Quentin Spohn, Détail
Quentin Spohn, détail

Une journée particulière.

Il y a des journées qui commencent mal ou bien, tout dépend de notre disposition à voir les choses. Celle du 30 avril 2016 a été à double face pour moi …Bonne d’un côté, car chargée de rendez-vous agréables ; mauvaise de l’autre, car le temps n’étant pas élastique, j’ai dû faire des choix…

Un déjeuner plaisant s’étant éternisé, j’ai raté à 14 heures la projection de « Blade Runner » de Ridley Scott à la cinémathèque. Zapper Blade Runner que je n’avais jamais vu, ça présentait le double inconvénient de continuer à ignorer pourquoi ce film était si important, et ça me privait aussi de références face à l’argumentation de Raphaël Enthoven dont la conférence était : « Blade Runner et Descartes : Blade Runner : je pense, donc je ne suis pas… »

Et de façon plus détaillée : « Qu’est-ce qu’un réplicant ? Ils sont fabriqués de toutes pièces et ne vivent que quatre ans, mais ils le savent et ils en souffrent… La conscience qu’ils ont de leur propre condition suffit-elle à en faire des humains ? Et si c’est le cas, comment qualifier le programme d’élimination des réplicants autrement que comme une extermination planifiée ? »

raphael2

Raphaël Enthoven

Tel était le questionnement de Raphaël d’Enthoven, il n’était pas des moindres, vous en conviendrez, mais l’homme, le philosophe, l’érudit, le cinéphile, le beau gosse (choisissez le terme pour vous le plus approprié) s’est joué de la difficulté par une démonstration d’une rare intelligence, nous offrant avec brio et légèreté la plus subtile leçon de philosophie.

 

Quel est le rapport avec ce qui va suivre ? Aucun, juste une question d’agenda car à 18 heures il me fallait courir au Port pour le vernissage de l’exposition de Quentin Spohn au Dojo…

Le Dojo (1)

Vue d’ensemble, le Dojo

Surprenant Quentin, capable de réaliser un travail titanesque, sans faire de vagues, juste en travaillant sans relâche !  Spohn, c’est un être à part. Une sorte de lutin, étonnamment délicat, discret, sur lequel le style Arson a glissé comme l’eau sur les plumes d’un canard. Depuis la réunion du jury, dont je faisais partie, pour l’attribution du Prix de la Jeune Création Contemporaine de la Ville de Nice, il m’est apparu comme l’élément le plus intéressant des diplômés de la Villa Arson 2013 et un des artistes les plus marquants de sa génération.

Mais pour Quentin, après ses études à Arson, la difficulté était de trouver un lieu où travailler. Ce fut d’abord dans les locaux du Chantier Sang Neuf, qu’il disposa d’un espace idéal pour réaliser, avec Alice Guittard – l’autre lauréate de la promotion 2013 – l’incroyable univers cosmo-sous-marino-onirique, exposé à de la Galerie de la Marine (voir mon article sur mon précédent blog).

Porteur d’un nouveau projet aux dimensions démesurées, il fallait à Quentin Spohn un nouveau lieu pour s’exprimer et c’est au sein du Dojo, studio de création et de design graphique, qu’il va, dès 2015, pouvoir mettre en route la conception d’un immense panoramique, dans le cadre d’un atelier/résidence, pour une année.

Quentin Spohn, détail

Quentin Spohn, détail

Que nous dit l’artiste de cette réalisation exceptionnelle : « N’ayant au départ pas de thématique précise, j’ai trouvé mon inspiration dans le lieu même de la résidence avec la proximité des ordinateurs et des serveurs. Au bout de quelques jours, s’est en effet esquissé un projet de fresque axé autour de la thématique de la société numérique… (…). L’immersion du numérique dans nos vies, le développement des décharges informatiques, les espaces de data-centers ou l’idéologie transhumaniste ont notamment fait partie des sujets que j’ai souhaité aborder à travers cette fresque. A la fois admiratif des fresquistes mexicains, de peintres figuratifs tels qu’Otto Dix, Max Beckmann, qui employaient parfois pour leurs œuvres le format du triptyque, j’ai commencé à réaliser une série de tableaux où sont venues s’agglomérer des références au monde de l’art parfois hétéroclites (telles que la Ash Can School, les peintres américains du Réalisme Magique, mais aussi Vieira da Silva ou Altdorfer), à l’univers de la dystopie mais également à la culture populaire, et plus particulièrement aux jeux vidéos de plate-forme des années 90.Les tableaux ont été dessinés à la pierre noire, matériau qui était utilisé par les peintres de la Renaissance pour réaliser leurs esquisses, avant de les recouvrir par la peinture… Travailler simplement en noir et blanc m’a notamment permis de me concentrer un peu plus sur l’atmosphère générale et l’ambiance lumineuse des tableaux. »

Quentin Spohn partie du panoramique

Partie du panoramique

Si j’ai retranscrit les mots de Quentin Spohn c’est qu’il a su quasiment tout nous livrer dans ce texte : le sujet, l’observation, l’inspiration, les références, et surtout la matérialité de l’œuvre… Et quelle œuvre ! Je vous l’ai dit en préambule, cette journée du 30 avril s’annonçait comme riche en événements, elle le fut ! Et le panoramique de Spohn a agi sur ma réceptivité comme un magnifique bouquet final !

 

Quentin Spohn, détail

Quentin Spohn, détail

Maintenant, comme je ne peux me contenter de dire c’est beau, c’est grand, c’est rare…, je vais y aller de quelques commentaires… Tout d’abord sur l’ampleur d’une telle réalisation qui court sur les trois immenses murs du lieu, en une succession, non pas de fresques mais de châssis, puisque tout est dessiné à la pierre noire sur des toiles de 185 x 240 cm, où se développe une sorte de bande dessinée géante dans laquelle se télescopent boîtes, casiers, écrans de TV, ordinateurs, textes, billets de banque formant des corps, des paysages, des atmosphères où d’étranges personnages sans regard se regroupent, se confortent… Pistes d’atterrissage pour extraterrestres, sites sans horizons, reliefs inquiétants, peuplés de gnomes, de nains issus de nos rêves, d’histoires pour faire peur aux enfants ou pour les ravir… Tout l’attirail onirique est convoqué, mis en orbite, en noir et blanc, tels les meilleurs films d’horreur et comme eux, d’une étrange beauté.

Martine Doytier Hommage au Facteur Cheval, 1977,

Martine Doytier
Hommage au Facteur Cheval, 1977

Enfin, et que Quentin n’y voit rien de réducteur, au-delà des grands noms évoqués en référence, tels Ensor, Dix, ou Beckmann, cette prolifération de personnages, d’objets, de situations… me fait étrangement penser à la plus injustement oubliée des artistes niçoises, Martine Doytier, dont l’œuvre, après son suicide, semble avoir été gommée de la nomenclature des artistes locaux…

Une exposition sur une invitation de Luc Clément.

Un projet initié par Lisa Costalbano.

Jusqu’au 26 août 2016

Le Dojo

22 bis, boulevard Stalingrad

06300 Nice

Quentin Spohn est représenté par

Le 22

22, rue de Dijon

06000 Nice

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.