VALLOIS @ HOME // NOTE #7 : Lucie Picandet
Lucie Picandet dans son atelier, avril 2020
Exergue
Je suis au jour d’Hui celui que je suis, je ne sais pas comment, ni pour la combientième fois exactement.
Mais, à l’instant même où je l’écris, je sais que je ne le suis plus vraiment.
La table.
Ma main se pose sur elle. Mais dès lors que j’écris cela, je donne à la fiction ce point de contact avec le réel qu’à l’instant même je ne perçois pas. Et voilà la table qui part de l’autre côté. J’écris à présent sur mes genoux.
Je suivrai celui que je suis, mon corps, l’Hui. J’écrirai après lui, juste après.
Je ne ferai rien d’autre que de ne pas faire tout ce que j’écris.
(…)
Galerie GP & N Vallois [info@galerie-vallois.com]
Lucie Picande
Pour l’exister, je lui injecte régulièrement un peu d’huile Eminence du Pyjorama. C’est un excellent produit pour prolonger l’effet de réel.
Alors que je ne suis pas du tout en train de déjeuner mais d’écrire cela, il se peut que je, enfin l’Hui, ne fasse non plus rien d’autre que de déjeuner assis à cette table de restaurant devant un vieil ami portant une superbe moustache. Me voilà installé au commandes de la conscience d’Hui. Depuis les tréfonds jusqu’à la surface, et même dans les particules volatiles qui émane d’hui, je l’aperçois qu’il ne l’avait pas vu depuis très longtemps. Ce rendez-vous se fait sur un coup de tête, une envie de manger du chat en boîte, pour fêter une ondulation pas mal. Dehors, un rayon de soleil vient frapper une taule d’auto qui à son tour frappe le fond de sa rétine. Nous commencerons à parler quand les nuages traverseront la rue. (…) Mes agents d’écriture quant à eux, sont postés à tous les points –clés de la ligne mémorielle. Début de l’injection. Trente huit jours et demi précèdent à l’épisode sous forme de poils subnasaux sur le visage de l’ami d’Hui. Cet ami est déformable à 99%, fabriqué à base de placenta de fiction. C’est le troisième prototype. Les précédents manquaient cruellement de consistance. Ils clignotaient et leurs visages se mêlaient à d’autres personnes de l’entourage affectif d’hui. Celui-ci apparaît tous les 25ème de secondes sous une forme et une consistance stable et identique avec une variabilité augmentée afin d’offrir un panel d’expressions relativement riche. Par précaution nous placerons un agent hypnotique dans le nœud papillon de l’ami ; lequel, corrélé à la moustache, provoque un phénomène saturé qui, en cas de perte de contact avec le réel, nous procure quelques secondes pour injecter à nouveau un peu d’huile éminence. Cela évite de commencer une nouvelle version. La densité de présent se répartit de façon homogène dans toute la salle de restaurant, ce qui est de bonne augure pour les événements à suivre.
Dès qu’ils commencent à discuter du passé, je l’allonge à 24 images par seconde dans une vie qu’il tient pour évidente. …
Extraits du récit Celui que je suis à déjeuner, Lucie Picandet
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