Run Run Run
Courez, courez, courez à la Villa Arson pour célébrer l’anniversaire des vingt ans de La Station ! Accompagnée par un ami peu convaincu qui ne cessait de me dire : déjà fait, déjà vu ; du Kienholz, du Barbier, trop Richter, du Pistoletto sans qu’on se voie dedans et j’en passe… Malgré ça, je n’ai pas boudé mon plaisir, emportée par le foisonnement d’œuvres, inégales peut-être, mais dont certaines m’ont séduite, interrogée, amusée, déconcertée… alors que demander de plus !
Ce qui m’a semblé dominer avant tout, c’est l’énergie qui se dégage de cette notion d’Artist-Run Space, c’est-à-dire de lieux inventés par des artistes pour des artistes. Je me dois de les citer tous, car ensuite je ne vous parlerai que de quelques-uns :
Atelier Expérimental (Clans), CAN – Centre d’Art de Neuchâtel (Suisse), Clovis XV (Bruxelles – Belgique), D.A.C – Dolceacqua arte contemporanea (Italie), Fondation René d’Azur (Nice), In Extenso (Clermont-Ferrand), La BF15 (Lyon), Le Bon Accueil (Rennes), L’Entreprise Culturelle (Paris), L’Espace d’en Bas (Paris), Le Wonder, Lieu Commun (Toulouse), ZEBRA3 / BUY SELLF (Bordeaux), LM (Paris), Macumba Night Club Editions (Paris), Maik Alles Gute (Berlin, Leipzig – Allemagne), Numéro 13 (Bruxelles – Belgique), Palais des Paris (Tokyo – Japon), Red District (Marseille), SNAP (Lyon), Tank Art Space (Marseille).
Mon enthousiasme va d’abord à Lieu Commun de Toulouse et Zebra3/Buyselff de Bordeaux. Il faut dire qu’ils ont bénéficié de la plus belle salle de la Villa, la Galerie carrée, mais ont su l’animer et présenter des propositions qui m’ont séduite : à l’entrée, Meurtrière, 2016, cette déchirure dans le mur, de Florian Pugnaire (renvoyant à sa belle exposition à la galerie Eva Vautier en ce moment), puis Le Collectionneur, un camping-car (objet de divergence avec mon interlocuteur) qui déverse une tribu d’artistes aux multiples propositions dont je retiendrai L’arbre à chat, 2016 de Laurent Le Deunff, Conversation (brasero), 2016, de Cédric Teisseire (qui s’invite ainsi dans l’exposition), et enfin cette installation en tuyaux d’arrosage de Laurent Perbos.
Mon deuxième arrêt, moins dense quant au décryptage des appartenances, mais tout aussi emballant est pour LM, Paris, qui réunit Ingrid Lunche et Nicolas H. Muller. Les deux artistes (n’en déplaise à mon interlocuteur grincheux), eux, citent leurs sources. Ingrid Luche avec Maquette pour une robe à partir de l’œuvre Sternhimmeltuch (1968) de Sigmar Polke, LM, paraphée I. Luche, 2015, reproduit à l’échelle l’œuvre de Polke qui représente une carte du ciel à l’intérieur de laquelle il a tracé son nom, et qu’Ingrid Luche paraphe à nouveau… Un travail pas évident si vous ignorez les codes, mais qui offre, malgré tout, un rendu admirable ; une sorte d’échappée de peinture qui se répand sur le mur et sur les volumes qui lui sont proches. Nicolas H. Muller se prête au même jeu. Dans : Fier de lui-même, le petit rose regardait au loin pendant que le blobfish et la poutre s’adonnaient à d’étranges relations, 2015, il emprunte à Hokusai le croquis de son œuvre (Monster Fish on the Roof) pour son installation de petites pièces en terre crue absolument délicieuses (cet adjectif a fait sourire l’artiste !). L’exercice est réussi quels que soient les emprunts et en ce qui concerne le discours, je vous épargnerai la référence à Giovanni Anselmo et à son ombre, pour dire, plus simplement, que nos deux jeunes artistes revendiquent le geste de marcher dans les pas de leurs prédécesseurs. Une honnêteté qui mérite d’être saluée !
