Réparer le Monde, préparer le monde…, Nicolas Rubinstein

Tronc vertébré 1, 2021
Quel ambitieux programme et quel beau titre pour une exposition ! Qui me disait il y a peu, que les artistes d’aujourd’hui ne se souciaient que vaguement du devenir du monde ? Il me semble, au contraire, qu’il est au cœur de bien des recherches plastiques et de questionnements des artistes, des directeurs et directrices de lieux voués à l’art contemporain. Rien de surprenant alors, de retrouver ces préoccupations chez l’artiste qu’Odile Payen-Rédolfi* a sélectionné jusqu’à la fin septembre 2023, pour occuper les cimaises du lobby de l’hôtel Windsor dont elle est propriétaire et directrice.
Nicolas Rubinstein n’est pas un inconnu au Windsor où ses installations dans la vitrine de l’entrée et au bar ont déjà été largement remarquées, mais son exposition « Réparer le Monde, préparer le monde » franchit, avec sensibilité et modestie, une étape qualitative en proposant au visiteur des pièces qui bien qu’intrinsèquement liées au décor du lobby, sont des sculptures autonomes et objets d’art à part entière.
Accueillis dès la vitrine de l’entrée par l’installation/vidéo de Samir Laghouati, un artiste marseillais comme Rubinstein, on se retrouve devant le Grand Brand bambou cousu, une pièce délicate qui, d’emblée, évoque cette idée de réparation qui interpelle Nicolas Rubinstein. Born to be alive, la pièce murale en acier chromé, verre, bois de chêne, plante artificielle et néon, enfonce le clou de cette notion de préservation. Que dire de Dans quel état j’erre…, cette installation de bronze, bois, feuilles mortes, globe, acier… qui investit le Trône du Lobby, ce meuble emblématique du salon du Windsor. Je clos ce panorama avec ma préférence : Jusqu’à l’os, 2023, cette pièce de bois, d’acier et de résine polyuréthane qui schématise dans sa fragilité et son mystère, un monde de demain.

3- Petit bambou cousu, 2022
Si, comme me confie Nicolas Rubinstein, il n’a eu qu’un court temps de réflexion pour imaginer l’exposition elle a été, en revanche, l’occasion rêvée pour mettre en scène ses recherches. Un travail engagé depuis plusieurs mois lui a permis de produire des pièces sur des structures végétales. Cette idée de colonne vertébrale dissimulée dans les troncs d’arbre lui est venue il y a un peu moins de deux ans et avant de s’attaquer à de véritables branches et troncs, il a d’abord réalisé des sculptures en résine pour vérifier la validité de son idée. L’artiste précise : Ce travail sur les arbres traduit également ma vision de notre rapport au monde, et j’ai tout naturellement pensé à l’associer à un travail antérieur sur les globes terrestres et les cartes géographiques où j’avais déjà mis des vertèbres en évidence et recousu les globes avec de la garcette rouge, tentative désespérée de réparer le monde…
Si j’évoque avec l’artiste ses recherches, il me faut aussi souligner son appétence pour la poésie qui sous-tend une partie de son œuvre. N’a-t-il pas mis en exergue de son exposition un poème de Charles Baudelaire, extrait de Correspondances, Les Fleurs du Mal : « La nature est un temple où de vivants piliers/Laissent parfois sortir de confuses paroles ; /L’homme y passe à travers des forêts de symboles/ Qui l’observent avec des regards familiers (…) »
Sur l’emploi des mots du poète, il s’explique : Je suis très sensible à sa poésie, imagée et symbolique (à la poésie en général d’ailleurs) et ce quatrain s’est imposé à moi alors que je réfléchissais à la scénographie de l’exposition. Il m’a servi à concevoir l’exposition comme un temple.

