Villa Arson, un grand coup de pinceau sur la grisaille !
Quatre résidences, quatre territoires.
L’exposition de la Villa Arson, qui est sans titre cette fois, nous propose l’exploration d’autres territoires que nos prés carrés habituels peuplés d’artistes souvent formatés par leur enseignement en écoles où la norme n’est pas une ode à la joie mais plutôt une exploration de ce que notre monde contemporain a de plus anxiogène…
J’en conviens, les choses ne sont pas drôles, au regard de la propagation du Coronavirus, de la collapsologie écologique ambiante et d’une humanité qui se déchire à l’échelle mondiale comme dans un quotidien où désormais tout échange harmonieux entre les idées et même les sexes est exclu, combattu même. Heureusement l’artiste, disons plutôt quelques artistes ont la potentialité de renverser la vapeur et de donner un grand coup de pinceau sur toute cette grisaille… Et, en ce soir de vernissage à la Villa Arson, une sorte de miracle s’est produit qui a mis le sourire sur les lèvres et la couleur sur les murs, ou inversement…
Shailesh BR
Le Last Brahmin
L’artiste a investi la Galerie Carrée de la Villa pour en faire une maison brahmane où les objets et rituels sont disposés selon l’ordre établi par la tradition, et où les usages sont gouvernés par les lois du Vastu Shastra (science de l’architecture de l’Inde antique).
Shailesh BR se considère comme étant le dernier brahmane de sa famille. L’origine de ce titre autoproclamé vient du livre Le Dernier Brahmane : vie et pensées d’un spécialiste moderne du sanskrit, autobiographie de Rani Siva Sankara Sarma publiée en 2012, qui se présente comme une histoire d’apprentissage, d’érudition et d’une rigoureuse discipline pédagogique.
Dans l’exposition Le Dernier Brahmane, Shailesh BR tente de démêler les diverses pratiques des castes en revisitant le cœur de leur structure, décodant les notions d’héritage, de formation et de déformation. Le Dernier Brahmane se réfère à des connaissances et des pratiques anciennes, mais les interprète au présent afin de faire prendre conscience de leur signification au sein de notre monde. Vivre loin de chez lui et du « pays sacré », offre à Shailesh BR un exil spirituel pour une profonde méditation afin de laisser place à l’introspection comme à l’extrospection.
En nous éclairant sur des pratiques de cette sorte d’aristocratie religieuse et intellectuelle, Shailesh BR cherche à poser un défi à son rang : « Dans mon village il est toujours interdit aux gens des autres castes de pénétrer dans une maison de brahmane, ce qui doit les rendre très curieux de savoir à quoi ressemble l’intérieur. » La démarche artistique de Shailesh BR est en quelque sorte de rompre avec la tradition : « Mon point de vue est que n’importe qui peut être un brahmane en étant simplement exposé à certains systèmes de connaissance. Il en découle donc que n’importe qui peut entrer dans la maison d’un brahmane. » En invitant chacun à pénétrer son espace, Le Dernier Brahmane renonce aux discriminations basées sur la caste et ouvre la porte à la conversation.
Shailesh BR, durant toute la durée de l’exposition, prendra possession de ce lieu en y étant présent tous les jours comme s’il l’habitait. Une cérémonie d’ouverture souhaite la bienvenue à un monde sans frontière, invitant à entrer, à observer, participer… Le Dernier Brahmane aura un début et une fin, devenant ainsi une expérience en soi, qui nous mènera à de grandes révélations ou … à une confusion encore plus grande. L’avenir le dira !