Dans un tout autre domaine, Tank Art Space, Marseille, m’a divertie par l’idée un peu saugrenue du projet et de son résultat. Juan Kaewkovski est l’imaginaire collectionneur dont les pièces appartenant à la non moins imaginaire structure «The Kaewkovski Institute Museum» pourraient laisser penser à une collection ethnique ou d’art brut ou sacré. Elle joue avec le grotesque, la transe, la magie pour invoquer la folie ou le charlatanisme en nous donnant à voir de curieux objets rangés dans des vitrines ou accrochés aux murs sur fond noir et disséminés dans l’exposition…
C’est une autre évocation de l’étrange que propose le Palais des Paris avec de pseudo-preuves de l’existence du monstre du Loch Ness recueillies par Johan Decaix, alors que la combinaison de la culture franco-nippone de Tamanosuke Toyoda, Yukari Hara, et Frédéric Weigel produit pour l’une des objets incomplets, pour l’autre des illustrations qui ratent leur communication et pour le dernier une transposition de l’iconographie de la série Ultraman combattant des kaiju, sur les pages du récit du mythe des tentations de saint Antoine… Embrouillée mon explication ? Oui, mais le travail l’est aussi, c’est peut-être ce qui fait son charme !
Pas simple non plus, le projet de Numéro 13, Bruxelles, à tel point que je ne me risquerai pas à décrire cette installation de Paul Chazal, Emmanuelle Nègre et Sophie Graniou, si ce n’est pour dire ma fascination pour ce carrousel où les fantasmagories de chacun se conjuguent et m’interrogent comme le font les surprenants petits yeux qui trouent les murs de cet espace.
Si l’étrange, le grotesque, le fantasmagorique sont les dénominateurs communs de beaucoup d’interventions de Run Run Run, des projets plus sages (en apparence tout au moins)
sont à retenir avec Snap Project, Lyon, où Sébastien Wickeroth et Paul Raguenes font dialoguer l’eau et la terre… ou avec Le Wonder, Saint-Ouen, qui propose dans un sauna remarquablement conforme à la règle (pierres chaudes, serviettes blanches etc.), un espace de rencontre, marqué d’une énigmatique enseigne, où vibre une musique électronique rejouant les codes d’une fin de soirée.
C’est avec Make Space Row par Tilman & Marcasiano pour D.A.C (Dolceacquacontemporanea), une construction installée sur le toit de la Villa Arson, que je mets un point final à ma visite. Là encore, l’environnement, c’est-à-dire la vue qu’on a depuis les terrasses de la Villa, amplifie l’intérêt de l’intervention, sorte d’œuvre d’art « ouverte » qui fournit aux participants une arène de communication, de dialogue, d’expérimentation, de réflexion et d’exploration (sic). Mark Space Row est un lieu pour exposer ainsi qu’un lieu qui s’expose… C’est dans cet esprit que Tilman Hoepfl a invité Colombe Marcasiano à « habiter » sa structure par de belles toiles (voir image en une).
Quid de La Station dans tout ça, puisque c’est de son anniversaire qu’il est question ? Cédric Teisseire retrace son histoire pour ceux qui en auraient ignoré l’origine. Tout a commencé par une fête le 31 décembre 1993 (ou un peu avant), dit-il. Des fraîchement diplômés de la Villa Arson, en 1993, eurent la possibilité de prolonger leur séjour dans ce phalanstère par l’obtention d’ateliers dont ils pourraient s’acquitter en travaillant pour le centre d’art. C’est ainsi que Béatrice Cussol, Ingrid Luche, Marc Chevalier, Pascal Broccolichi et Cédric Teisseire ont rejoint quelques aînés déjà en place pour former une équipe aux personnalités hétéroclites (sic). Années trépidantes durant lesquelles expositions et rencontres s’enchaînèrent, qui leur permirent de mettre en place une pratique d’atelier de leurs recherches personnelles et de réaliser ainsi que l’expérience influait directement sur la conception de leurs positions artistiques. En 1995 ce sursis « post diplôme » tirant à sa fin, nos protagonistes jetèrent leur dévolu sur une station-service désaffectée que le CHU de Nice leur permit d’occuper pour quelques mois qui devinrent trois années. On connaît la suite et aujourd’hui, pour fêter cet anniversaire, les artistes de la Station jouent les coucous dans le nid d’autres structures avec les œuvres d’Aurélien Cornut-Gentille, Jean-Baptiste Ganne, Alexandra Guillot, Ludovic Lignon, Paul Lebras, Florian Pugnaire, David Raffini, Vivien Roubaud, Emmanuelle Nègre, Cédric Teisseire et Justin Sanchez.
(Photos Villa Arson)
Jusqu’au 30 décembre 2016
Villa Arson
20, avenue Stephen-Liégeard – Nice
Merci pour ces niouzes.
Lecture toujours très intéressante. Je suis même assez d’accord, plutôt, parfois, quoique, mais oui…
On attend des commentaires éclairés après une visite des « Impressions d’ateliers » au CIAC.
Prochainement ?
Amitiés,
FB.