Jusqu’à l’os, 2023
Si vous vous êtes rendu au Windsor vous n’avez pu qu’être séduit par cet hôtel qui, en plein centre de Nice, s’ouvre sur un jardin luxuriant, où le travail de Nicolas Rubinstein prend tout son sens, aussi l’ai-je interrogé sur le rôle que cette végétation exubérante a joué ou non dans l’exposition : En fait, non. Je n’ai pas l’impression que ce jardin m’ait influencé, mais sait-on jamais… En revanche, l’’architecture et le volume du lieu m’ont beaucoup inspiré. Je le connais bien et j’ai imaginé la mise en place de l’expo en tenant compte des différents espaces, des moulures, des endroits compliqués à habiter… Je suis satisfait de l’accrochage. Je trouve qu’il tire bien parti de l’espace et qu’il y a quelque chose de léger dans ces troncs qui flottent sur les murs. Et il ajoute : Les bambous présents dans l’exposition proviennent du jardin du Windsor. Ils sont donc revenus sur leur lieu de naissance après un séjour dans mon atelier.
Actuellement le rapport de l’homme et de la nature fait la une de toutes les préoccupations, scientifiques, environnementales, politiques, philosophiques et les travaux des artistes n’échappent pas à la règle, avec plus ou moins de sincérité. Aussi, j’ai demandé à Nicolas Rubinstein s’il ne craignait pas avec cette exposition, de céder à la mode actuelle de l’écologie à tout prix : Non, je suis très imperméable à la mode. Et en ce qui me concerne, au niveau de mon attention à l’écologie (qui est quand même un sujet qui me préoccupe plus que je ne voudrais le dire), j’ai produit il y a quelques années une installation qui dénonçait la pollution des mers par les sacs plastiques… Oui, je crois que j’ai toujours été sensible à la nature. J’ai eu la chance de grandir à la campagne, et même en pleine nature et j’ai fait des études naturalistes, bien que scientifiques. En tout cas, depuis des années, et à travers mes différents travaux, j’ai l’impression de toujours chercher la même vibration, et c’est encore vrai avec ces arbres morts. Cependant, je crois que j’ai toujours été un contemplatif, même si je passe ma vie à travailler !

Dans quel état j’erre…, 2023
Le sujet de l’exposition n’est pas à proprement parler l’écologie, mais plutôt, comme à mon d’habitude, la volonté de montrer extérieur et intérieur des êtres et des choses dans un même mouvement, de rendre sensible le sens caché. De faire sentir aux visiteurs de quel bois on est fait… Et bien sûr, avec un peu d’humour et d’ironie, d’essayer de traduire mon humanité et de rendre sensible le devenir de notre planète.
A la question : comment l’artiste peut-il intervenir dans le rapport nature et humanité. Est-il un témoin, un militant ou étranger ? Nicolas Rubinstein répond avec une grande simplicité : Je ne sais pas trop, je pense qu’il y a de multiples façons d’intervenir selon les artistes. Pour ma part, dans mon rôle d’artiste chaman, je ne peux qu’essayer de traduire le sensible. Et sans donner de leçon, d’essayer d’éveiller la curiosité et l’intelligence du spectateur grâce à des œuvres parfois humoristiques et faciles d’accès ; de les sensibiliser sur notre proximité avec la nature (le bois en l’occurrence). D’autre part, je ne vois pas comment on peut être un artiste dégagé. Les œuvres que je crée sont forcément en lien avec mon époque et mes préoccupations. En tant qu’artiste, je ressens la nécessité de m’exprimer et j’ai la possibilité de le faire. J’essaie donc de produire un travail susceptible de nourrir la réflexion sur des sujets qui me semblent importants. Le rapport de notre société à la Nature en est un.

Carte bathymétrique de la Méditerranée, 2015
Par cette exposition, je souhaite mettre en évidence le rapport que l’homme entretient avec le monde, et je cherche à nous interroger, par ces « correspondances », sur la nécessaire attention que nous devons porter à la planète qui nous supporte. » Mais bon, le spectacle offert aujourd’hui par notre planète n’est guère réjouissant…Et en même temps, je suis foncièrement optimiste et adepte de la théorie des grains de sable. Enfin, je crois aux femmes et aux hommes de bonne volonté.
Nicolas Rubinstein est né en 1964 à Paris.
Il vit et travaille à Marseille
www.documentsdartistes.org/rubinstein , www.nicolas-rubinstein.com
Nicolas Rubinstein, Réparer le Monde, préparer le Monde…
Hôtel Windsor Rue Dalpzzo

Vue de l’exposition au Windsor
06000 Nice
*Dès son arrivée la direction de l’hôtel Windsor, Odile Payen-Rédolfi a développé l’initiative des chambres d’hôtel conçues par des artistes, qu’avait initié son oncle, pour ensuite les enrichir d’expositions temporaires offrant à sa clientèle un environnement toujours renouvelé. Confier les espaces de l’hôtel à des artistes pour des installations In Situ était la meilleure initiative pour que la création soit au rendez-vous. Ainsi, ont exposé : Cédric Teisseire, Kristof Everart, Aicha Hamu, Elodie Lecat (avec Guy Rottier), Mauro Benetti, Cynthia Lemesle & JP Roubaud, Marcel Bataillard, le collectif KKF, Nicolas Rubinstein … et dernière création : la chambre de Carolin Rivalan
Odile Payen-Rédolfi est aussi la créatrice du festival Ovni depuis 2015, un événement à la confluence des mondes artistiques et hôteliers. Le Festival Objectif Vidéo Nice ou OVNi, est une plateforme originale et novatrice dédiée à la promotion de l’art vidéo. Chaque année à la fin novembre, OVNi fédère nombre d’acteurs culturels de la ville de Nice pour créer l’événement en donnant de la visibilité à des artistes vidéastes émergents, tout en permettant au public de redécouvrir des vidéastes plus établis.