Peut-on être à ce point hors de son territoire, hors de sa culture et s’enflammer pour l’expression artistiquement contemporaine d’une telle démarche ? Pour ma part, je dirais oui, car les objets sont beaux, les traditionnels comme les actuels, les installations sont fascinantes « La Machine à tourner les pages », « Le Lotus fondant »… Et à l’extrême, si Shailesh BR se moque un peu de nous, occidentaux, il le fait avec une telle grâce et un tel humour que sa cible est atteinte. Et puis, son territoire n’est pas que celui de l’Inde, l’artiste connaît bien son alphabet occidental ; il y a du Rebecca Horn dans ses Machines à prières, de l’Arte Povera dans sa Cérémonie mortuaire …
Commissariat : Vitarka Samuh
Sol Calero
Se empeñaban en tapar las grietas, pero las paredes seguian sudando
[Ils ont insisté pour couvrir les fissures, mais les murs transpiraient toujours]
En visiteuse disciplinée, j’ai suivi le parcours et suis entrée dans la maison de Sol Calero, une artiste vénézuélienne qui, dans sa résidence, a misé sur la coloration extrême de son territoire. Son coup de pinceau investit tout, les parois, les objets, les végétaux… On se croirait chez Frida Kahlo avec accrochées aux murs, des peintures de Matisse ! Les couleurs primaires s’enlacent avec bonheur, un mobilier coloré lui aussi nous invite à une conversation autour de livres sur l’art latino américain. Les huiles peintes en résidence comme Frutas en la Villa Arson I, 2020 ou Paisaje, Villa Arson II, 2020, mais aussi Se empeñaban en tapar las grietas, pero las paredes seguian sudando, une œuvre de 50 pièces de céramique, croisent des peintures acryliques plus anciennes, créant une atmosphère vivante, lumineuse… Je me suis crue transportée sur un marché d’Antigua, ou de Chichicastenango ou mieux encore, plongée dans la végétation exubérante autour des incroyables monuments des Incas, entre le Guatemala et le Mexique – Je ne connais pas le Venezuela – ,
mais sous toute ce foisonnement joyeux, la phrase choisie par Sol Calero : « Ils ont insisté pour couvrir les fissures, mais les murs transpiraient toujours » m’a interrogée. En mettant certaines parois à nu, des gravats et des palettes au sol, l’artiste ne se pliait-elle pas à la contemporanéité du lieu en atténuant son langage latin de la couleur par une concession faite à la rigueur de mise dans notre monde artistique européen ? Il n’en est rien, semble-t-il, puisqu’il est est dit qu’au delà de la peinture et de ses éternelles références, la singularité du travail de Sol Calero est aussi de s’immerger totalement dans les lieux et contextes dans lesquels elle travaille. À la Villa Arson, son projet s’est élaboré au cours de sa résidence alors que des pluies quasi tropicales frappaient la région, et c’est en fonction de cet élément qu’elle y a bâti ses installations.
Cependant cette phrase, belle comme la parole d’un poète ou d’un révolutionnaire ( ?) : « Ils ont insisté pour couvrir les fissures, mais les murs transpiraient toujours » a continué à m’interpeler ? Ne répond-elle pas à ce Paysaje de l’ovido (paysage de l’oubli) sur lequel travaille Sol Calero, un questionnement immergé dans la notion de mémoire et du rôle que celle-ci joue dans l’acte de peindre.
Les Amérindiens oublient-ils la colonisation ?
Arrive-ton à couvrir par l’oubli les traces des souffrances des cachots vénézuéliens ?
Commissariat : Eric Mangion
Zora Mann
Waganga
« Guérisseurs d’âmes »
Pour découvrir l’œuvre de Zora Mann, il faut descendre au cœur de la Villa, dans ces belles salles moins directement exposées à la foule que les parties hautes, et cette situation convient à l’artiste dont la peinture fait essentiellement appel à une intériorité « Je peins de l’intérieur vers l’extérieur ». Sa peinture est faite de densité : de multiples couleurs, de formes répétées ou au contraire divergentes qui viennent se croiser ou se superposer dans des compositions souvent saturées de lignes ou de courbes. Si ses œuvres ne renvoient pas à l’abstraction géométrique ou lyrique, elles font plutôt penser à des expérimentations psychédéliques par leur manière de faire cohabiter des mondes et des perceptions différentes.
Ce mode de pensée et de production est également très proche de l’art brut par son enchevêtrement de motifs. Cependant dans cette perception toute occidentale, on oublie que les formes des objets, l’agencement de leurs couleurs ne sont pas qu’esthétiques ; elles ont un réel signifiant tribal. Les parents de Zora Mann sont originaires d’Afrique de l’est. Elle y a beaucoup séjourné et sa culture en est profondément marquée. Waganga (titre de l’exposition) signifie » guérisseurs d’âmes » en Swahili (groupe de langues bantoue pratiquées dans plusieurs pays d’Afrique de l’est). Elle a découvert le terme dans un film que son père a réalisé il y a une vingtaine d’années au Kenya sur George, un Waganga.
L’exposition réunit plusieurs peintures de différents formats dont une de très grande dimension (3 m x 9 m) réalisée sur place, tout comme une vingtaine de petites et moyennes tailles qui forment un ensemble mural. Elles sont conçues tels des carnets de voyages car beaucoup ont été réalisées au cours de déplacements. Elles peuvent être aussi perçues comme des restitutions de rêves. Les « synchronicités spatiales » (terme emprunté au psychanalyste Carl Jung), propres à la formation des rêves, sont ressemblantes.
Derrière un rideau de perles faites de résidus de tongs ramassées sur les rives des voies navigables du Kenya, des sculptures murales sont accrochées, que l’artiste nomme à juste titre « boucliers » car ils ont cette force tribale, consubstantielle au thème de l’exposition. D’autres grands volumes les « Murs » faits de bois, de papier mâché, de résine et de peinture organisent l’espace et se laissent traverser pour donner à notre l’œil la liberté de découvrir un ensemble extrêmement dominé.
