Rubrique sans nom – en attente de baptême.

Ben, « je ne suis pas Picasso », Musée Magnellii, musée de la céramique
La fin du mois est là et je m’aperçois que je n’ai que peu ou pas écris sur les expositions, les concerts, le théâtre, les livres… Ce n’est pas faute d’avoir été enchantée par de belles réussites, mais il y a comme ça des périodes de l’année, l’été majoritairement, où les propositions artistiques se télescopant, il devient difficile, voire impossible de toutes les commenter..
Dans cet exercice, Ben Vautier excelle et il n’est pas question pour moi de le concurrencer mais plutôt d’évoquer brièvement, avec ou sans images, ce qui a retenu mon attention et me revient en mémoire, sans respect d’une quelconque chronologie…
Puisque de Ben il est question j’ai passé une journée mémorable à Vallauris ou Ben et Dion exposaient dans des registres qu’on pourrait dire lointains mais qui, à y regarder de plus prêt, ne sont pas si distants… Dans la Chapelle Pablo Picasso, l’œuvre de Mark Dion The Tropical Collectors (Bates, Spruce and Wallace) réalisée en 2009 est intelligemment installée pour ne faire qu’un avec les murs qui l’accueillent. Ce travail, qui fait explicitement référence aux cabinets de curiosités, ne porte pas sur la nature mais sur l’idée de nature. L’artiste relance les débats sur l’évolution de l’histoire naturelle, le rôle du scientifique et les (re)présentations de la nature et des systèmes écologiques en science, dans les musées, les étalages ou les zoos…
Ne pourrait-on pas en dire autant avec Ben, du moins en simplifiant un peu ?
Dans « Je ne suis pas Picasso » Musée Magnelli, Musée de la céramique, Ben accumule des sculptures réalisées à partir d’éléments en terre cuite et d’objets récupérées, et il les fait se télescoper dans un apparent désordre qui échappe à l’histoire de céramique pure, pour en raconter une autre, moins sage, plus échevelée, se référant plus globalement à l’histoire de l’art que Ben (qu’on se le dise) connaît fort bien. Il a invité à cette fête, les œuvres en céramique et sans tète, de Monique Thibaudin ! De surcroit au plaisir esthétique, on peut ajouter celui de siroter une mauresque sur la place de cette petite ville qui offre, au cœur d’une cité moderne très laide, le charme discret des villages de Provence.

Biennale de Venise 2022, « The Milk of Dream »
Le temps passe et je n’ai encore rien dit du voyage avec les Amis du MAMAC à la Biennale de Venise. Le sujet est si vaste que je ne me suis pas encore autorisée à l’aborder en profondeur. Plus tard peut-être, si je reçois le magnifique catalogue en deux volumes que j’ai commandé…En tout cas, je ne peux que vous recommander d’y courir, si ce n’est déjà fait, car je pense que la Biennale de Venise 2022, The Milk of Dreams fera date dans l’histoire de l’art contemporain. Cette 59e Biennale qui porte un si joli titre en dit long sur sa nouveauté : « Le Lait des Rêves », inspirée d’un livre de contes pour enfants de l’artiste surréaliste Leonora Carrington, offre une place importante aux femmes, aux minorités, aux cultures généralement peu représentées. Cecilia Alemani, la commissaire générale, interroge le devenir troublé de notre monde et ses métamorphoses. Au cœur des Giardinis, la guerre en Ukraine présente dans les consciences y est évoquée symboliquement par des tas de bois brûlés et un monticule de sacs blancs contenant du sable, alors que le pavillon russe est fermé, les artistes ayant refusé d’y participer pour protester contre l’invasion de l’Ukraine.

Malgorzata Mirga-Tas
Mais ce n’est pas cette actualité brûlante qui a retenu mon attention, mais d’autres problématiques, actuelles certes, mais plus subtilement évoquées. Par exemple, pour la première fois depuis 127 ans, deux artistes femmes noires ont été récompensées : l’anglaise Sonia Boyce, et l’américaine Simone Leigh. Dans le pavillon américain transformé en cahute recouverte d’un toit de paille, les sculptures monumentales en bronze de Simone Leigh représentant des femmes africaines belles, hiératiques et sans yeux, telles des reines géantes ; un hommage aux femmes noires rarement évoquées et encore moins célébrées par l’histoire. Magnifique ! Dans le pavillon français, Zineb Sedira, née en France de parents algériens, et vivant en Angleterre interroge son identité multiple. Mémoire et transmission sont au cœur de l’œuvre. « Les rêves n’ont pas de titre » consiste en une installation où elle a reconstitué une partie de l’appartement de ses parents dans les années 60, complété par un environnement cinématographique avec des caméras, des bancs de montage, un plateau de tournage et un grand bar avec piste de danse et tables où on peut s’installer. Il se dégage de l’ensemble une espèce de nostalgie touchante, même si la référence au cinéma est un peu trop matérialisée. Le pavillon polonais est couvert par des tapisseries de l’artiste rom Malgorzata Mirga-Tas. Un immense patchwork de personnages en tissus de couleurs cousus racontent l’épopée mythique des Roms vers l’Europe, des scènes de la vie quotidienne, des symboles…

