Vita Nuova, au MAMAC
Enfin nous entendons à nouveau parler d’Italie…Il était temps !
N’oublions pas que le MAMAC, à sa création en 1990, proposait un dialogue inédit entre le Nouveau Réalisme européen, l’expression américaine de l’art d’assemblage et du Pop Art et s’engageait à montrer également des œuvres clé de l’art minimal ou de l’arte povera. Gilbert Perlein, lors de sa direction, a certes consacré d’importantes expositions monographiques à de grands artistes transalpins comme Gilberto Zorio (1992), Giovanni Anselmo (1996), Mimmo Rotella, Pier Paolo Calzolari (2003), Michelangelo Pistoletto (2007), mais c’est par le prisme d’approches transversales et européennes que la scène italienne a été présentée ces dernières années par Hélène Guenin dans des thématiques comme « Cosmogonies au gré des éléments »(2018), «Le diable au corps» (2019) ou « Les Amazones du Pop » (2020-2021), etc. Chaque fois l’enjeu était de faire découvrir des figures inédites, parfois injustement méconnues et pourtant essentielles dont les formes inventives, audacieuses et expérimentales s’inscrivaient dans l’aventure internationale de leur temps.
Il restait à écrire une grande histoire de cette scène fascinante aux multiples visages qui émergent des années 1960-1970. C’est cette histoire revisitée que s’est engagée à nous faire connaître Valeria Da Costa, commissaire de cette vaste exposition réunissant 130 œuvres de 55 artistes, sous le séduisant titre de « Vita Nuova, nouveaux enjeux de l’art en Italie 1960-1975 » ».

Fabio Mauri, « Marilyn »,1964
Et puisque que citant Lepage, je rafraichis la mémoire des anciens et informe les plus jeunes, je dirais que même s’il fallait présenter son passeport, il n’y avait que peu de frontière entre nos pays pour la circulation des êtres et de la pensée. Vivien Isnard, Claude Viallat ou Noël Dolla exposaient à La Bertesca à Gênes et nous n’hésitions pas à traverser la frontière pour partager nos regards et nos idées sur l’art français et l’art italien.
Il ne faut pas oublier que l’Italie a connu une période particulièrement fertile et exceptionnelle du début des années 1960 jusqu’au milieu des années 1970 indissociablement liée à la richesse du cinéma et de la littérature de ces années là.
Paradoxalement, depuis l’exposition qui s’est tenue au Musée national d’art moderne-Centre Pompidou (Paris) en 1981 : « Identité italienne. L’art en Italie depuis 1959 », dont le commissariat était assuré par Germano Celant (1940-2020), il n’y a pas eu, en France, de grand panorama de cette scène artistique pourtant remarquable.

Lisetta Carmi, »I Travestiti »,1865-1970
Avec la commissaire Valérie Da Costa, historienne de l’art, spécialiste de l’art italien, « Vita Nuova. Nouveaux enjeux de l’art en Italie 1960-1975 » comble ce manque historique et propose un regard inédit sur quinze années de création qui correspondent aux premières expositions d’une nouvelle génération d’artistes (nés entre les années 1920 et 1940), actifs à Gênes, Florence, Milan, Rome, Turin – jusqu’à 1975, année marquée par la mort tragique de l’écrivain, poète et réalisateur Pier Paolo Pasolini (1922-1975), dont l’année 2022 marque le centenaire de sa naissance.
Cette génération d’artistes propose de nouvelles manières d’appréhender et de faire de l’art ; elle illustre ainsi une forme de vita nuova (« vie nouvelle ») – titre emprunté au livre éponyme de Dante (Vita Nova) qui tout en étant une ode à l’amour affirme une manière inédite d’écrire qui marque l’art italien de cette période et contribue à faire sa reconnaissance internationale.
Au cours des années 1960 et 1970, la transformation de l’Italie (industrialisation, société de consommation, instabilité politique…) engage de nouveaux modes de représentation. C’est ce contexte historico-politique qui est l’arrière-plan de l’exposition.
« Vita Nuova » adopte un point de vue résolument thématique et s’organise autour de trois grands ensembles : Une société de l’image, Reconstruire la nature, Mémoires des corps qui sont envisagés de manière poreuse et transversale afin de montrer la circulation des artistes, des formes et des idées entre des enjeux visuels, écologiques et corporels.

Giorgio Ceretti, Pietro Derossi, Ricardo Rosso, « Pratone »,1971
L’exposition s’attache à faire découvrir un paysage artistique diversifié, non exhaustif, composé d’un choix d’artistes pour certains et certaines oubliés de l’art italien (notamment les artistes femmes) dont l’œuvre est exposée pour la première fois en France et récemment redécouverte dans leur propre pays.
Pensée de manière pluridisciplinaire, « Vita Nuova » explore les liens qui se sont établis à la même période entre la création visuelle, le design, le cinéma.
L’exposition présente 55 artistes, dont de nombreuses artistes femmes, à travers un choix de plus d’une centaine d’œuvres et de documents d’archives issus de collections publiques et privées italiennes et françaises (Musée national d’art moderne-Centre Georges Pompidou, Paris ; Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg (MAMCS), Strasbourg ; Galleria d’Arte Moderna (GAM), Turin ; MAXXI, Rome ; Fondazione Merz, Turin…).
Ce projet à dimension européenne bénéficie de la labellisation officielle dans le cadre de la programmation culturelle de la Présidence française du conseil de l’Union européenne. Il incarne l’ambition internationale portée par la Ville de Nice, candidate pour devenir Capitale européenne de la culture en 2028.