Étranges skateboards géants et découpés, installations votives incluant des céramiques colorées, assemblages de terres vernissées qui constituent d’admirables petites pièces murales, surprenantes aquarelles, participent au lexique de Zora Mann, une belle et bonne artiste, qui sait parler de son travail avec fraîcheur, intelligence et simplicité.
Cette exposition a été conçue lors d’une résidence de l’artiste dans le centre d’art entre novembre 2019 et février 2020.
Commissariat : Eric Mangion
Kristof Everart
« Entropie d’un territoire »
Pour clore ce parcours, spatio-géographique de territoires physiques et mentaux –chaque artiste venant de culture et de pays différents –, Kristof Everart présente une série de dessins et de peintures qui schématisent la densité et les déplacements d’une population entre Marseille et Nice. Accrochées linéairement sur un fond uni, dans cet espace situé entre le bâtiment ancien de la Villa et les constructions plus récentes qui l’entourent, les œuvres, dans leur apparente abstraction, demandent une explication que nous livre l’artiste : « En tant qu’artiste, j’emprunte à la science et j’interroge les différents concepts d’occupation des territoires. J’expérimente et développe différents procédés numériques et plastiques. Suite aux différents relevés effectués dans des laboratoires d’urbanisme et de géologie, j’ai instauré un protocole de recherche en lien avec l’intense urbanisation entre Marseille, Sophia Antipolis et Nice. Il s’agissait pour moi de fixer sous la forme de modélisations abstraites la densité de l’insertion humaine dans ce territoire. Par des procédés de cartographies, en surface et en épaisseur, j’ai ainsi extrait des « valeurs fortes », comme l’intensité des déplacements, mais aussi l’influence et la répercussion des ondes électromagnétiques s’y référant. Mon souhait n’est pas d’illustrer les phénomènes physiques et scientifiques mais bien de les interpréter par la production d’œuvres sous forme de dessins, de peintures et d’installations. »
A la suite d’une résidence chez Inria – Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Sophia Antipolis), organisée en partenariat avec UCA – Université Côte d’Azur, Kristof Everart a travaillé durant l’année 2018 sur les flux de déplacements humains sur une zone géographique entre Nice et Marseille. Des études et des expérimentations ont permis l’émergence d’un travail artistique qui retranscrit visuellement ces impacts humains sur ce territoire.
Le travail qui en résulte est présenté à la Villa Arson sous l’intitulé « Entropie d’un territoire ». Ce titre exprime, au delà d’une simple « transformation » (sens étymologique du mot entropie), un niveau de désorganisation et d’imprévisibilité
Villa Arson
Expositions de février au 3 mai 2020.
Ouverte tous les jours sauf mardi, de 14h à 18h.
A noter
– Des rencontres avec des artistes et commissaire, les 10, 12, 18, mars, 1er et 2 avril à 18h.
Infos : https://www.villa-arson.org/2020/02/autour-des-expos-rencontres-avec-sol-calero-zora-mann-et-vitarka-samuh/
– Une « Carte Blanche des élèves du Conservatoire de musique de Nice », le 26 mars de 18h30 à 20h30 dans les expos de Sol Calero et Zora Mann.
Infos : https://www.villa-arson.org/2020/02/cartes-blanches-dans-les-expos-aux-eleves-du-conservatoire-de-musique-de-nice/
– Un « Indian afternoon » avec atelier Bhajan, Concert musiques d’Inde et d’ailleurs et « Indian tea time », le samedi 28 mars de 14h à 18h. Infos à venir sur http://www.villa-arson.org
CHIC !
Visiblement Lola Gassin a aimé ces expositions et on est impatients de vous les faire découvrir. Bienvenue !
A noter
– Des rencontres avec des artistes et commissaires, les 10, 12, 18, mars, 1er et 2 avril à 18h.
Infos : https://www.villa-arson.org/2020/02/autour-des-expos-rencontres-avec-sol-calero-zora-mann-et-vitarka-samuh/
– Une « Carte Blanche des élèves du Conservatoire de musique de Nice », le 26 mars de 18h30 à 20h30 dans les expos de Sol Calero et Zora Mann.
Infos : https://www.villa-arson.org/2020/02/cartes-blanches-dans-les-expos-aux-eleves-du-conservatoire-de-musique-de-nice/
– Un « Indian afternoon » avec atelier Bhajan, Concert musiques d’Inde et d’ailleurs et « Indian tea time », le samedi 28 mars de 14h à 18h. Infos à venir sur http://www.villa-arson.org