Katharina Fritsch
Dans le pavillon central (Giardini), l’éléphant vert très réaliste de l’Allemande Katharina Fritsch accueille le visiteur (le sens m’a échappé, un hommage à la nature, peut-être). L’exposition internationale qui s’étend sur les Giardini et l’Arsenale comprend 213 artistes de 58 pays, dont 180 participent pour la première fois .1433 les œuvres et objets sont exposés, 80 nouveaux projets sont conçus spécifiquement pour la Biennale Arte. J’avais tant de choses encore à vous dire sur cette magnifique Biennale et notamment sur les expositions dans Venise à cette occasion, Ce sera, sans doute, dans Ma Biennale tome2, .en aout ou en septembre. En quelques mots cette fois, c’est promis, pourquoi ai-je tant aimé cette Biennale ? Parce qu’elle s’ouvre au monde et à son humanité avec attention, passion et simplicité, parce qu’elle nous demande d’ouvrir les yeux sur lui et pour une fois de laisser les discours aux livres et aux doctes personnes pour simplement voir et entendre le chant du monde.
de retour à Nice, un moment rare dans les jardins de Cimiez, Antigone s’y cachait. Aux pieds de la demeure ocre rouge qui héberge aujourd’hui : « un Paradis retrouvé » la plus belle des expositions de la Biennale des Arts de Nice, où conversent, en couleurs, les deux plus grands artistes de notre modernité : David Hockney et Henri Matisse, Antigone a surgi, porteuse des mots inoubliables de Jean Anouilh.

David Hockney
L’auteur nous dit :« L’Antigone de Sophocle, lue et relue, et que je connaissais par cœur depuis toujours, a été un choc soudain pour moi pendant la guerre, le jour des petites affiches rouges. Je l’ai réécrite à ma façon, avec la résonance de la tragédie que nous étions alors en train de vivre ».
L’Antigone de Jean Anouilh est inspirée du mythe antique, en rupture avec la tradition de la tragédie grecque. « Moi, je suis là pour autre chose que pour comprendre. Je suis là pour vous dire non et pour mourir. ». Cette réplique extraite de l’Antigone de Jean Anouilh dessine, par le texte, le personnage incarnant une révolte pure, sans concession, quasiment salvatrice. Écrite en 1942, jouée pour la première fois au théâtre de l’Atelier en 1944 sous l’Occupation, cette pièce fait désormais pleinement partie du paysage théâtral contemporain, si bien que lorsqu’on annonce à une personne que l’on va « voir Antigone », la plupart du temps la réponse est « oui, mais laquelle ? », car on ne sait jamais s’il s’agit de celle d’Anouilh ou celle de Sophocle, tant la première s’est élevée au rang de « classique ».
Mais revenons à notre jardin de Cimiez et ses ruines antiques, cadre idéal de la représentation du grand dramaturge et à ses mots de démiurge que les hommes, fous furieux encore aujourd’hui, veulent à tout prix, remettre dans l’actualité. Que dit Antigone ? Elle dit « non » parce qu’elle est libre et comme telle, elle considère qu’elle a tous les droits, puisqu’elle ne s’est soumise à aucun pouvoir. Créon*, lui, considère qu’il a d’abord des devoirs, car il est roi. Et en tant quel, il veut faire entendre à Antigone que dans certaines situations dramatiques, on est obligé de dire « oui » !

« Antigone », Jean Anouih
Une belle salade mythologique à la Jean Anouilh, vaillamment représentée par la Compagnie du Théâtre de l’eau vive à Nice, avec dans le rôle d’Antigone, une merveilleuse comédienne… theatredeleauvive@gmail.com
*Dans la mythologie grecque, Antigone (en grec ancien Ἀντιγόνη / Antigónê) est la fille d’Œdipe, roi de Thèbes, et de la reine Jocaste. Elle est ainsi la sœur d’Etéocle, de Polynice et d’Ismène. Son oncle Créon, frère de Jocaste, est également le père de son fiancé Hémon.
*Créon est obligé d’appliquer la sentence de mort à Antigone. Après un long débat avec son oncle sur le but de l’existence, celle-ci est condamnée à être enterrée vivante. Mais au moment où le tombeau va être scellé, Créon apprend que son fils, Hémon, fiancé d’Antigone, s’est laissé enfermer auprès de celle qu’il aime.
Merci pour tout petit mot sur ton blog. Ravie de t avoir accueillie et fait plaisir à Vallauris. À bientôt pour de nouveaux délires. THIBAUDIN Monique.