Lucia Marcucci 1965, E’ guerra d’eroi, collage, cm 50×64
Les artistes choisis sont, pour la plupart, connus des fervents des diverses formes de l’art italien, plastique comme cinématographique et poétique. Ce sont : Carla Accardi, Vincenzo Agnetti, Franco Angeli, Giovanni Anselmo, Archizoom, Michelangelo Antonioni, Gianfranco Baruchello, Tomaso Binga, Irma Blank, Alighiero Boetti, Marisa Busanel, Pier Paolo Calzolari, Lisetta Carmi, Elisabetta Catalano, Mario Ceroli, Claudio Cintoli, Gino De Dominicis, Luciano Fabro, Federico Fellini, Rosa Foschi, Piero Gilardi, Giorgio Griffa, Alberto Grifi, Laura Grisi, Gruppo Strum, Paolo Icaro, Jannis Kounellis, Ketty La Rocca, Maria Lai, Sergio Lombardo, Renato Mambor, Lucia Marcucci, Titina Maselli, Fabio Mauri, Eliseo Mattiacci, Marisa Merz, Mario Merz, Franco Mazzucchelli, Ugo Nespolo, Luigi Ontani, Giulio Paolini, Claudio Parmiggiani, Pino Pascali, Luca Maria Patella, Pier Paolo Pasolini, Giuseppe Penone, Marinella Pirelli, Michelangelo Pistoletto, Carol Rama, Mimmo Rotella, Mario Schifano, Ettore Spalletti, Cesare Tacchi, Gilberto Zorio.
Les femmes, pour moi qui ne suis pas une militante, sont de grandes et belles découvertes comme Lucia Marcucci qui est exposée dans la galerie du MAMAC, Lisetta Carmi avec Travestiti , 1965-1970, Laura Grisi avec The Maesuring of Time, 1969, Maria Lai avec Cornice, 1968, Carla Accardi avec Cilindrocono, 1972 ou encore Vedo…vedo…, 1967 de Carol Rama… Mais les grands, les inoubliables, chers à mon cœur, sont là : Merz, Anselmo, Boetti, Calzolari, Pistoletto, Pascali Gilardi, Kounellis et surtout Penone, qui n’est pas montré sous son meilleur profil, alors qu’il est pour moi un des plus grands artistes du XXème et XIXème siècle…

Luca Maria Patella, »SKMP2″, 1968
Le Commissariat a été confié à Valérie Da Costa, spécialiste de l’art italien des XXe et XXIe siècles. Elle est historienne de l’art, critique d’art et commissaire d’expositions. Maître de conférences Habilitée à diriger des recherches en histoire de l’art contemporain (XXe-XXIe siècles) (Université de Strasbourg). Elle est l’auteure de très nombreux textes et livres sur ce sujet.
Parmi ses publications : Écrits de Lucio Fontana (Les presses du réel, Dijon, 2013), Pino Pascali : retour à la Méditerranée (Les presses du réel, 2015), Fabio Mauri : le passé en actes / The Past in Acts (Les presses du réel, 2018), « Arte Povera hier et aujourd’hui », Cahiers du Musée national d’art moderne (n°143, printemps 2018) (sous sa direction), L’Espace des images. Art et culture visuelle en Italie 1960-1975 (éd. S. Chiodi, V. Da Costa) (Éditions Manuella, Paris, 2022), Paul Thek en Italie 1962-1976, (Les presses du réel, 2022).
Elle a été, entre autres, commissaire des expositions : « Oublier la danse » (Centre Pompidou, Paris, 2014), « Le corps en jeu » (Centre Pompidou, Paris, 2015), « Germaine Richier, la magicienne » (Musée Picasso, Antibes, 2019), « Piero Gilardi : de la nature à l’art » (Galerie Michel Rein, Paris, 2020), « Turi Simeti : l’aventure monochrome(s) » (Galerie Almine Rech, Paris, 2022).
Le Catalogue de l’exposition : « Vita Nuova. Nouveaux enjeux de l’art en Italie 1960-1975 », Snoeck, MAMAC, est paru en mai 2022 avec les textes de Valérie Da Costa, Lara Conte, Laura Iamurri et une chronologie de Sara Miele
Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain
Place Yves Klein – Nice
Une exposition partenaire à la Villa Arson : « Vita Nuova » fait également l’objet d’une collaboration avec la Villa à travers « Le Futur derrière nous ». L’art italien depuis les années 1990 : le contemporain face au passé », commissaire Marco Scotini, à découvrir du 11 juin au 28 août 2022.
un commentaire amicale reçu sur mon email: »L’ensemble de » Vita Nuova , au MAMAC » illustre bien, tel que tu l’exprimais, le plaisir que tu trouves à écrire, de même que l’aisance naturelle qui l’anime.
En effet, je trouve que l’article a notamment la particularité de faire ressortir judicieusement, par le ton et surtout son organisation, de façon indirecte, l’effervescence libre, pétillante, enthousiaste et variée, qui anime d’une façon générale le phénomène artistique italien, ce qui est très rarement évoqué, si ce n’est jamais, et qui pourtant en constitue à mon avis l’essence et l’originalité.
Sympa aussi d’y avoir fait apparaître les trois français …, et surtout d’évoquer Jacques Lepage !
J’ignorais totalement les ambitions initiales du Mamac au niveau européen tel que tu le signales en introduction. »
Carmella Minazolli