« Vous n’aurez pas ma haine »
Ce qui s’est passé samedi soir durant l’émission « on n’est pas couché » de Laurent Ruquier, dont je vous parle souvent, a été renversant ! On a touché à un moment d’émotion pure, laissant le plateau de Ruquier pétrifié, sans commentaires ou presque… Et dans mon cas, en larmes du début à la fin du témoignage d’Antoine Leiris venant présenter, dans une simplicité bouleversante, le livre : « Vous n’aurez pas ma haine » qu’il a écrit après la mort de sa femme au Bataclan.
Je ne peux que vous engager à regarder, si vous ne l’avez pas fait, ce moment intense sur votre ordinateur et à lire son livre, moi qui ne l’ai pas encore lu…
Comment ce grand garçon, yeux clairs, cheveux châtains légèrement ondulés, vêtu sans apprêt, mais élégant jusqu’à l’âme, a-t-il pu faire face à ce monde du spectacle pour traduire, devant une assistance en suspens, la peine qui est la sienne et à laquelle il a dû faire front pour offrir à son petit garçon de 17 mois autre chose que des larmes sur la mort de sa mère.
Je vais, comme Laurent Ruquier, vous citer un passage de ce document sur lequel plaquer plus de mots ne serait qu’un vilain maquillage, alors que de tels sentiments n’imposent que silence.
« Vendredi soir, vous avez volé la vie d’un être d’exception, l’amour de ma vie, la mère de mon fils, mais vous n’aurez pas ma haine. Je ne sais pas qui vous êtes et je ne veux pas le savoir, vous êtes des âmes mortes. Si ce Dieu pour lequel vous tuez aveuglément nous a faits à son image, chaque balle dans le corps de ma femme aura été une blessure dans son cœur. Alors, non, je ne vous ferai pas ce cadeau de vous haïr. Vous l’avez bien cherché pourtant, mais répondre à la haine par la colère, ce serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes. Vous voulez que j’aie peur, que je regarde mes concitoyens avec un œil méfiant, que je sacrifie ma liberté pour la sécurité. Perdu. Même joueur joue encore. » Ou encore : « Peu de gens comprennent les conditions dans lesquelles Hélène a été tuée. On me demande si j’ai oublié ou pardonné. Je ne pardonne rien, je n’oublie rien, je ne passe sur rien, et surtout pas si vite. »
D’autres citations me viennent à l’esprit, sont-elles dans le livre ou les ai-je lues sur la toile, dans des interviews d’Antoine Leiris, dont l’attitude admirable déstabilise parfois ses interlocuteurs. Il dit : « Céder à la peur, à la haine, à la défiance, croire qu’être différents c’est être ennemis, ça serait faire exactement ce que eux ont fait […] C’est impossible pour moi. Je ne peux pas transmettre ça à mon fils. Il ne peut pas être le fils d’une femme si ouverte, si grande et devoir être bloqué dans sa haine, dans sa rancœur. On vivra ce chagrin, on le vit déjà ensemble. »
Mais revenons à l’émission car l’homme est là, devant nous, et nos chroniqueurs médusés ont bien du mal à poser les questions nous permettant de reprendre notre souffle.
Je vous l’ai dit, ce témoignage fait livre, c’est donc Yann Moix qui va trouver les mots pour, au-delà de l’émotion, parler littérature. Antoine Leiris est journaliste. Moix lui demande s’il s’est précédemment essayé à l’écriture. La réponse est simple et commune à beaucoup d’entre nous : « Oui, mais pour m’arrêter souvent à la soixantième page et puis, avais-je des sujets de quoi intéresser un lecteur ? »
Mais au cours de ses échanges avec Moix, l’homme s’anime, laisse entendre qu’il va reprendre sa carte de presse, qu’il va retourner à ses activités, et pourquoi pas, oui, écrire…
Il se peut que je trahisse ici ce qui a été dit, car mon émotion était si intense, mais une chose est certaine, même si elle n’a pas été posée comme postulat :
Qu’est-ce donc qui nous fait écrire un livre ? Est-ce un drame, un choc, un événement marquant ? Dans ce cas, nous serions tous écrivains en herbe car chacun de nous a dans son histoire assez de péripéties qui méritent d’être contées… Il nous faut plus, mais quoi encore ? Le savoir-faire ou le savoir écrire ? Oui, mais ce n’est pas suffisant ! J’ai envie de dire comme Jean Rostand – bien peu lu de nos jours -, en exergue de son livre Pensées d’un biologiste : « Si l’on savait pourquoi on écrit, on saurait du même coup pourquoi l’on vit. Écrire est une fonction biologique où participent toutes les composantes instinctuelles de l’être. »
Ces composantes instinctuelles, Antoine Leiris les avait, comme il avait en lui la profondeur de son amour pour Hélène, sa femme… Sa mort, et c’est aussi le tragique de tels événements, a fait jaillir tout ce qu’il possédait dans son cœur, hors de lui, avec les mots forts et justes, qui sont les substances inconscientes mais indispensables d’un grand livre.
Helene au sujet d’une Helene du passé.
Je n ai pas vu l émission et C est tant mieux car trop d émotion me submerge. Je pleure deja en vous lisant. Alors imaginez!!
Quels beaux textes!