URBEX, *ou les « Histoires-sous-peintes » de Tatjana Sonjov
Visiter La Conciergerie, c’est descendre quelques marches et s’enfoncer dans les profondeurs, comme un explorateur de catacombes. Dans cet espace où des artistes ont trouvé leur place avec plus ou moins d’à-propos, le travail de Tatjana Sonjov, lui, colle au mur pour s’y fondre dans une complète harmonie. Ces photographies d’empreintes de radiateurs, témoins singuliers d’histoires intérieures ont été volés à des habitations rurales abandonnées, des architectures urbaines en transition, des murs porteurs d’autant de cultures quotidiennes. On imagine les peintures cachées, les traces de passages prêtes à s’effacer, échos d’une histoire de famille, celle, sans doute, de l’artiste. Elle a frénétiquement cherché, dans le silence de ces demeures, la présence du corps, la mémoire d’un vécu dans les peaux de la peinture. « Je ne veux pas devenir un joli peintre, je veux peindre impitoyablement » disait Raoul de Keyser, peintre belge dont la brutalité picturale a marqué Tatjana quand elle était enfant. Pourtant il y a aussi beaucoup de douceur dans ces traces que l’artiste a voulu sauver de l’oubli et leur rendu, leur juxtaposition, racontent davantage la nostalgie que la brutalité. Ces photographies d’empreintes de radiateurs ont la particularité d’avoir été peints sans aucune volonté de « faire œuvre » et sont plutôt le résultat ce que le hasard a bien voulu créer dans chaque pièce d’un habitat. A partir de ces images, Tatjana Sonjov a ensuite réalisé plus de cent plaques de bois peint sur le thème des bouches d’aération. Elles sont travaillées en séries dans un répertoire de matériaux et d’actions simples, renvoyant à l’architecture et à la rénovation des logements.
Si le travail Tatjana Sonjov évoque avec une grande sensibilité, une qualité du geste de ce qui n’est plus, il n’est pas sans références à l’histoire de l’art contemporain et ‘l’on pense à Supports-Surfaces ou, et pourquoi pas, à Rothko car l’artiste nous dit : «Lorsque je me suis mise à voir des radiateurs partout dans l’œuvre de Rothko, à rechercher l’absence dont parlait Motherwell dans la matière picturale des bouches d’aération, j’ai compris que mon vecu corporel de ces lieux avait totalement changé mon rapport à l’œuvre. »
Vous comprendrez, peut-être, pourquoi face à cette exposition exploratrice des peaux sous-jacentes de nos mémoires, le titre d’URBEX s’est imposé à moi.
*L’exploration urbaine, abrégé urbex (de l’anglais urban exploration), est une pratique consistant à visiter des lieux construits et abandonnés par l’homme. Nicolas Offenstadt la définit ainsi une « visite sans autorisation et le plus souvent sans but lucratif de lieux délaissés ou abandonnés »1. Elle possède ses propres principes, pour certains un véritable « code » de conduite de l’urbex, visant à préserver les lieux et les protéger au maximum (entre autres, en dissimulant les adresses des spots – surnom donné aux lieux abandonnés – afin d’éviter d’y attirer des casseurs ou des voleurs). Cette activité inclut la visite de lieux cachés ou difficiles d’accès, tels que des manoirs, des écoles, des entrepôts désaffectés, des hôpitaux ou sanatoriums, etc. Dans certain cas plus rares, la pratique s’étend à des lieux explicitement interdits comme des tunnels de métro, des catacombes et des rooftops (sommets d’immeubles, monuments…).
Jusqu’au 19 juin 2019
La Conciergerie
rue Gounod – Nice –