Franz Et Fani (August Diehl Et Valérie Pachner)
Franz et Fani (August Diehl et Valérie Pachner)

« Une vie cachée »… mais pas gâchée ! Un film de Terrence Malick.

Les grands cinéastes comme les grands peintres ont dans leurs regards, cette capacité physiologique de transformer les couleurs en…peinture !

Claude Monet, le peintre, nous a légué par Les Nymphéas l’héritage de la peinture impressionniste sensible et de l’abstraction lyrique. Il sera trahi « pour cela », par une cataracte atteignant sa vision et sa mémoire en faisant appel à son imagination, sa « créativité ». Nicolas de Staël, en France, comme Mark Rothko et Cy Twombly outre Atlantique, relèveront le défi du message subliminal délivré par le travail acharné et la place du hasard dans toute œuvre picturale.

Le metteur en scène de cette  vie cachée a peaufiné son film, pendant trois ans, à la façon d’un peintre. Terrence Malick est un grand cinéaste et un grand peintre des vies cachées, « ordinaires » qui s’érigent en chefs d’œuvres une fois que la vie a trépassé. La citation de George Elliot ne clôt nullement le film : « Si les choses ne vont pas aussi mal pour vous et pour moi qu’elles eussent pu aller, remercions-en pour une grande part ceux qui vécurent fidèlement une vie cachée et qui reposent dans des tombes que personne ne visite plus », elle ouvre, au contraire, sur la perspective de ces passés, qui ne passent pas. Le temps, grand maître de la mémoire, devrait permettre de digérer de façon enrichissante les grandes leçons de l’histoire. Le geste du faucheur, symbole de la grande faucheuse qui initie le film nous suggère que, sous le sol défriché, prennent racine de nouvelles graines pour du bon pain en récompense de la patience des hommes.

L’acteur principal (August Diehl) de ces heures de pellicule picturale offre l’exemple le plus récemment raconté d’un homme, tourmenté par le choix de sa vie, de sa substance, de son intégrité, de son unicité.

Une bougie chancelante, dans la pénombre d’une ferme, à la manière d’un Georges de La Tour, éclaire la voix off du résistant Franz à sa femme : « Quand on renonce à survivre à tout prix, une lumière nouvelle vous inonde. »

L’Autriche, berceau de la naissance d’Hitler et du nazisme est le cadre choisi par le réalisateur pour dépeindre la relation ambiguë et intime de l’homme à la montagne. Ces paysages à couper le souffle, quelques soient les saisons, impriment une dimension surnaturelle, primaire, primitive et essentielle, offrant à nos yeux l’impression sensuelle d’une terre qui rend généreusement ce qu’on lui donne.

Malick s’engage dès le début du film à nous exposer le mal dans sa dimension collective, enrôlé par le Kaiser d’une Allemagne défaite au cours de la Première Guerre mondiale. La puissance maléfique d’une armée recomposée, que Terrence saura opposée à la puissance d’une nature généreuse et fertile admirée par ce paysan de bonne nature, heureux du bien et du vivant.

August Diehl

Pour ce couple fusionnel, Franz et Fani (August Diehl et Valérie Pachner), le mois de juin est le « plus beau de l’année ». Les premiers coups de faux, amplement déliés, permettent de moissonner le blé qui renaîtra à la prochaine saison. Cette terre d’Autriche en altitude, est riche et grasse, promise à la récolte du blé et à la fabrication du pain cuit au four commun du village. Ceci est la base de la vie incessamment reconduite d’une année l’autre. L’Amour qui lie ces deux là, comme une botte de foin frais, est simple et sans mots pour le dire. Les trois enfants de cette union grandiront au contact de la nature et d’une réalité qui les confrontent à la dureté de la vie paysanne. Tout est fluide et tensègre dans cette vie de village où chacun porte secours à l’autre, où l’entraide ne souffre d’aucune entrave.

La faucheuse, la grande faucheuse, rode néanmoins sur ce village structuré autour d’une foi conventionnelle d’un prêtre et d’un évêque qui questionnent le patriotisme et la croix gammée. D’un artiste du village qui se promet de « Un jour, je peindrai le véritable Christ. »… Le Christ aimant jusqu’à la mort et, par là, déjà vainqueur.

Jusqu’à ce que la déclaration de guerre de Mussolini annonce un conflit qui prendra une dimension mondiale sur les cendres à peine éteintes de la précédente.

Le paysan est appelé à se présenter et à promettre allégeance à Hitler, comme tout autre soldat potentiel de l’Autriche et de l’Allemagne. Une évidence s’offre à lui, comme à nous, en conscience vite démontrée que la guerre sera une ineptie, une chose contre nature… Contre la nature de cet homme qui possède la seule foi qu’il connaisse : le Bien de la vie ! L’hésitation de certains de ses camarades de village le conforte dans sa question, dans son choix : ne pas offrir sa vie pour le mal et non pas contre le mal !

Hitler avait l’habitude de penser qu’il fallait mentir effrontément pour être crû.

Le portrait des hommes de ces hauteurs autrichiennes sont d’un réalisme à la Otto Dix ; peinture sombre et grimaçante d’une Allemagne en doute de son identité.

A aucun moment le mot Juif n’est évoqué par la mise en scène… Il s’agit de l’étranger, celui qui vient manger le pain de ceux qui en ont ! Dans ce village isolé, proche du nid d’aigle du führer, se joue la place de la liberté d’un homme qui renonce à partir en guerre pour défendre une idéologie du mal. Quelques soient les conséquences annoncées par le maire du village, pour sa femme, ses enfants, sa mère, pour le village aussi, envers lui…

Christique parmi les siens, une chance « raisonnable » lui est offerte « in ultimo » par un Bruno Ganz, général de cette armée déshumanisée parce que fanatisée. Confrontation qui pose la question essentielle du film : «  Je ne peux pas faire ce que je crois être mal. », «  Faites le, vous, si vous pensez que c’est bien ! »

La référence aux images « noir et blanc » de l’histoire est troublante de violence et de sensibilité. Hitler vocifère, mais joue aussi avec un enfant qu’il tient délicatement par la main et « se joue de lui même » en effectuant, en couleurs passées, une danse comique sur la terrasse de son nid d’aigle, sous les yeux de sa maitresse Eva Brown.

C’est comme si le libre arbitre, thème central et responsable du film, prenait forme et couleur dans le décor naturel de cette beauté cachée. Une réalité surnaturelle, dont la puissance est non sur la montagne… mais dans cette montagne que le regard de l’homme sublime et où il promet de retrouver son épousée, une fois son choix assumé.

« La nature n’est que création ! C’est son génie, c’est sa poésie » *

Puissions nous dire que La foi, véritable Foi de l’homme est en lui, profondément dissimulée dans le tissu de sa nature.

Jean-Jacques Campi,  janvier 2020.

*  » L’homme est une production de la nature et la nature se dépasse elle-même dans l’homme. » Marcel Conche, Présence de la nature, 2001.

Marcel Conche, est un philosophe français, spécialiste de philosophie antique et métaphysique.

Cet article comporte 1 commentaire

  1. Maubon

    Très belle analyse du film que je n’ai pas vu mais ne vois pas l’heure d’aller voir… ce qui est la raison d’autre de toute forme de critique

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