeste, il est fils unique et était voué à travailler en usine comme son père. Niels Arestrup se remémore les retours de son père harassé par son travail et qui réclamait un calme absolu. Voulant lui faire plaisir, il ne disait mot et se réfugiait alors dans des mondes imaginaires. Puis le vent de mai 68 a tout emporté. Le monde ouvrier s’est mis en grève et lui a permis de faire une pause et de réfléchir. C’est à la télévision qu’il découvre Tania Balachova, professeur de théâtre d’origine russe.
«J’ai découvert un monde que je ne connaissais pas, des gens que je ne connaissais pas, une langue que je ne connaissais pas» (…) «Et je me suis dit, faut que j’aille voir cette femme. Je ne connaissais rien, j’avais rien lu, j’étais inculte».
C’est grâce et avec elle qu’il fait ses armes au théâtre en jouant des classiques pendant un an ou deux. Il a alors 19 ans. Il émet l’idée de poursuivre dans le métier d’artiste ce qui fait mourir de rire ses parents mais, bienveillants ils le laissent faire.
Il débute rapidement parallèlement des rôles au cinéma et va continuer en alternant les deux.
«C’est un métier où on choisit peu. On a tellement soif, qu’on y va, on accepte tout. J’ai tout de suite senti la différence de la relation avec une caméra, avec une vingtaine de personnes autour, et avec des petits bouts de 2 minutes, 3 minutes, alors qu’au théâtre vous êtes dans un espace qui vous appartient pendant 1h30 ou 2h et je trouve que la liberté que j’avais au théâtre je ne l’avais pas au cinéma. J’avais peur de la caméra, j’avais peur des gens qui regardaient sur le plateau. C’est petit à petit que j’ai apprivoisé un peu cet instrument particulier et je n’ai vraiment accepté le cinéma, enfin je me suis senti un peu mieux à partir de ma rencontre avec Jacques Audiard. C’est un metteur en scène extraordinaire. Il a une façon de travailler particulière, en tout cas avec moi. On se voyait et on parlait de nos pères. Il m’a avoué qu’il avait souffert de l’absence de son père, Michel Audiard qui travaillait beaucoup donc était peu présent. Le mien était là mais quand il rentrait de l’usine, il me demandait de me taire. D’une certaine manière, ça nous a rapproché. Je me suis laissé apprivoiser par Jacques Audiard. J’ai oublié l’angoisse de la caméra parce que Jacques me parlait d’autre chose. Il m’a libéré et j’ai apprivoisé un peu plus la caméra. (…) Avant j’avais la trouille. Des gens sont présents, c’est pas comme au théâtre, ils vous scrutent, viennent vous remettre les cheveux comme il faut. (Rires) On vous pomponne et vous vous sentez écrasé par la conscience de ce que vous faîtes alors qu’au théâtre, on a l’impression d’être un peu plus libre. Une expression résume ça : le cinéma c’est comme monter à cheval et faire du manège alors que le théâtre, c’est partir en promenade. Vous êtes libre. Au théâtre je me sens bien, mieux qu’à la maison».
Surtout associé à des seconds rôles au cinéma, il ne court cependant pas après les rôles principaux. Seule l’intensité du personnage et le texte qu’il va interpréter l’intéresse. «Je n’ai jamais ressenti de frustration d’être considéré comme un second rôle. Je ne me suis jamais posé la question de savoir où je suis dans la hiérarchie international», dit-il en plaisantant. «C’est un plaisir immense quand on vous offre un rôle qu’il soit deuxième, troisième, cinquième ou dixième. Tous dans la vie on joue des seconds rôles.» Il cite à ce sujet Rainer Maria Riilke dont il a mis en scène «Lettres à un jeune poète» : Vous êtes un monde mais vous avez l’obligation de connaître ce monde. Concentrez-vous sur les choses qui vous arrivent, sur ce qui se passe à l’intérieur de vous, sans perdre votre temps à vous comparer avec d’autres».
Présent aussi à la télévision, il n’a jamais ressenti de snobisme vis-à-vis de ce média.
«Je n’ai jamais considéré que la télévision qui rentrait dans le quotidien des gens était quelque chose de moins important ou intéressant». Cependant, il y avait moins de propositions avant. Sa première apparition était «Le tourbillon des jours» en 1979 de Jacques Doniol-Valcroze.
«J’ai toujours eu beaucoup de respect pour ce que je faisais pour la télévision avec la même problématique, la caméra, les gens autour et les cheveux. (Rires) On vous ramène à une hyper-conscience de ce que vous faites, ce que vous êtes et à quoi vous ressemblez. Au théâtre je m’oublie. Je suis timide, hyper émotif donc rien n’est négligeable. Si je vois un technicien qui s’emmerde, ça me rentre dedans. Ce truc parallèle n’existe pas au théâtre où vous êtes dans un espace libre. Vous ne voyez pas les gens… enfin parfois, vous pouvez les entendre ronfler…».
La réputation

Niels Arestrup dans « Au revoir là-haut »
Son tempérament impétueux et violent est connu sur les plateaux. Il convient d’être un peu «chiant» mais s’en défend car il prend les choses très au sérieux. «Si je tombe sur quelqu’un qui met en doute mon honnêteté, mon sérieux, je peux me mettre très en colère. Mais c’est l’amour, je ne veux pas qu’on le gâche. Encore maintenant, ça peut arriver avec un réalisateur, un partenaire. Ça a pu me faire du tort mais c’est plus fort que moi. Pas tant que ça puisque je suis encore là. Je n’aime pas l’amateurisme ! Faut pas faire semblant, il faut avoir des choses à dire vraiment. Dans ces cas-là, je réagis de façon épidermique et très désagréable. Ça a provoqué des fâcheries et y’en a eu beaucoup. Albert Dupontel avec qui j’ai fait «Au revoir là-haut» est un metteur en scène que j’estime beaucoup. On a commencé à ne pas être bien ensemble au bout de deux ou trois jours de tournage. Il m’a dit : On peut pas te parler, t’as toujours quelque chose à dire, ça me fait chier, dégage ! Le «tu dégages» ne m’a pas plu. On est rentrés dans un conflit quasi physique… Bon, on a fini par se découvrir mieux pendant le tournage».
La préparation d’un rôle
«D’abord c’est le texte qui compte, c’est long et compliqué de se familiariser avec, guidé par le respect du texte. Si on le change, ça me met en colère. J’ai besoin d’incarner, donc de travailler sur le texte. Michel Bouquet disait à ses élèves du Conservatoire : il faut apprendre, apprendre, écouter, sentir, apprendre… réapprendre, relire pour pouvoir enfin oublier. C’est très vrai. Il faut connaître intimement le texte. Vous vivez pendant 1h30 une personne qui n’est pas vous. Vous allez ensuite commencer à chercher des gestes, des impulsions du corps qui correspondent à ce qui se dit».
Niels Arestrup s’est livré sans fard, en toute modestie, exprimant sa timidité et ses emportements et surtout sa passion de jouer. Fort caractère mais sensible, de sa douce voix, il a donné sa définition de ce qu’est un comédien à ses yeux et de ses engagements.
A lui de conclure : «J’adore jouer, j’adore être un autre, peut-être parce que je n’ai pas beaucoup d’amour pour moi. Donc être un autre est source de création. Je suis très heureux de faire ce métier».
Isabelle Véret