« Roubaix, une Lumière »
Sonia Dubois, Thierry Martin, et aujourd’hui Isabelle Véret , m’ont fait l’honneur de me donner un peu de leur temps et de leur talent pour m’aider à nourrir mon blog qui est parfois un peu essoufflé quant à la rédaction de nouveautés : expositions, livres, cinéma, etc.
Quelques mots donc pour vous présenter Isabelle, ma camarade de salles obscures qui nourrit comme moi une passion pour le cinéma.
Elle a travaillé avec moi par le passé, pour Art Jonction, la foire, mais surtout pour Art Jonction Le Journal, en tant que secrétaire de rédaction. Enseignante, infographiste, Isabelle a bien des cordes à son arc, mais aujourd’hui c’est en amie qu’elle me fait le cadeau – et à vous par la même occasion – de cette intéressante analyse du film de Desplechin
Roubaix, une lumière
D’Arnaud Desplechin
Avec : Roschdi Zem, Léa Seydoux, Sara Forestier, Chloé Simoneau, Betty Cartoux, Antoine Reinartz, Jérémy Brunet, Stéphane Duquenoy, Philippe Duquesne, Anthony Salamone.
Sortie le 21 août 2019
Synopsis
Roubaix, une nuit de Noël. Le commissaire Daoud sillonne la ville qui l’a vu grandir. Voitures brûlées, altercations… Au commissariat, vient d’arriver Louis Coterelle, fraîchement diplômé.
Daoud et Louis vont faire face au meurtre d’une vieille dame. Deux jeunes femmes sont interrogées, Claude et Marie. Démunies, alcooliques, amoureuses.
Arnaud Desplechin que l’on connaissait plus dans le genre introspectif, fils spirituel d’Ingmar Bergman change radicalement de genre en s’attaquant au polar social.
Dès le départ, le ton est donné, ça ne va pas être la franche rigolade ! On pressent dès les premières minutes que peu de place sera donné à la joie et au bonheur. Si Arnaud Desplechin, 9 films au compteur change ici de style, il n’allait pas pour autant être infidèle à Roubaix, ville chère à son cœur, que l’on retrouve dans tous ses précédents films (« Un conte de Noël » en 2008, « Trois souvenirs de jeunesse en 2015, « Ismaël » en 2017). Ici, il se sert de sa ville comme toile de fond pour y relater un fait divers réel, déjà exploité dans un documentaire de 2002, « Roubaix, commissariat central » du réalisateur Mosco Boucault.
On nous explique en off que si la ville eut un passé florissant, aujourd’hui le bonheur n’est plus au rendez-vous. Roubaix est une ville abandonnée où se mêlent désolation, pauvreté sociale et où se retrouvent les laissés pour compte,confrontés à une police, se débattant entre stupeur et résignation. C’est là que tout le talent de Desplechin va se déployer. Il aurait pu se calquer au documentaire et réaliser un Xème polar à grand renfort de sirènes hurlantes, de courses-poursuites et d’arrestations musclées. Non, ici il s’appuie sur la banale cruauté de la misère sociale, sans tomber toutefois dans l’écueil du cliché des villes du Nord pour brosser le portrait de différents personnages qui vont se croiser durant une enquête particulière.
Desplechin plante donc le décor ; sombre, pluvieux, beaucoup de scènes de nuit, on sent l’influence des thrillers nordiques, le tout accompagné d’une bande son mélancolique, particulièrement présente, signée Grégoire Hetzel qui retrouve Arnaud Desplechin pour la septième fois et vient renforcer cette ambiance qui laisse la gorge nouée tout au long du film.
Le réalisateur sait s’attarder et s’attacher à ses personnages et c’est là toute la force du film, Il entoure ses protagonistes d’une certaine tendresse, plus précisément son personnage central, incarné par un Roschdy Zem, prodigieux en commissaire humaniste, issu de l’immigration et enfant de la ville, solitaire dont « toute la famille est retournée au bled ». On lui adjoint un jeune policier encore timoré, et souvent gauche qui se réfugie dans la prière, le soir venu. Loin de son univers, il paraît un peu perdu et sa bonne volonté ne suffit pas à lui faire prendre les bonnes décisions.
Les affaires périphériques n’ont rien d’extraordinaire : le quotidien d’une brigade de police comme on peut en voir des dizaines dans les émissions de faits divers, chères à certaines chaînes de la TNT. Desplechin ressert alors son propos sur les personnages des deux jeunes femmes paumées, à grand renfort de gros plans qui semblent décrypter les tréfonds de leur âmes. Il prend son temps, s’attarde sur les visages, leurs expressions, comme pour mieux les connaître. Et là Desplechin applique son style et donne un ton particulier à ce genre de film. On s’attarde sur les personnages, le temps de les connaître par petite touche. Il ne s’aventure jamais à la complaisance ni au jugement. Si le commissaire Daoud (Roschdy Zem) essaie de démêler le vrai du faux, il ne se laisse jamais aller à la colère et encore moins au mépris face à la souffrance ou le dégoût que pourraient inspirer les actes que les personnages ne semblent comprendre ni assumer.
Desplechin nous offre alors une galerie de personnages dont il brosse le portrait sans jamais tomber dans la complaisance de la confrontation des bons et les méchants. L’approche est plus douce, plus analytique, On accompagne les personnages pour comprendre ce qui les a construit et ce qui les a mené là où ils en sont. Tous ont leur part de souffrance, de failles ou de mauvais choix de vie.
Si les faits sont réels et tirés d’un documentaire de 2002, on pense immédiatement à d’autres faits divers dont le cinéma s’est inspiré, Les faits ne sont pas sans rappeler l’affaire des sœurs Papin dans les années trente qui laissa en mémoire la sauvagerie du massacre d’un famille par deux jeunes domestiques et plusieurs fois portée à l’écran (La Cérémonie en 1995 par Claude Chabrol et les Blessures assassines en 2002), On y retrouve cet aspect social dans le crime, sans toutefois s’appesantir sur le côté expiatoire de la lutte des classes par le crime.
Car ici, la misère sociale est partout. On peut être légèrement décontenancé au début par l’aspect presque documentaire du récit qui additionne les petites histoires et les plus fervents admirateurs d’Arnaud Desplechin seront sans doute un peu déroutés. Le film gagne en tension une fois la toile de fond installée en se resserrant sur les deux filles paumées et trouve ainsi son cap.
On peut cependant s’interroger sur le choix du couple Léa Seydoux/Sara Forestier. Cette dernière additionne les rictus grimaçants pour imposer son personnage de fille délaissée, mal aimée et énamourée devant une Léa Seydoux qui, sans fard s’empare toutefois de son personnage de jolie fille manipulatrice. Le réalisateur nous laisse peu d’indices quant à leur vie qu’on imagine démunie. Il laisse son personnage principal en faire l’interprétation, presque habitué à faire face à de tels profils.
C’est tout le talent de Desplechin qui nous mène au bout de l’enquête jusqu’à une scène de reconstitution qui fait froid dans le dos.
Alors, et la lumière là-dedans ? Elle est de tous les instants dans l’œil bienveillant du commissaire Daoud (Roschdy Zem) qui cherche dans le moindre détail à trouver de l’espoir et de l’humanité, même aux tréfonds de la misère sociale. Le comédien y trouve l’occasion de déployer son formidable talent tout en sobriété et éclaire littéralement ce film à l’ambiance envoûtante.
Isabelle Véret